Le drapeau tchèque célèbre son centenaire
Le 30 mars, le drapeau tchèque (à l'origine tchécoslovaque) a fêté son centenaire. Le 100e anniversaire de la création de la Tchécoslovaquie a été fêté en grandes pompes il y a seulement deux ans de cela. Des célébrations qui semblent aujourd'hui à des années lumières de l'actualité présente, quasi entièrement accaparée par la crise sanitaire provoquée par le coronavirus. Les cent ans du drapeau tchèque ne sont toutefois pas totalement passés inaperçus, et Radio Prague Int. vous propose également de plonger dans l'histoire de ce symbole national et de sa création. L'étude des drapeaux, bannières, étendards et autres pavillons étant appelée la vexillologie, c'est donc tout naturellement à un vexillologue tchèque, Aleš Brožek, que nous nous sommes adressés. (Et puisqu'il faut bien user de son temps utilement en cette période de confinement, sachez que ces termes peu courants viennent du mot « vexillum », le nom de l'étendard dans les armées romaines. Voilà pour la minute d'instruction étymologique du jour).
Quelle est votre opinion sur notre drapeau ?
« Je trouve évidemment que c'est le plus beau, parce que j'ai un lien sentimental avec lui. Je vais bientôt avoir 70 ans donc j'ai vu ce drapeau à différents moments de l'histoire. Des moments agréables comme quand notre premier astronaute l'a emmené dans l'espace ou lors d'une victoire tchèque aux Jeux olympiques. Mais je l'ai aussi vue ensanglantée en 1968. Dans ces moments-là, on a une relation différente avec son drapeau. »A qui doit-on le drapeau tchèque ?
« Il n'y a pas un auteur précis, c'était plutôt une œuvre collective. C'est la commission des insignes du ministère de l'Intérieur qui décidait alors de ce à quoi devrait ressembler notre drapeau. Trois personnes ont été particulièrement impliquées dans ce travail. Jaroslav Kursa, archiviste au ministère de l'Intérieur, qui savait peindre et s'intéressait à l'héraldique. Puis, Antonín Valšík du ministère de la Défense nationale. Il avait été officier dans la marine à l'époque de l'empire austro-hongrois. Il avait une certaine expérience de l'utilisation des pavillons en mer. Enfin, la troisième personne ne faisait pas partie de la commission en question. Il s'agissait de V. V. Štech, un représentant du ministère de l’Éducation. Il a fait venir František Kysela, un artiste de renom. C'est à lui que l'on doit le drapeau tel qu'il est aujourd'hui. En effet, à l'origine, l'idée était de créer un drapeau blanc et rouge, avec un petit triangle bleu, court, dans le premier tiers de la surface. František Kysela a proposé de rallonger ce triangle jusqu'au milieu. C'est ainsi qu'est né un drapeau plus équilibré d'un point de vue esthétique. »Comment les politiques ont-ils réagi à ce triangle ? J'ai que lu que le président Tomáš Garrigue Masaryk avait proposé de rajouter des étoiles...
« En effet, les triangles comme celui-ci étaient inhabituels à l'époque. Seule Cuba en avait un comme ça. La plupart des drapeaux étaient rayés. Nous voulions quelque chose de plus original. Mais tout le monde n'aime pas la nouveauté, et un certain Josef Záruba Pfeffermann a ferraillé contre cette idée. Il était membre du conseil constitutionnel, membre du Club slovaque et grand ami des Slovaques. Il avait le sentiment que le triangle n'exprimait pas assez la présence des Slovaques sur le drapeau. Il a eu l'idée d'intégrer dans le projet de drapeau blanc et rouge ce qu'on appelait le drapeau des Slovaques d'Amérique – il était rouge, blanc, bleu, blanc et rouge, sans étoiles. Il a essayé d'obtenir le soutien d'Edvard Beneš et de Masaryk qu'il connaissait. Il lui a envoyé sa proposition. Masaryk a répondu que l'idée lui plaisait, mais qu'il faudrait rajouter des étoiles symbolisant les différentes parties de la Tchécoslovaquie : la Bohême, la Moravie, la Silésie, la Slovaquie, la Ruthénie subcarpatique. D'un autre côté Masaryk essayait d'être impartial donc il n'en a pas parlé aux députés et n'a pas tenté de les influencer. Donc ce sont les parlementaires qui ont décidé et on préféré le projet avec le triangle plutôt que celui de Pfeffermann. Dans son projet, il est vrai que les Slovaques auraient été plus visibles, mais ça aurait donné deux drapeaux en un ce qui n'est pas très heureux. »Avez-vous réussi à en apprendre davantage sur les auteurs du drapeau ?
