Le monument de Vitkov - son passé, son avenir
La première nuit des musées en République tchèque, le 5 juin dernier, a ouvert en grand les portes d'une vingtaine de monuments autrefois fermés au public, tel celui de Vitkov, dominante incontournable de Zizkov, quartier pittoresque de Prague portant le nom du fameux leader des troupes hussites, Jan Zizka. La statue équestre de ce dernier fait d'ailleurs partie intégrante du monument qui se dresse au sommet d'une colline boisée au-dessus du quartier.
La nuit des musées a été l'occasion, rare, de visiter le monument de Vitkov, une construction austère et mystérieuse au passé mouvementé. Depuis bientôt 15 ans, le monument est fermé au public, personne ne sachant qu'en faire. Jusqu'en 1989, le monument de Vitkov a, en effet, été une sorte de mausolée abritant les cendres des plus hauts fonctionnaires communistes. Et pas seulement les cendres. A l'instar de Lénine à Moscou, le corps embaumé du premier président communiste tchécoslovaque, Klement Gottwald, a été exposé dans une salle spéciale de Vitkov, de 1953, date de sa mort, à 1962.
Eh oui, je vous avais averti au début, le monument de Vitkov est un endroit austère et sombre. Bien que les urnes avec les cendres des fonctionnaires ne s'y trouvent plus, ses intérieurs produisent toujours l'impression d'une crypte. Les monumentales pierres tombales en marbre sur lesquelles sont inscrits les noms des présidents communistes Antonin Zapotocky et Ludvik Svoboda y sont restées en tant que témoins tacites de l'époque.
Pourtant, le monument de Vitkov n'était pas prédestiné à une telle fonction. Il a été érigé à l'endroit même d'une victoire écrasante des hussites sur les croisés. La bataille livrée en 1420 et la figure de Jan Zizka, leader légendaire des hussites, sont devenues une source de fierté nationale dans la deuxième moitié du XIXe siècle. En 1882, on a fondé l'Association pour l'édification d'un monument Jan Zizka sur la colline de Zizkov. A l'époque, la colline était un endroit vide et l'unique dominante de Prague encore inexploitée. Le premier concours organisé en 1913 fut interrompu par le premier conflit mondial. D'autre part, la résistance contre l'Autriche-Hongrie a ravivé la tradition hussite. Les légionnaires tchécoslovaques appelaient leurs unités des noms des leaders hussites, l'invincibilité des ancêtres étant devenue un engagement. Peu après la création de la Tchécoslovaquie, en 1918, est née l'idée de l'édification d'un monument de libération nationale, à la mémoire des légionnaires. Le prochain monument était destiné à devenir un symbole digne de la jeune République et un panthéon des personnalités glorieuses de l'Etat. C'est le projet de l'architecte Jan Zazvorka qui sort victorieux du concours organisé en 1925. La première pierre est posée le jour de l'anniversaire de la bataille de la Montagne blanche, le 8 novembre 1928. Le président Masaryk, le ministre des Affaires étrangères Benes, les maires de Prague et de Zizkov, les représentants des légionnaires, des Sokols, et ceux de l'armée participent à la cérémonie.
Les travaux de construction sont achevés en 1932, à l'exception de la décoration artistique. Les reliefs sont assez remarquables : la Fuite, la Défense, la Mort et le Sacrifice ont été spécialement créés pour ce monument par le sculpteur Karel Pokorny entre 1936 et 1938. Les mosaïques de grande dimension ont été réalisées selon les projets de Max Svabinsky et Jakub Obrovsky. Les événements de Munich empêchent toutefois l'ouverture solennelle du monument. Pendant l'occupation du pays, le monument sert d'entrepôt du matériel militaire. Les travaux reprennent après la guerre, en 1949. La dépouille du soldat inconnu de Dukla est déposée à Vitkov. Et le 14 juillet 1950, on y dévoile la statue équestre de Jan Zizka, oeuvre du sculpteur Bohumil Kafka.
La prise du pouvoir par les communistes met fin au sens initial du monument en tant que mémorial des légionnaires. Ceux-ci devaient dès lors être oubliés et rayés de l'histoire tchèque. Le bâtiment allait devenir un lieu de culte posthume des fonctionnaires du PCT. En 1955, le bâtiment est agrandi d'une salle de l'armée soviétique, de style réalisme socialiste. Dans le même esprit, on remanie d'autres locaux du monument, dont le salon présidentiel. Suivant l'exemple du mausolée sur la place Rouge de Moscou, Vitkov accueille, en 1953, le corps embaumé de Klement Gottwald et cette tradition se produit avec les funérailles des présidents Zapotocky et Svoboda. Un laboratoire entretenant les restes corporels de Gottwald dans un état satisfaisant y travaillait jour et nuit. En dépit de leurs efforts presque surhumains, le corps de Klement Gottwald est incinéré, en secret, en 1962. Peu à peu, le culte stalinien faiblit et, avec lui, le caractère pompeux qui s'était créé autour du monument. Dans les années 1970-1980, Vitkov est devenu un lieu de pèlerinage obligatoire pour les visiteurs de Prague. L'année 1989 met fin à la conception strictement idéologique du bâtiment. Les cendres et les cercueils des fonctionnaires sont définitivement déplacés d'ici en 1991.
La construction monumentale du monument reste comme un point d'interrogation au-dessus de Prague. Pendant un certain temps, on évoqua sa transformation en un parc de repos et de divertissement dans lequel l'architecture aurait joué le rôle d'une curiosité monstrueuse. Mais ce projet ne survécut pas à la décision du gouvernement de réhabiliter certains objets dont l'importance pour la formation de la conscience historique des citoyens ne peut pas être négligée. Dans cette logique, le bâtiment a été confié, en 2000, au Musée national. Les travaux sur la réhabilitation du bâtiment et la nouvelle définition de sa mission ont commencé. Le remaniement doit tenir compte tant des exigences posées par le prochain centre multiculturel qui doit y naître, que de la tradition de l'endroit et du caractère de la construction. La tâche n'est pas facile, le remaniement ne sera pas terminé avant fin 2010. En attendant, la colline est devenue un lieu de promenades des Pragois et les touristes étrangers y admirent les vues inattendues sur le panorama de Prague.