Le palmarès de la bande dessinée tchèque

'Bez vlasů' (Sans cheveux), photo: Paseka Publishing

Muriel - tel est le nom des prix décernés chaque année aux meilleures bandes dessinées tchèques et cette année ne fait pas exception, malgré la pandémie de coronavirus. L'Académie de la bande dessinée tchèque vient de distinguer des ouvrages dans onze catégories différentes ce qui s'explique par le fait que la BD est un genre multiforme qui évolue et se ramifie.

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Une BD difficile à traduire

Parmi les lauréats des prix Muriel cette année, il y a donc non seulement les auteurs du meilleur livre, mais aussi ceux du meilleur scénario, du meilleur dessin, de la meilleure BD courte, de la meilleure BD pour enfants et du meilleur strip, ce qui est une forme de la bande dessinée extrêmement réduite qui ne comprend que quelques cases en forme de gag.

'Strange Planet',  photo: Universum

Une catégorie spéciale est réservée à la meilleure traduction de bandes dessinées en tchèque. On dirait que le texte de la BD n'est pas très important parce qu'il est souvent réduit au minimum et l'histoire est racontée surtout par le dessin. Mais ce n'est pas si simple parce qu'il y a les BD où le texte joue un rôle important et sa traduction peut poser énormément de problèmes. Tel a été le cas de la BD américaine Strange Planet dans laquelle son auteur Nathan W. Pyle raconte d'une façon très originale le comportement bizarre des habitants d'une planète étrange. Traduire les textes extrêmement concis de cette bande dessinée s'est avéré cependant comme une tâche particulièrement difficile. La traductrice Michala Marková a réussi ce tour de force bien qu'elle avoue avoir beaucoup hésité avant de se lancer dans ce travail :

« Je me suis toujours dit que j'aimerais voir celui qui oserait traduire ces BD et il me semblait même que c'était intraduisible. Et j'étais très contente d'être capable de le lire sans problème tout simplement en anglais. Moi, quand je lis quelque chose, j'ai l'habitude d'essayer de le traduire dans ma tête, mais en lisant cette BD, j'y ai renoncé. Je me délectais tout simplement à le lire en me disant qu'elle ne serait jamais traduite en tchèque. »

L'impossible est donc devenu réalité. Traduite en tchèque, la BD de Nathan W. Pyle a été très bien accueillie par les lecteurs et Michala Marková a obtenu le prix Muriel de la meilleure traduction.

Les aventures des scouts

'Druhý břeh'  (L'Autre rive),  photo: Argo

Parmi les espoirs de la BD tchèque il y a la dessinatrice Kateřina Čupová. Deux œuvres de cette jeune artiste de talent ont été nominées dans la catégorie de la Bande dessinée courte. Druhý břeh - L'Autre rive est un récit des aventures des scouts tchèques, et Pařez - La Souche est l'histoire fantastique et rocambolesque d'un cueilleur de champignons. Laquelle de ces deux BD mérite donc d'être primée ? Interrogée sur cette question, Kateřina Čupová avait répondu :

'Pařez'  (La Souche),  photo: repro Aargh! 19 - komiksový sborník/Analphabet books

« Je préférerais qu'on attribue ce prix à Druhý břeh - L'Autre rive. Je n'arrive pas à comparer ces deux bandes dessinées. Pařez - La Souche est une BD très personnelle, une œuvre d'auteur que je n'ai même pas envisagé de publier. Mais le prix pour L'Autre rive serait aussi une distinction pour le scénariste et pour tout le recueil dans le cadre duquel il a été publié. C'est un ouvrage très intéressant inspiré par le mouvement scout tchèque. Je pense que c'est un livre qui mérite d'être connu parce que c'est une œuvre commune de plusieurs auteurs et c'est un bon projet. »

Le jury du prix Muriel a été du même avis et a primé L'Autre rive, une bande dessinée réalisée par Kateřina Čupová en collaboration avec le scénariste Marek Steininger.

Une bande de jeunes dans les vieux quartiers de Prague

'Rváčov',  photo: Lipnik

C'est Džian Baban, co-auteur de la bande dessinée Rváčov, qui a remporté le prix du meilleur scénario. L'auteur inspiré par l'écrivain Jaroslav Foglar, la grande figure du scoutisme tchèque, amène le lecteur dans les vieux quartiers de Prague qui sont le théâtre des aventures d'une bande d'adolescents. Mais ce cadre pittoresque ne cache pas la réalité décevante de la vie quotidienne d'un pays qui étouffe sous le régime communiste. L'auteur a situé son récit dans les années 1950 et 1980. Pavel Kořínek, membre de l'Institut de littérature tchèque et président de l'Académie tchèque de la bande dessinée, souligne le rôle que la ville elle-même joue dans ce récit :

« Au fond, c'est une histoire relativement sérieuse sur les transformations de la ville et de l'espace urbain au XXe siècle. Cette BD raconte comment l'histoire de la Tchécoslovaquie de la seconde moitié du XXe siècle est intervenue dans les vies des gens. Le récit commence dans les années 1950 et un rôle assez important y est joué par la STB, la police secrète du régime communiste. En évoquant les aventures d'une bande de jeunes, l'auteur nous parle donc sérieusement de l'histoire d'une ville et de ses transformations, et nous raconte ce qui est arrivé aux gens qui y ont vécu. »

Quand une femme perd ses cheveux

Tereza Drahoňovská,  photo: Archives de Tereza Drahoňovská

Ainsi nous sommes parvenus au prix principal, on pourrait dire même au Grand Prix Muriel 2020. C'est un livre très personnel, une espèce de confession de son auteure, qui a remporté la victoire dans la catégorie de la meilleure bande dessinée. Intitulé Bez vlasů - Sans cheveux, le livre raconte l'histoire d'une jeune fille atteinte d'une maladie auto-immune qui perd ses cheveux et n'arrive d'abord pas à accepter son infirmité et sa différence. C'est un livre en grande partie autobiographique. L'auteure du scénario Tereza Drahoňovská s'est inspirée de sa propre vie et de sa propre expérience. Elle a été en outre très bien servie par la dessinatrice Štěpánka Jislová. La sincérité et l'originalité de sa confession qui ne manque ni d'humour, ni d'ironie, lui a donc valu le grand prix de la bande dessinée tchèque. Pavel Kořínek trouve encore une autre explication pour le succès de ce livre :

'Bez vlasů'  (Sans cheveux),  photo: Paseka Publishing

« La bande dessinée est un moyen très avantageux pour transmettre une expérience personnelle, elle permet la visualisation du vécu. (...) A la différence du cinéma, elle offre à l'auteur une meilleure possibilité de se représenter dans le texte complété par les images. La forme de la bande dessinée étant plus ou moins simplifiée, elle offre au lecteur la possibilité de percevoir le protagoniste non seulement comme un individu concret qui raconte son histoire mais aussi comme un personnage plus général qui permet au lecteur de partager sa vie par l'intermédiaire de la bande dessinée. »

C'est donc une femme sans cheveux qui est devenue la figure emblématique de l'ensemble des bandes dessinées parues en République tchèque au cours de l'année 2020. Les lecteurs et aussi les jurés de l'Académie ont bien reconnu que son aventure n'était pas inventée pour intriguer et choquer le public, mais qu'il s'agissait d'un témoignage franc et précieux sur la vie d'une femme qui a eu le courage d'accepter son sort.

'Bez vlasů'  (Sans cheveux),  photo: Paseka Publishing
Auteur: Václav Richter
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