Tomáš Garrigue Masaryk, les traits humains d’un homme politique
Donner un visage humain à une personnalité historique – tel a été l’objectif des auteurs de TGM, bande dessinée qui retrace la vie du premier président tchécoslovaque Tomáš Garrigue Masaryk. Zdeněk Ležák, auteur du scénario, et Petr Holub, alias Holman, dessinateur, ont cherché et trouvé dans la vie du président les éléments et les épisodes montrant que ce philosophe et professeur d’université était également un homme d’action.
Les sources du scénario
Ce sont les Entretiens avec Masaryk de Karel Čapek qui ont servi de source principale à Zdeněk Ležák pour adapter la vie du président en bande dessinée. Ce livre, dans lequel Masaryk répond aux questions de l’écrivain Karel Čapek, n’est pas cependant un simple entretien, une interview dans le sens journalistique du mot, c’est aussi un récit, une biographie, un essai philosophique et politique auquel Masaryk a participé non seulement comme personne interrogée mais aussi comme co-auteur. Zdeněk Ležák a eu la tâche difficile de présenter aux jeunes lecteurs de BD la vie du président tchécoslovaque dans le contexte de son époque :« Ce livre est basé sur les Entretiens avec Masaryk de Karel Čapek. Il y a donc beaucoup d’informations mais pas assez pour le lecteur contemporain afin qu’il puisse comprendre le contexte historique. J’hésitais sur les choses qu’il fallait encore expliquer au lecteur et ce qui était évident. Ce qui était évident pour moi, n’était pas forcément évident pour le lecteur. »
L’histoire d’un garçon pauvre promis à un destin fabuleux
Les dessins de Petr Holub et les commentaires de Zdeněk Ležák apprennent au lecteur que le futur président est né en Moravie en 1850 dans des conditions extrêmement modestes. Son père, un cocher d’origine slovaque, est analphabète et n’apprends à écrire qu’avec son fils, sa mère est cuisinière. Le jeune Tomáš est d’abord apprenti serrurier, puis forgeron, mais son intelligence et sa soif de connaissances l’amènent finalement au lycée allemand de Brno puis à l’Université de Vienne. A partir de 15 ans, il gagne sa vie en donnant des leçons aux enfants de familles aisées, et notamment au fils du préfet de police Anton Le Monnier. C’est à Vienne que commence également sa carrière universitaire. Lors d’un séjour d’études à Leipzig, il fait la connaissance de Charlotte Garrigue, jeune Américaine dont il tombe amoureux et qui deviendra sa femme. C’est avec elle qu’il s’installe finalement à Prague où il devient professeur d’université. Ses écrits, ses conférences, ses activités journalistiques le propulsent bientôt au premier rang de la vie publique. En retraçant cet itinéraire, Zdeněk Ležák a mis l’accent sur les éléments susceptibles d’attirer les jeunes lecteurs :« Je veux que cette BD soit lue par les adolescents de quinze ans. D’autres livres sur le même sujet sont d’un niveau plus élevé, mais ils sont moins digestes pour tout un chacun. Je l’imagine comme une invitation à ce que le lecteur aille acheter un autre livre et commence à s’intéresser à ce sujet. »
Masaryk, homme d’action
La BD est un genre d’action. Le lecteur de la BD désire être captivé, séduit et intrigué par la richesse des événements, il veut être toujours étonné, toujours surpris. Zdeněk Ležák s’en rend bien compte :
« Nous avons toujours essayé de pousser notre BD vers l’action. C’est une BD sur un homme politique, un journaliste et un professeur. Quand vous dîtes cela, vous vous endormez déjà avant de finir la phrase. Il fallait donc insister sur les épisodes comme le voyage en mer dramatique, sur le fait que Masaryk s’est jeté à l’eau, etc. Ce sont des éléments qui, en somme, ne sont pas essentiels dans la vie de Masaryk, mais nous avons été obligés de les accentuer. »Le lecteur de la BD voit donc renaître dans les dessins de Petr Holub la révolte du jeune Masaryk contre le directeur du lycée de Brno, l’histoire de son amour pour Charlotte Garrigue, son acte quasi héroïque lorsqu’il se jette à l’eau pour sauver une dame de Leipzig proche de se noyer, sa traversée de l’Atlantique sur un paquebot délabré qui ne résiste qu’avec beaucoup de peine aux vagues déchaînées de la mer orageuse.
