Le coup de Prague et sa spécificité au sein du bloc soviétique

Février 1948

Le 25 février prochain, cela fera exactement 60 ans que le « Coup de Prague » transforma la Tchécoslovaquie en dictature communiste. Le sujet a été maintes fois abordé de l’intérieur. Pourtant, la réception internationale ainsi que la spécificité tchèque au sein du bloc soviétique en disent tout aussi longs.

Winston Churchill à Fulton
Le coup de Prague et sa spécificité au sein du bloc soviétique Le 25 février prochain, cela fera exactement 60 ans que le « Coup de Prague » transforma la Tchécoslovaquie en dictature communiste. Le sujet a été maintes fois abordé de l’intérieur. Pourtant, la réception internationale ainsi que la spécificité tchèque au sein du bloc soviétique en disent tout aussi longs.

« J’ai beaucoup d’admiration et d’amitié pour le vaillant peuple russe et pour mon camarade de combat, le maréchal Staline (...). Il est cependant de mon devoir de vous exposer certains faits concernant la situation présente en Europe. De Stettin, dans la Baltique, à Trieste, dans l’Adriatique, un rideau de fer est descendu à travers le continent. Derrière cette ligne, se trouvent les capitales de l’Europe orientale : Varsovie, Berlin, Prague, Vienne, Budapest, Belgrade, Bucarest et Sofia. Toutes ces villes célèbres (...) sont soumises (...) au contrôle très étendu et croissant de Moscou.»

Quand Churchill prononce le célèbre discours de Fulton dans le Missouri, nous sommes le 5 mars 1946, soit environ deux ans avant le Coup de Prague. Le Premier ministre britannique annonce symboliquement la rupture de l’Europe en deux et le début de la guerre froide.

Si le discours est prophétique, il n’en contient pas moins quelques erreurs ! A cette date en effet, on ne peut pas encore prévoir avec certitude que la Tchécoslovaquie va basculer rapidement dans la sphère soviétique.

Certes, aux élections de mai 1946, deux mois après le discours de Fulton, les communistes remportent 40 % des voix et détiennent neuf portefeuilles dans le gouvernement. Mais, à la même époque, c’est également le cas en France et en Italie, qui ne deviendront pas pour autant des démocraties populaires.

D’ailleurs, Churchill évoque Vienne dans son discours, car l’Autriche est, au lendemain de la guerre, dans une situation incertaine : occupée en partie par les troupes russes, elle semble promise à un démembrement identique à celui qui arrivera bientôt en Allemagne. Pourtant, en mai 1955, un traité stipulera la fin de l’occupation russe et l’Autriche pourra rejoindre le camp des démocraties occidentales. Quand on pense que Prague est plus à l’ouest que Vienne, on imagine qu’il s’en fallut peut-être de peu pour que la Tchécoslovaquie suive le même destin.

Février 1948
Pourtant, si en 1948, le pays rentre officiellement dans le bloc soviétique, la situation diffère fortement d’une «démocratie populaire» à l’autre….

Qu’il s’agisse tout d’abord de la force électorale du Parti communiste, plus importante en Tchécoslovaquie et en Hongrie qu’en Roumanie et en Bulgarie. Ou encore de la technique de prise de pouvoir utilisée par les Russes.

La Tchécoslovaquie, pour sa part, a subi la technique du noyautage, appelée fort justement la technique du «Cheval de Troie» (en référence au stratagème qui avait permis au Grecs de pénétrer dans la ville de Troie, dissimulés dans un grand cheval de bois). Administration, syndicats et associations sont peu à peu noyautés par les communistes. Cela marchera tellement bien que le PCT détiendra vite l’ensemble des ministères ! A titre de comparaison, dans la Pologne voisine, les communistes détiennent 14 ministères sur 21.

Dans les autres pays comme la Hongrie ou la Roumanie, les Russes ont employé la technique du salami : il s’agit de diviser les partis politiques de les éliminer un à un, en s’appuyant sur ceux qui restent jusqu’à ce que le Parti communiste soit le dernier en lice.

En fait, les stratégies de prise de pouvoir ont d’abord varié selon le statut des pays après la guerre.

Photo illustrative: Archives de Radio Prague
La Tchécoslovaquie appartient au camp des vainqueurs, avec la Pologne et la Yougoslavie. Pendant la guerre, le pays est devenu un Protectorat allemand, tandis qu’un gouvernement en exil à Londres assurait la continuité de la République et participait aux combats aux côtés des Alliés.

Ce statut diffère de celui des quatre pays vaincus (Hongrie, Roumanie, Finlande et Bulgarie) dont les Etats se sont constitués en tant qu’Alliés du Reich et sont, à ce titre, considérés comme ennemis. Et sur le terrain, la différence de traitement par les armées soviétiques fait la différence. A Prague, on ne compte pas tous ces viols, crimes et pillages que subissent Budapest ou Bucarest lors de l’arrivée des troupes russes ! Ces pays avaient en effet, Bulgarie exceptée, participé à l’attaque contre la Russie en juin 1941.

Lorsque les troupes soviétiques pénétrent en Slovaquie, on peut s’attendre à ce que la population subisse le même sort que celui des Hongrois. Après tout, la Slovaquie fut également un Etat allié de l’Allemagne, avec Monseigneur Tiso à sa tête. Mais les autorités russes considèrent que l’ensemble du territoire tchécoslovaque relève du gouvernement Beneš et représente à ce titre un Allié. Ce statut vaudra notamment au pays d’être épargné par les lourdes réparations économiques imposées aux vaincus.

Staline
A long terme pourtant, les différences s’estomperont : la Tchécoslovaquie connaîtra, dès les années cinquante, le même régime que ses voisins du bloc : absence de démocratie, planification économique et priorité à l’industrie lourde.

Ce que l’on sait moins, c’est que le Coup de Prague aura des conséquences importantes sur l’accéleration et la cristallisation de la guerre froide. Il suit, en effet, de peu le blocus de Berlin par les Russes. Pour les Occidentaux, la question surgit : après Berlin et Prague, Staline va-t-il s’emparer de l’Europe occidentale par un système de dominos ? On sait aujourd’hui qu’il n’en était pas question. Ainsi Staline freinait-il les ardeurs du PCF à prendre le pouvoir dans la France d’après-guerre et ce quand tout était encore possible.

Après le Coup de Prague, Américains et Britanniques décident d’accélerer, dans leur zone d’occupation, une Allemagne de l’ouest politiquement et économiquement forte. En mai 1949, la création de la République fédérale d‘Allemagne, suivie bientôt par celle de la République démocratique allemande, à l’Est, consacre officiellement la division de l’Allemagne. Le Coup de Prague a hâté une évolution inéluctable.