Le leg de Jaroslav Foglar
Plusieurs générations de lecteurs ont aimé les ouvrages de l'écrivain tchèque, Jaroslav Foglar. Il a été et il est toujours l'ami des garçons, des hommes mûrs et des vieux. Il serait difficile de trouver dans notre pays un homme qui n'aurait pas été touché, dans sa jeunesse, par le charme sobre et salutaire des écrits et des bandes dessinées de cet auteur très spécial.
Comment expliquer le phénomène Foglar? Serait-il doué d'un talent littéraire tellement irrésistible? Son succès résiderait-il dans sa personnalité? Le secret de Jaroslav Foglar semble être ailleurs. "Je ne me considère pas comme une personnalité, déclare-t-il. Je suis un homme normal, ma pensée n'a pas beaucoup changé depuis le temps où j'étais gosse." Oui, la cause principale du succès de cet écrivain réside sans doute en cela. Son coeur est resté, au fond, celui d'un petit garçon. On dit d'ailleurs que la majorité des hommes gardent le coeur de petit garçon, bien qu'il soit soigneusement caché sous l'apparence d'une maturité sans faille. Jaroslav Foglar, lui, osait l'avouer. Cela expliquerait aussi pourquoi aujourd'hui les hommes de toutes les catégories d'âge ne peuvent pas s'empêcher de parler de l'écrivain de leur jeunesse avec un regard malicieux et un certain attendrissement.
Il ne faut pas oublier non plus qu'en écrivant ces livres, Jaroslav Foglar comble un certain vide. Ce vide d'ailleurs est ressenti avant tout par lui. "Depuis ma tendre jeunesse, dit-il, je cherchais un livre dans lequel je pourrais apprendre ce que je suis, si je suis un bon à rien, ou un garçon capable. Mais tous les livres que j'ai eus sous la main ne parlaient pas de garçons mais de grandes personnes. Alors, j'ai pris la décision d'écrire moi-même un tel livre quand je serais grand." Jaroslav Foglar est donc un de ces hommes rarissimes qui ont rempli les promesses qu'ils s'étaient données dans leur enfance. Plus, il a sacrifié toute sa vie pour remplir cette promesse.
"Ils voulaient quelque chose et ne savaient pas exactement quoi. Ils cherchaient des histoires à vivre, ils cherchaient l'aventure des livres qu'ils avaient lus, mais ils ne trouvaient rien." C'est ainsi que Jaroslav Foglar caractérise les états d'âme des petits héros au début de son livre "Les garçons de la Rivière des castors". Et il satisfait ce désir d'aventure de ses petits héros en créant le personnage un peu mystérieux de Rikitan qui donne à ce désir une forme concrète, qui entraîne les garçons dans l'aventure et qui porte en lui aussi un message: on n'est pas obligé d'aller chercher l'aventure à l'autre bout du monde, elle est à portée de main, il suffit de la saisir. Ainsi, les héros des livres de Jaroslav Foglar, qu'ils soient scouts dans des colonies de vacances, qu'ils vivent dans le paysage urbain, partent à l'aventure. Ils luttent avec des garçons de clans ennemis, ils découvrent la nature et ils dévoilent divers mystères tout en cultivant l'amitié et les vertus de scouts véritables. Ce n'est pas d'ailleurs facile car ils sont obligés, bien sûr, de subir toutes sortes d'épreuves, dont l'épreuve du silence qui est la plus difficile, car elle oblige les garçons à ne pas parler pendant quelque temps. Dans ses livres, Jaroslav Foglar humanise en quelque sorte le scoutisme et lui donne un caractère plus libre et, si j'ose dire, plus démocratique qu'à l'ordinaire. Ses héros et surtout ceux de la série des Flèches rapides sont liés plus par l'amitié que par la discipline et prennent des décisions communes en cherchant un consensus.
Pendant une grande partie de sa vie, Jaroslav Foglar aura l'occasion d'ailleurs de mettre en pratique sa conception originale du scoutisme. A partir de 1925, il est chef d'une troupe de scouts qui va adopter le nom d'un de ses livres "Les garçons de la Rivière des castors". Un des membres de la troupe, Rudolf Zahradnik, devenu beaucoup plus tard président de l'Académie des Sciences tchèque, se souvient: "Le désir des garçons de vivre des aventures romantiques est immortel. Jaroslav Foglar a réussi à encadrer ce désir dans un espace où chacun trouvait sa part. Cet espace était en même temps empreint du sens de l'honneur et de la justice - qualités dont nous ressentons aujourd'hui si souvent l'absence. Celui qui savait être ouvert à tout cela, a appris dans sa jeunesse les principes élémentaires de la morale pour toute sa vie. Foglar était un éducateur original qui a consacré sa vie à son rêve, et il était en plus capable de transmettre son rêve aux autres."
Jaroslav Foglar est loin de jouir pendant toute son existence des faveurs des puissants. Au contraire, bien qu'apolitique, il ne peut publier librement que pendant quelques courtes périodes - vers la fin des années trente, juste après la Deuxième Guerre mondiale, un peu dans les années soixante et dans la dernière décennie de sa vie lorsqu'il est déjà affaibli par le grand âge et la maladie. Les nazis ne le supportent pas et les communistes ne peuvent pas le souffrir. On lui reproche parfois aussi une certaine trivialité de ses écrits et le schématisme dans la peinture de ses personnages. C'est sans doute vrai, mais on oublie parfois que Foglar n'écrit pas pour les grandes personnes et que c'est grâce à une certaine simplification propre aux enfants qu'il réussit à pénétrer dans l'âme de ses lecteurs. Ceux-ci d'ailleurs lui témoignent toujours leur admiration. Interdit de publication, Foglar reste quand même un des auteurs les plus lus. Ses livres et les cahiers des Flèches rapides, souvent en état d'extrême usure et presque déchirés, circulent parmi les jeunes avec une fréquence extraordinaire dans les années 40 sous l'occupation allemande aussi bien que dans les sombres années 50 ou dans les années 70 et 80 sous l'occupation russe. En lui interdisant de publier, on n'a fait qu'attiser l'intérêt pour ses oeuvres. Jaroslav Foglar meurt le 23 janvier 1999 à l'âge de 92 ans mais sa disparition ne pourra pas nuire vraiment à son immense popularité.
Quand on cherche les raisons de sa popularité, on ne doit pas oublier l'aspect romantique de son oeuvre qui fait vibrer la corde secrète dans la poitrine des jeunes. Il en était d'ailleurs conscient. "Je vois un certain danger dans l'influence de la technique qui risque de rendre trop sobre l'esprit des jeunes, a-t-il dit. Mais je ne le crains pas trop. Mes histoires sont lues aussi par les enfants d'aujourd'hui, car chaque jeunesse est romantique, qu'elle le veuille ou non."