Le Cirque Berousek : une tradition qui dure depuis 150 ans
Vous l'avez deviné : c'est au cirque que je vous emmène cette fois-ci. Plus précisément dans le très réputé « Cirkus Berousek », reconnu « cirque national » par le ministère de la Culture depuis 2002. Jusqu'au 26 novembre prochain, le Cirque Berousek est présent à son emplacement traditionnel, sur l'esplanade de Letna, à Prague 7 - le seul endroit dans la capitale où il peut confortablement monter son chapiteau, sa ménagerie et ses roulottes. Or, ce ne sera plus le cas pendant plusieurs saisons, car toute l'esplanade sera affectée par les travaux de construction d'un périphérique. Qu'est-ce qui rythme la vie des gens du cirque au début du XXIe siècle ? Comment se porte leur art en République tchèque ? Les réponses dans ce magazine, avec notamment le patron du cirque, Jiri Berousek senior.
« Notre cirque est le plus grand dans le pays et le premier qui a été fondé après la révolution en 1989. Le chapiteau a 36 m de diamètre. Le nombre d'artistes varie, nous en avons autour de 40. En hiver, je fais des sélections dans des festivals, ou alors je vais voir chez nos concurrents, dans d'autres cirques, où ils sont engagés pour un ou deux ans, comme cela se passe chez nous. Et je leur propose des contrats. Quant aux animaux, nous en avons actuellement plus de 70 : des éléphants, des zèbres, des chameaux, plusieurs races de chevaux (des Frisons, des Andalous, des Arabes, des Lippizzans), des poneys de race Shetland, des autruches dressées, des lamas ... »,énumère Jiri Berousek qui dirige, avec son fils et successeur, le cirque fondé il y a tout juste 150 ans, dissous sous le régime communiste, puis renouvelé.
Le Cirque Berousek a sa spécialité, un savoir-faire transmis d'une génération à l'autre : le dressage d'ours. Assis dans son « bureau » aménagé dans une roulotte, Jiri Berousek raconte tout ce qu'il a vécu aux côtés de ces animaux dont les femelles sont, d'après lui, plus jalouses que les femmes. Son show, récompensé aux Etats-Unis, dans lequel les ours parcourent la piste en mobylette et font des culbutes, il l'a présenté aux quatre coins du monde, devant quelque 50 millions de spectateurs. En 1972, les ours du cirque Berousek, dressés par le père de l'actuel directeur, Ferdinand, ont joué dans une comédie culte de l'époque : « Sest medvedu s Cibulkou » (Six ours et Cibulka). Un d'entre eux, Rocky, a aujourd'hui 36 ans et serait l'ours vivant en captivité le plus âgé au monde.
J.B. junior : « Mon métier, c'est le jonglage. Je jongle depuis l'âge de cinq ans. C'est à la fois ma passion et mon hobby, j'en fais tout le temps. » Pendant le spectacle, Jiri Berousek junior, 26 ans, représentant de la 7e génération des Berousek, quitte rarement le manège. Il jongle, en effet, avec toutes sortes d'objets, dont des raquettes de tennis ou des instruments enflammés. Mais la plupart du temps, il est sur scène avec des animaux, car sa seconde discipline, c'est évidemment le dressage. Dans le spectacle, on peut le voir souvent aux côtés de sa soeur Renata, dresseuse elle aussi.
J.B. junior : « Cette éléphante s'appelle Duna, c'est la plus âgée, elle a 60 ans. L'autre, Naïra, a 30 ans... Les éléphants sont des animaux dominateurs. Il faut être très attentif en les dressant. Quand quelque chose ne leur plaît pas, ils vous le font tout de suite savoir. Le plus long et le plus difficile pour le dresseur - et là je parle de tous les animaux - ce sont les débuts. Quand vous leur apprenez les bases. Cela dure deux ou trois ans. Après, nous changeons de programme une fois tous les deux ans. Les animaux déjà dressés apprennent ces nouveaux numéros en trois, quatre mois. Ce n'est pas tellement difficile à apprendre, à condition que l'animal ait des bases solides. Si ce n'est pas le cas, le dressage est vraiment compliqué. Pour moi, tous les animaux ont la même valeur, je n'ai pas d'espèce préférée. Mais il est vrai que lorsque vous dressez un animal rare, vous faites automatiquement attention. Si jamais il se blessait, vous n'en retrouveriez peut-être jamais d'autre. »
« Chez les animaux, cela se passe comme chez les hommes : il y en a qui adorent se produire en public, qui sont nés pour cela, et d'autres qui n'ont pas cette capacité », explique Jiri Berousek senior, qui ajoute :
« Nous ne forçons jamais les animaux à faire quoi que ce soit. A titre d'exemple : nous avons cinq ours. Un d'entre eux n'arrive pas ou n'aime pas faire un truc, mais il sait en faire un autre. C'est individuel et il faut savoir travailler avec cette individualité. L'essentiel, c'est que l'animal ne soit pas stressé. Par ailleurs, l'entrée de la République tchèque dans l'Union européenne n'a rien changé à notre travail. Il suffit de visiter notre ménagerie pour voir que nos animaux vivent dans les meilleures conditions possibles, qu'ils ont des enclos suffisamment grands. Les critères de l'UE, nous les remplissions depuis six ou sept ans. »
Installée, avec sa ménagerie, dans un village près de Cesky Brod, à l'est de Prague, la famille de Jiri Berousek se produit régulièrement, en dehors de Prague et d'autres villes du pays, en Allemagne, où l'art du cirque possède son public fidèle et nombreux. Quelle est la situation en République tchèque ?
