Prašina ou les Mystères de Prague
Des immeubles décrépits, des façades délabrées, des rues sans voiture et sans éclairage électrique, de rares passants qui ressemblent à des fantômes, des recoins, des passages et des escaliers sombres où il est dangereux de s’engager. Tel sont les décors du roman que son auteur, Vojtěch Matocha (1989), a situé au cœur de Prague et qu’il a intitulé Prašina.
Un quartier où le temps s’est arrêté
Vojtěch Matocha est un jeune auteur qui gagne sa vie comme développeur d’applications mobiles et qui est donc l’homme par lequel le progrès arrive dans nos existences. Dans son premier roman, il nous amène pourtant dans un quartier imaginaire de Prague où le progrès n’existe pas et où le temps s’est arrêté :« Je trouve qu’à Prague il y a aujourd’hui très peu d’endroits où l’on peut vivre une véritable aventure, des endroits qui ne sont pas trop marqués et domptés par la civilisation. Il me manquait un espace dans la ville où les enfants pourraient aller, où ils seraient seuls et ne pourraient compter que sur eux-mêmes, parce qu’il n’y aurait pas de signal mobile et on ne pourrait pas appeler au secours. Un espace où il y aurait encore du danger et du mystère. Aujourd’hui Prague manque d’un tel endroit. »
Les recoins inexplorés de Vinohrady
Le roman est donc pour Vojtěch Matocha un moyen pour créer dans son imagination ce qui lui manque dans la vie réelle. C’est au milieu de Prague, ville en plein développement, qui bénéficie de tout le progrès technologique, qu’il situe Prašina, un espace mystérieux resté à l’époque du XIXe siècle, un quartier qui, tel un organisme vivant, s’agrandit ou se rétrécit au rythme des saisons. Il a trouvé l’inspiration pour son roman dans son quartier :
« J’habite le quartier de Vinohrady et c’est un espace avec beaucoup de coins inexplorés. Il s’agit surtout des cours, des intérieurs des pâtés de maisons. Même les habitants de Vinohrady ne connaissent que les rues de leur quartier, mais il suffit parfois de s’engager dans un passage pour qu’on découvre un monde tout à fait différent. On y trouve par exemple une vieille voiture rongée par la rouille et des murs décrépits parce que seules les façades de la rue ont été restaurées et l’intérieur a été laissé tel quel. »
Les aventures fabuleuses de Jirka et de sa copine
Les habitants de Prague ne pénètrent que rarement dans ce ghetto inquiétant qu’est le quartier de Prašina. Ils tolèrent l’existence de cette enclave du vieux monde dans leur ville, sans se douter que cet îlot d’immobilisme pourrait ébranler toute la capitale et mettre en danger leur propre vie. Il n’y a que quelques initiés qui connaissent les mécanismes mystérieux dont le fonctionnement est indispensable pour l’existence même de Prašina, mécanismes qui commencent à manifester des signes d’usure très graves. Ce ne sont qu’eux qui se rendent compte que cette situation risque d’aboutir à une catastrophe. Parmi ces initiés qui cherchent à sauver leur quartier et son caractère suranné, il y a le grand-père de Jirka, héros du livre. Voici comment Vojtěch Matocha résume les exploits de ce garçon courageux et intelligent qui part à l’aventure avec En, sa copine :
« Tout commence par la décision de Jirka de rendre visite à son grand-père qui habite dans le quartier de Prašina. Et lors de sa rencontre avec son grand-père, Jirka découvre que le vieillard s’est occupé pendant toute sa vie d’une activité complètement ignorée du reste du monde, activité qui était liée à l’essence même de ce quartier. Et le garçon se rend compte qu’un groupe de malfaiteurs cherchent à tuer son grand-père. Celui-ci étant trop vieux pour participer physiquement à l’aventure, c’est Jirka, en personne, qui doit se charger de cette tâche, s’engager dans la lutte contre les malfaiteurs et sauver son aïeul. »Dans les traces de Jaroslav Foglar, l’icône des scouts tchèques
Jirka et En se lancent donc dans une série d’aventures dangereuses à l’issue desquelles ils feront plusieurs découvertes importantes et surprenantes. On pourrait trouver toute une série d’auteurs dont les livres ont influencé le premier roman de Vojtěch Matocha. Il en est d’ailleurs conscient et cite notamment parmi ces romanciers Jaroslav Foglar, auteur d’innombrables romans d’aventures pour adolescents et gourou des scouts tchèques, mais aussi par exemple Miloš Urban, écrivain qui a animé le vieux Prague de nombreuses histoires mystérieuses ou encore Michal Ajvaz, qui a découvert dans ses visions surréalistes qu’une ville peut avoir une double existence. Ajoutons-y également Jules Verne, dont les romans utopiques se sont profondément gravés dans la mémoire et même dans le subconscient de plusieurs générations de jeunes lecteurs. Et ce sont les jeunes lecteurs qui sont également visés par Vojtěch Matocha :
« Le livre est destiné aux lecteurs à partir de neuf ans et le héros est âgé de treize ans. Quand je faisais partie d’une troupe de scouts dans un camp, le soir, je lisais toujours un livre. Ainsi j’ai lu le Hobbit, L’Ile au trésor et d’autres livres de ce genre, et en lisant tous ces ouvrages, j’avais l’impression qu’ils n’étaient pas destinés â être lus à haute voix justement le soir. Dans certains chapitres, il n’y a que des descriptions. Je cherchais donc à écrire quelque chose qui pourrait être lu le soir dans les camps scouts, et c’est de cette façon que j’ai écrit Prašina où il y a de l’action dans chaque chapitre, ce qui ne permet pas à ceux qui écoutent de s’endormir pendant la lecture. »
Un antidote contre des modes de vie trop connectés ?
Une partie de la critique salue Vojtěch Matocha comme un héritier de Jaroslav Foglar, héritier qui pourrait ressusciter le genre du roman d’aventures pour adolescents. D’autres apprécient que le jeune auteur ait rajeuni le genre de motifs contemporains. Il se peut aussi qu’en inventant Prašina, un espace sans technologie moderne, l’auteur a créé une espèce d’antidote contre le monde sophistiqué dans lequel nous vivons, monde dans lequel nous cédons une grande partie de nos activités à des technologies et les laissons vivre nos vies à notre place. Cependant, bien qu’on puisse déceler cet aspect et cet avertissement dans son livre, Vojtěch Matocha n’est pas de ceux qui s’opposent aux nouvelles technologies et à l’évolution du monde. Loin de là :
« Il semble, au début du roman, que j’ai renoncé à toute technologie et que cet aspect y sera tout à fait absent. Au fil de la lecture, cela ressemble de moins en moins donc à un roman de Jaroslav Foglar et le livre se rapproche de plus en plus du genre qu’on appelle ‘steampunk’. Dans le roman s’impose de plus en plus l’idée du XIXe siècle que la science, la technologie et le progrès sont très importants. Sans révéler tout à fait le dénouement du livre, je peux dire que la science et la technologie finissent par sauver les jeunes héros du livre dans plusieurs situations. »