Les conflits qu’il provoque par ses attitudes intransigeantes pendant sa carrière universitaire à Prague représentent d’autres des éléments dramatiques de la vie de Masaryk. Il s’agit notamment de sa mise en cause de l’authenticité des manuscrits de Dvůr Králové et de Zelená Hora, censés être les premiers textes littéraires de langue tchèque. Selon leurs défenseurs, ces parchemins datent du Moyen Age, selon leurs critiques, dont Masaryk, il ne s’agit que de faux. Un autre grand conflit entre Masaryk et la société majoritaire éclate lorsqu’il prend la défense de Leopold Hilsner, un juif injustement accusé de meurtre rituel, une affaire comparée parfois à celle de Dreyfus.
Des situations dangereuses et conflictuelles se multiplient aussi dans la vie de Masaryk après le début de la Première Guerre mondiale lors qu’il voyage à travers le monde pour réaliser son plan de création de la Tchécoslovaquie, un Etat commun des Tchèques et Slovaques. Zdeněk Ležák insiste dans son scénario sur les aventures de Masaryk en Russie où le futur président s’est rendu pour encourager et réorganiser les Légions tchécoslovaques :« Les combats se poursuivent autour de lui, l’armée de Kerenski affronte les bolchéviques, et Masaryk est emprisonné dans son hôtel. Cela se passe en 1917, juste après son arrivée en Russie. Et il réussit à créer sa légende, il devient ce qu’on appelle ‘le petit père Masaryk’, légende qui est en train de naître déjà depuis quelque temps. Pour les soldats tchèques, il apparaît comme un héros. Il survit à cette épreuve, il ne s’effondre pas, il marche sous les balles, comme si de rien n’était. Masaryk fait tout cela pour raffermir le moral des soldats tchèques et slovaques et il réussit. Et cela faisant, il fait du bon marketing pour lui-même. »
Père de la Tchécoslovaquie indépendante
Principal artisan de la naissance de la Tchécoslovaquie, un Etat qui se constitue en 1918, Masaryk qui jouit d’une immense popularité, est élu président de la nouvelle République. Malgré son âge avancé, il sera réélu trois fois et ne démissionnera qu’en 1935. Sous sa présidence, la Tchécoslovaquie devient un îlot de démocratie entouré de régimes plus au moins autoritaires en Europe centrale.
Cependant, pour les auteurs de la BD, cette période de la vie de Masaryk n’est pas assez riche en rebondissements. Quelques pages leur suffisent seulement pour résumer donc la dernière étape de la vie du président, étape qui est pourtant la plus importante. Il est évident que leur critère pour choisir les événements dans la vie du président n’a pas tellement été leur importance, mais plutôt leur caractère dramatique, et qu’ils ont recherché surtout les traits humains du héros de leur BD. Zdeněk Ležák le dit d’ailleurs tout à fait clairement :
« Masaryk est plus un symbole qu’un homme, il est presque déshumanisé. J’exagère un peu mais quand on parle de lui, il est toujours homme d’Etat, journaliste, professeur, député du parlement autrichien. C’est comme un personnage de manuel scolaire, nous ne voyons pas son côté humain. Ce qui m’intéressait donc, c’était de découvrir un peu l’homme Masaryk. Mais quand vous cherchez à le faire, vous vous rendez compte que l’auréole qui le nimbe est tellement épaisse qu’on a de la peine à l’approcher. »
La bande dessinée TGM est sorti en 2018 aux éditions Argo.