« Ici, personne ne nous soutient, ce qui est assez déplorable. La situation est toute autre en France, en Allemagne, en Italie ou en Espagne, où les cirques sont subventionnés soit par l'Etat, soit par les communes. En plus, comme il est très difficile de trouver des sponsors en Tchéquie, nous sommes vraiment contents pour chaque spectateur. Nous comptons sur notre renommée et sur le bouche à oreille, pour ainsi dire. En ce moment, nous sommes environ cinq cirques à nous partager le public à Prague. Voilà une chose qui me dérange et que j'impute à la démocratie : sous l'ancien régime, chaque artiste de cirque devait présenter son numéro devant un jury spécial qui veillait à la qualité de sa production. A présent, n'importe qui peut acheter une chèvre ou un poney et ouvrir soit disant 'le meilleur et le plus grand cirque en République tchèque' ! Après avoir vu un mauvais spectacle, les gens ne font plus confiance à aucun cirque et ne viennent pas chez nous, par exemple. Cela ne m'étonne plus...Il est impensable qu'une telle publicité mensongère existe par exemple en Allemagne. Notre législation, elle, le permet. »
Ladislav Knos, le manager du cirque, se souvient de l'époque où les membres de la famille Berousek étaient employés des Cirques et variétés tchécoslovaques. Lorsqu'il voit l'éléphante Duna déguster des mandarines derrière le chapiteau, quelques heures avant le spectacle, un souvenir précis lui revient à l'esprit :
« C'était en 1982. Nous sommes partis en tournée en ex-URSS, à Achgabat, au Turkménistan. Début février, nous nous sommes embarqué à Horni Pocernice pour un voyage en train qui a durée un mois environ. Nous avons traversé la Sibérie où il faisait -40°C. Malheureusement, les animaux étaient placés dans des wagons non chauffés... Au bout d'une semaine, les éléphants étaient recouverts d'une croûte glacée épaisse de 2 cm ! Cela nous a effrayés. Mais les animaux ont survécu - Duna a aujourd'hui plus de 60 ans et elle est en pleine forme. Aujourd'hui, les conditions de transport sont évidemment différentes. En plus, on ne parcourt plus de telles distances. Economiquement, c'est impossible. A l'époque, les tournées étaient organisées par l'Etat, dans ce cas-là par Les cirques et variétés tchécoslovaques et le Cirque de l'Union soviétique, deux institutions gérées et financées par les ministères de la Culture. A présent, les cirques sont privés et n'ont pas les moyens d'organiser de telles tournées. Et nous n'avons pas de sponsors... »
Le programme 2006 du Cirque Berousek mêle tradition et modernité. Parmi les invités étrangers, le trio d'acrobates ukrainiens qui a remporté, avec son numéro à couper le souffle basé sur l'équilibre et l'acrobatie aérienne, une médaille d'or en France. On écoute l'un d'entre eux :
« Je m'appelle Oleg. Je fais de l'acrobatie depuis mon enfance. Je suis diplômé de l'Ecole nationale des arts du cirque et de variétés de Kiev. Je fais essentiellement de l'acrobatie aérienne. Cela fait 20 ans que je suis dans le métier, j'ai circulé dans pas mal de cirques. C'est ma première saison dans celui-là. Je me plais bien ici, c'est un milieu assez convivial. Ce qui est le plus dur ? Les répétitions. Montrer le numéro devant le public n'est pas aussi dur que sa préparation. Le risque et le danger existent dans d'autres métiers aussi. Ce métier a encore un désavantage : les déplacements. On est constamment en voyage et rarement chez soi. Mais après tout, je me suis habitué et je n'ai même pas trop envie de rester longtemps chez moi. »
Le Cirque Berousek ouvre ses portes au public tous les jours sauf le lundi. Du mardi au vendredi, les spectacles commencent à 17h00, le samedi à 14h00 et 18h00, le dimanche à 14h00. La ménagerie est ouverte tous les jours à partir de 10h00. Plus de détails sur www.berousek.cz
Photo: www.berousek.cz