Le modèle de la 1ère République

Tomas Garrigue Masaryk
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Nous fêtons, le 28 octobre prochain, la naissance de la Tchécoslovaquie indépendante, en 1918. Inséparable de la figure de Masaryk, la 1ère République constitue à bien des égards un véritable laboratoire en matière sociale et politique. Sans aucun doute, cette période restera, dans la conscience nationale, comme une véritable référence. Voici pourquoi...

Avec la création de l'Etat tchécoslovaque le 28 octobre 1918, les Tchèques se retrouvent seuls face à eux-mêmes. Au-delà de la liesse populaire, un constat s'impose : il faut désormais définir ses propres idéaux. L'heure n'est plus à la critique du centralisme viennois ou à la défense des droits des Slaves car tout est à inventer.

T.G.Masaryk, qui s'était, dès la fin du XIXe siècle, méfié de tout nationalisme étriqué, avait déjà pris ce recul. C'est peut-être cela qui explique la solide nature de la démocratie tchèque, seule démocratie en Europe centrale. Mais c'est également la personnalité du premier président tchécolsovaque qui a donné cette couleur particulière au régime. Par son humanisme, qu'il a appliqué aux affaires de l'Etat, il a constitué une oeuvre fondatrice pour la conscience nationale.

Durant l'entre-deux guerres, la Tchécoslovaquie possède l'une des législations sociales les plus progressistes d'Europe : journées de huit heures, indemnités chômage et système d'assurances maladie, le gouvernement respecte les principes de la social-démocratie traditionnelle. Prague voit également s'ouvrir de nombreuses crèches. Mais surtout, dans tout le pays, on assiste à un véritable avant-gardisme en matière sociale. On peut évoquer le site des usines Bata à Zlin, en Moravie, avec ses maisons ouvrières équipées d'eau et d'un jardin, ses espaces verts ou encore son cinéma. On pense aussi aux bâtiments sociaux, asiles et hôpitaux, construits à Krc, au sud de Prague, dans les années vingt par l'architecte Bohumir Kozak. Au total, un souci du social lié à l'efficacité économique, qui aura inspiré de nombreux entrepreneurs. La République n'a pas qu'innové au plan architectural !

L'un des aspects les plus modernes de la 1ère République est sans doute l'octroi du droit de vote aux femmes, dès 1920. Avec la Pologne, la Tchécoslovaquie représente le premier pays en Europe à avoir accordé le droit sans restriction quelconque. En France, il faudra attendre 1944...

Humaniste à l'intérieur, la Tchécoslovaquie se veut aussi gardienne des droits de l'homme pour ses plus proches voisins. Durant la 1ère République, le pays renouera avec sa tradition de terre d'accueil. Dans les années vingt d'abord, Prague s'impose, avec Paris et Londres, comme l'un des plus importants centres d'émigration des Russes Blancs, qui fuient les persécutions bolcheviques. On compte en tout 22 000 personnes. Dans les années 30, c'est au tour des opposants anti-nazis de chercher refuge dans la cité vltavine. Dès 1934 arrivent des sociaux-démocrates viennois puis de nombreux artistes et intellectuels autrichiens et allemands, soit un total d'environ 20 000 personnes. Parmi les plus célèbres, l'écrivain Thomas Mann et le peintre Oskar Kokoschka se voient offrir la citoyenneté tchécoslovaque par Benes, qui succède à Masaryk en 1935.

Bien sûr, tout ne peut toujours être parfait dans le meilleur des mondes et il y a tout de même une catégorie qui n'a pas profité de la tolérance officielle : il s'agit des catholiques. A vrai dire, plus que les catholiques, qui représentent près de 94 % de la population en 1918, c'est l'institution elle-même qui est victime d'attaques. Celles-ci ne seront pas anodines puisque, dans les années 20, il ne reste officialement plus que 58 % de catholiques, principalement en Moravie. Entre-temps a été créée l'Eglise nationale tchécoslovaque, indépendante du Vatican. Avec ce dernier, les relations deviennent d'ailleurs de plus en plus tendues et frisent la rupture en 1925.

Hussite de coeur, Masaryk n'aimait ni la noblesse (supprimée en 1920) ni l'institution ecclésiale. C'est sans doute sa seule injustice, quand on sait que le bas-clergé catholique soutenait à plein la République à sa naissance.

Leopold Hilsner
Le bilan des minorités ethniques est également plus contrasté mais cela n'est pas à reprocher à la sphère politique. Les tensions passant au sein de la population entre Tchèques et Slovaques puis entre Tchèques et Allemands échappaient bien souvent au contrôle du pouvoir central. Sur le papier, la constitution de 1920 inscrit noir sur blanc le respect des minorités. Dans les districts où une ethnie représente plus de 20 % de la population, le dialogue avec l'admnistration peut se faire dans la langue de l'ethnie. Durant la 1ère République, le pays compte 51 % de Tchèques, 23 % d'Allemands, 14 % de Slovaques mais aussi des Hongrois, des Juifs et des Roumains.

En 1899, un certain Hilsner, Juif tchèque, est accusé de meurtre rituel, accusation traditionnelle du vieil anti-judaïsme médiéval. Ce qui deviendra l'affaire Hilsner ne sera en tout cas pas une affaire Dreyfus tchèque car Masaryk parviendra à faire innocenter le malheureux. Une action qui symbolise bien le futur Etat tchécoslovaque mais qui fait égalmement passer Masaryk, aux yeux de certains nationalistes, comme un traître à la patrie.

Aux obsèques du président, le 27 septembre 1937, on voit Tchèques et Slovaques réunis tous ensemble dans un vibrant hommage à leur premier président. Si Masaryk ne faisait pas l'unanimité avant 1918, sa politique démocratique et humaniste semble avoir emporté l'adhésion de la nation toute entière. Reste à savoir ce qu'il en reste aujourd'hui.