Le compositeur Thierry Escaich au festival Janáček : « Donner une couleur française à la musique tchèque »

Thierry Escaich

Coup d’envoi, ce jeudi, à Ostrava, du Festival international de musique classique Leoš Janáček. Il se poursuivra jusqu’au 1er juillet dans six villes différentes de Moravie du Nord. Parmi les invités, il y aura notamment la violoniste tchèque Iva Bittová, le chef d’orchestre américain Dennis Russell Davies et le compositeur et organiste français Thierry Escaich, dont le concert est prévu le 5 juin dans la commune de Ludgeřovice, non loin de la frontière tchéco-polonaise. Au micro de Radio Prague International, Thierry Escaich a expliqué son choix de se produire au festival Janáček.

Photo: Supraphon

« Le fait de savoir que j’allais jouer notamment un concerto d’un compositeur tchèque classique, on va dire baroque, František Xaver Brixi, ça m’intéressait particulièrement. Je trouvais ça assez intéressant de mêler sa musique avec la vision un peu plus contemporaine que j’ai, surtout quand je joue en improvisé. »

« J’aime énormément Leoš Janáček en tant que compositeur, je connais bien ses opéras, j’aime la fluidité de son langage. C’est une musique assez improvisée en fait, ça sonne comme tel mais elle ne l’est pas, elle est écrite et très bien écrite. On passe d’un sentiment à l’autre en deux accords, c’est une très grande liberté d’expression. Même si c’est structuré, on sent ce côté naturel de l’expression organique et je crois que c’est le meilleur terme. »

« J’aime aussi énormément la Tchéquie, j’ai déjà joué à Prague et dans d’autres villes tchèques, mais ce sera la première fois que je vais venir dans le cadre du festival Leoš Janáček. »

Qu’est-ce qui caractérise votre musique ?

Thierry Escaich | Photo: Claire Delamarche,  Wikimedia Commons,  CC0 1.0 DEED

« Je connais assez bien la musique tchèque et je suis quelques fois inspiré d’ailleurs par certains compositeurs qui viennent de l’Europe de l’Est et c’est important dans ma propre musique. Mais en même temps, c’est une synthèse qui se fait. Ma musique vient de César Franck, d’Olivier Messiaen, de Maurice Duruflé, c’est une transformation de ces musiques-là et donc c’est intéressant pour moi, de confronter cet univers ancré en moi. Je parle cette langue de couleur française, d’une certaine manière. Et j’aime la confronter avec des univers complètement différents et en les confrontant, il naît quelque chose d’autre. »

« Je suis résolument Français et je pense que ça s’entend dès que je suis à l’instrument mais en même temps, j’ai plein d’autres influences et c’est cette influence mélangée à ce caractère français qui va donner quelque chose d’inouï par moment. Moi évidemment, dans ma façon d’interpréter Brixi, d’improviser aussi, peut-être aussi certainement Janáček, ça va être de pousser vers une harmonie orchestrale, une couleur française. C’est une sorte d’union entre la Tchéquie et la France. C’est ma vision de cet univers. »

Quel est le message que vous souhaitez transmettre à travers votre musique ?

« Moi, j’ai vraiment besoin de communiquer. J’essaye à chaque fois de raconter une histoire, j’écris une pièce d’orchestre. J’ai des personnages thématiques qui viennent de très loin, qui luttent entre eux et puis disparaissent. Un peu comme dans un roman, j’écris une nouvelle en fait. J’aime bien quand les gens me disent que je les ai pris par la main au début, que je les ai emmenés et j’essaie de ne pas les lâcher en cours de route. C’est ça qui m’intéresse, c’est cette communion. Je souhaite les emmener dans un voyage où ils découvriront des choses. »

Comment définissez-vous votre registre musical ?

« Je pense que c’est à la fois un registre de musique classique mais classique d’aujourd’hui. Un classique qui est passé après d’autres. C’est-à-dire que ça s’inspire des harmonies qui sont venues au XXe siècle comme celle de Ravel, de Chostakovitch, de Janáček aussi d’ailleurs. Et à la fois, je puise dans des racines populaires car mon premier instrument était l’accordéon. Quand j’en jouais en étant gamin, je jouais de la musique populaire, des valses, des tangos, etc. On reconnaît des rythmes de danse, des choses comme ça et moi, j’aime bien cet alliage populaire-savant. C’est très important pour moi d’avoir une expression comprise par un public assez large. »

De quels instruments jouez-vous ?

« Pour le concert que je vais donner en Tchéquie, ce sera de l’orgue seul ou avec orchestre. Après je jouais de l’accordéon quand j’étais gamin, et puis je joue souvent du piano, je viens d’enregistrer un disque avec Patricia Petitbon, où je suis au piano et où on joue du jazz ensemble. Je joue de plusieurs instruments mais mon principal reste l’orgue. Par contre, quand j’écris, j’écris pour tous les instruments. Je viens d’écrire un opéra avec Olivier Py. Je vais également écrire une pièce pour l’orchestre de Prague, un concerto de piano. »

Que proposerez-vous aux spectateurs du festival Janáček ?

« Il y aura trois choses et c’est ce que j’aime car, comme ça, je pourrai mélanger plusieurs aspects, ce ne sera pas juste un récital d’orgue. Nous ferons, au début, un concerto de František Xaver Brixi, après je jouerai une grande pièce d’orgue de Felix Mendelssohn, une sonate en quatre mouvements et après, j’improviserai sur les thèmes de Janáček. On aura un éventail de la musique du XVIIIe siècle à aujourd’hui. »

Quel est votre sentiment à l’idée de participer à ce festival ?

« Déjà, je suis assez content de pouvoir le faire. C’est un peu pour nous, comme vous l’imaginez, la reprise après une période Covid. On a besoin de jouer, de retrouver un public. Ce sera l’une des premières fois où je retrouverai un public non français. Je suis assez heureux de retrouver cette communion avec la musique tchèque, de montrer cet univers français qui sait s’inspirer d’autres univers. »

Plus d’informations sur www.mhflj.cz

Auteur: Marion Floch
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