Le phénomène Ještěd
A une heure de route au nord de Prague, au cœur de la région de Liberec, l'émetteur Ještěd attire les touristes en toute saison. Un téléphérique vous emmène en quelques minutes au sommet du mont Ještěd, où se dresse, à 1012 mètres d'altitude, l'émetteur éponyme de forme hyperboloïde qui abrite aussi un hôtel et un restaurant. L'inauguration de l'émetteur, il y a quarante ans de cela, a valu à son architecte, Karel Hubáček, le prestigieux prix international Auguste Perret. En 2006, le bâtiment original a été classé monument culturel et les Tchèques l'ont même élu construction du siècle.
« Effectivement, en l'espace d'un mois, une vingtaine de projets ont été présentés. Parmi eux, celui de Karel Hubáček a été retenu comme le meilleur projet, et ce bien qu'il ne répondait pas entièrement aux critères de l’appel d’offres supposant la construction de deux bâtiments séparés – pour l'émetteur et l'hôtel. Le projet de Karel Hubáček est génial pour avoir réuni les deux fonctions en une seule masse. D’un point de vue conceptuel, ce projet était à l’époque unique en son genre en Tchécoslovaquie. Au départ, l'opinion publique l’a refusé, ne le comprenait pas, l'émetteur ne lui plaisait pas. »
Cela n’a pas empêché Karel Hubáček, décédé il y a deux ans, le 25 novembre 2011, de marquer l'histoire de l'architecture de son pays en dessinant un hôtel arrondi surplombé par un grand émetteur. L'édification d'une construction hyperboloïde haute de presque 100 mètres résistant aux rafales de vent et aux intempéries a nécessité des solutions originales, que ce soit les appuis à balanciers en béton pour assurer la stabilité ou l'emploi d'une matière plastique spéciale en fibre de verre permettant une propagation parfaite des ondes radio.Pour Jiří Křížek, l'émetteur est un exemple exceptionnel d'humanisation de la technique. Le visiteur entre droit au milieu technique de l'émetteur, tout en profitant du confort d'un restaurant panoramique. Pour l'originalité de son œuvre, Karel Hubáček s'est vu décerner un prix international d'architecture :
« Au printemps 1969, un télégramme envoyé par le président de l'Union internationale des architectes annonçait que Karel Hubáček avait obtenu le prix Auguste Perret. »
La façon dont l'émetteur et l'hôtel ont été construits était exceptionnelle pour l'époque. D'éminents designers, verriers et artistes ont collaboré avec Karel Hubáček, parmi lesquels Otakar Binar, auteur des meubles d'origine et des fameux fauteuils en cuivre blanc. Autre proche collaborateur de Karel Hubáček, l'architecte Miroslav Masák évoque les difficultés rencontrées lors des travaux :« Pas question de parler de technologies high-tech. A l'époque, nous manquions de technologies de pointe, celles-ci faisaient complètement défaut. Quant aux fournisseurs, c'étaient uniquement des entreprises tchèques dont quelques-unes assez curieuses, comme l'Union des pêcheurs, fournisseuse des tuyaux en fibre de verre. En tous cas, ce n'était pas un exemple de technologie high-tech. »
Actuellement, les meubles endommagés de l'hôtel sont en cours de restauration et des répliques en cours de réalisation. En attendant, les objets sauvegardés, parmi lesquels les lustres et les porcelaines, sont exposés au musée de Liberec. Jiří Křížek attire l'attention sur une rareté à laquelle personne ne s'attendait :
« C'est un appartement pour les nouveaux mariés qui ont décidé de célébrer leurs noces à Ještěd. Conçu dans le style Louis XVI, cet appartement paraît comme une illusion d'optique à l'intérieur d'une construction purement technique. »
L'émetteur Ještěd a été solennellement inauguré le 21 septembre 1972. Karel Hubáček et Otakar Binar étaient les grands absents de la cérémonie. Miroslav Masák explique pourquoi :
« A mon sens, Ještěd est le fruit d'une humeur optimiste des années 1960. C'est, à tous les égards, l'enfant de son époque. Dans ces années-là, il nous semblait que les dirigeants de l'Etat nous comprenaient. La situation a complètement changé après l'invasion soviétique en 1968 suivie de la période de normalisation. Les deux dernières années avant l'inauguration de l'émetteur ont été particulièrement difficiles pour l'atelier de Karel Hubáček. »
Actuellement, l'hôtel de l'émetteur Ještěd subit une rénovation. La société České radiokomunikace (Communications radio tchèques), qui a racheté le bâtiment en 2000, et l'association civique Ještěd 73 collaborent pour son renouveau afin que l’édifice vive avec son temps. Otakar Binar a été chargé de dessiner une nouvelle collection de meubles contemporains. Certains meubles uniques, une fois restaurés, retrouveront leur place dans l'hôtel, pour que son image d'origine soit sauvegardée. C'est d'ailleurs une des conditions pour présenter la candidature de Ještěd à une inscription sur la liste du patrimoine de l'UNESCO, demande que la région de Liberec s'apprête à déposer.L'inauguration de l'émetteur Ještěd a-t-elle encouragé davantage encore l'intérêt des touristes pour ce lieu ? On écoute Roman Karpaš, éditeur et auteur de plusieurs livres consacrés à la région de Liberec :
« L'intérêt est élevé et durable depuis plus de cent ans, lorsque Ještěd est devenu le premier hôtel de montagne dans la région de Liberec. Ještěd, c'est un véritable phénomène. Pour le naturaliste et explorateur allemand, Alexander von Humbolt, qui est monté à son sommet, Ještěd offrait la plus belle vue sur la région. Dans le passé, Ještěd a représenté un point de jonction entre les zones touristiques tchèque et allemande. »Ještěd est situé à vingt-cinq kilomètres de la frontière allemande et la même distance le sépare de la frontière avec la Pologne. Toute la région est un paradis pour le tourisme et le cyclotourisme. A l'ouest, un des sentiers mène à Kryštofovo údolí - la Vallée de Christophe, un coin romantique réputé pour son architecture paysanne, son horloge astronomique et sa crèche en plein air. Non loin de Ještěd, on peut visiter le château de Sychrov, où la famille des Rohan est venue s'installer après la Révolution française.
La ville de Liberec vaut incontestablement le détour. Par la large avenue Masaryk bordée de belles villas d'avant-guerre, nous montons vers le jardin zoologique, le plus vieux en République tchèque. Dans le centre-ville, le bâtiment néo-renaissance de la mairie de Liberec, construit selon les plans de l'architecte viennois Franz Neumann, frappe par sa ressemblance avec la mairie de Vienne. Au XIXe siècle, Liberec était la deuxième ville de Bohême après Prague, avec ses usines textiles, métallurgiques et automobiles. Ferdinand Porsche, fondateur de la célèbre marque de voiture Porsche, est né à Liberec en 1875. Alors, montez dans votre Porsche vous aussi et direction Liberec !Rediffusion du 14/11/2013