« Quand le drapeau a été adopté il y a cent ans, leurs auteurs n'intéressaient pas grand monde. On parlait de l'auteur de notre hymne, parce que celui-ci avait une histoire. Les journaux ont manqué la courte mention parue dans la presse officielle, annonçant que le ministère de l'Intérieur avait fait adopter la loi sur les symboles nationaux et que le professeur d'histoire Gustav Fridrich y avait largement contribué. Jaroslav Kursa et František Kysela étaient aussi mentionnés, mais personne ne s'en souciait vraiment. Ce n'est que dans les années 1960 que Jaroslav Jareš a été présenté comme l'auteur du drapeau. En 1918, il avait aussi œuvré pour que la Tchécoslovaquie ait son propre drapeau. Il avait proposé un drapeau avec un triangle noir. Il n'était pas dans la commission des insignes et n'a pas participé aux discussions. On ne peut pas le considérer comme l'auteur du drapeau. A la fin des années 1960, un historien, le professeur Svoboda, puis moi-même, avons découvert l'existence de Jaroslav Kursa. On ne savait même à quoi il ressemblait, mais les journaux ont évoqué mes recherches pour retrouver une photographie. Sa petite-nièce l'a découvert et elle m'a contactée. Nous nous sommes rencontrés, elle m'a donné des photos. J'étais vraiment très content. Ensuite c'est allé assez vite, elle m'a donné d'autres contacts. Dans le cas d'Antonín Valšík, j'ai eu la chance de découvrir son petit-fils sur internet. Lui-même ne savait pas du tout que son grand-père avait participé à la création du drapeau. František Kysela, lui, était connu sous la Première République tchécoslovaque, donc nous avions des photographies et des contacts. »Vous évoquiez la possibilité d'un triangle noir. Qu'est-ce qui a décidé de son apparence finale, blanc, rouge, bleu ?
« Dès le début, il était prévu que le drapeau tchécoslovaque soit blanc et rouge. C'étaient les couleurs du royaume de Bohême. Des drapeaux blancs et rouges flottaient quand a été posée la première pierre du Théâtre nationale ou pendant les fêtes patriotiques au XIXe siècle. Malheureusement, l'Autriche avait utilisé le rouge-blanc-rouge et la Pologne avait aussi le blanc et rouge. Il y aurait donc eu confusion. La commission des insignes a donc décidé de rajouter une couleur, le bleu – le blanc, le rouge et et le bleu sont des couleurs associées aux Slaves. »
En 1993, la Tchécoslovaquie s'est scindée en deux Etats indépendants. Les Tchèques ont conservé le drapeau. Etait-ce un problème à l'époque ?
« Oui, c'était un problème car il y avait une loi sur la dissolution de la Tchécoslovaquie statuant que ni la République tchèque ni la Slovaquie ne pouvaient continuer à utiliser les symboles nationaux de la Tchécoslovaquie. Elle a été adoptée fin 1992. Quand les politiques ont commencé à travailler sur une loi établissant les symboles du nouvel Etat, certains d'entre nous ont servi de conseillers dans le comité chargé de la tâche en question. L'une de ces personnes, Jiří Louda, un célèbre expert en héraldique a souligné combien le drapeau était important pour nous, et tout le monde était d'accord avec lui. Tout le monde aimait notre drapeau. Du coup, le Parlement a approuvé que le drapeau soit conservé. Une majorité de députés y était favorable. Seuls quelques politiques n'étaient pas d'accord, car ils craignaient que cela cause des problèmes avec la Slovaquie. »Les Slovaques l'ont-ils accepté ?
« Ils ont bien dû. Bien sûr, cela a causé des remous. Le Premier ministre d'alors, Vladimír Mečiar a même dit que la Tchéquie devrait leur payer un million de couronnes pour l'utilisation du drapeau. Mais rien de tout cela n'est finalement arrivé. C'était une époque pleine d'émotions. »
Quelle relation les Tchèques entretiennent-ils avec leur drapeau ? Aux Etats-Unis, les gens ont souvent un drapeau devant leur maison. En Tchéquie, ça semblerait étrange, impossible...
« C'est typique pour les Américains ou les Danois. Au Danemark, les gens ont souvent devant leur maison un mât où flotte un drapeau danois. Après la création de la Tchécoslovaquie, il y a eu des articles de Tchèques d'Amérique qui ne comprenaient pas pourquoi le drapeau ne flottait jamais nulle part chez nous. C'est une caractéristique nationale : les Tchèques sortent leur drapeau quand nous remportons un succès sportif, mais pas le 28 octobre pour la fête nationale, ni le 1er janvier, date anniversaire de la création de la République tchèque. »