Le pont Charles et sa galerie de sculptures
Le pont Charles fait beaucoup parler de lui, ces jours-ci. Lors des travaux de routine vérifiant la stabilité des piliers, les plongeurs ont trouvé, au fond de la rivière Vltava, le torse d'une statue en grès. La trouvaille a fait sensation. Au prime abord, il était clair que le torse devait être très ancien et reposer depuis des siècles au fond de la rivière. Vendredi dernier, il a été repêché et remonté à la surface. L'expertise a confirmé qu'il s'agissait d'une partie du groupe de statues du patron des Tchèques, Saint-Venceslas, entouré d'anges.
Lors des inondations catastrophiques de 1784, le groupe, ornant autrefois le 8e pilier du pont Charles, a été emporté par les eaux de la Vltava. Trois piliers du pont ont alors été endommagés, dont le 8e sous lequel le torse a été retrouvé. La parole est à Dana Stehlikova, conservatrice du Musée lapidaire de Prague:
"C'est le torse de l'ange légèrement moins grand que nature. Il faisait partie du groupe réalisé par le sculpteur italien, Ottavio Mosto, venu à Prague vers la fin du 17e siècle. Depuis les inondations de 1784, legroupe n'orne plus le pont Charles, mais il est exposé au Musée lapidaire de Prague. Sur le pont Charles, il a été remplacé par la statue de la Sainte-Ludmila, oeuvre du sculpteur tchèque Mathias Bernard Braun. Le groupe de statues de Saint-Venceslas entre les anges a été restauré, mais on s'est aperçu que l'un des anges ne correspondait pas à l'original dont l'image a été sauvegardée sur une gravure. Jusqu'ici, on le considérait comme une erreur du graveur. Or maintenant, après la trouvaille du torse, il est clair que la gravure était juste et l'un des anges restaurés n'était pas authentique et faisait probablement partie d'un autre groupe de statues."
La trouvaille de la statue est-elle rare du point de vue archéologique?"Tout à fait rare. Déjà, le fait de la retrouver après 220 ans, en état de conservation relativement bon, est unique en son genre. Car, d'autres statues endommagées lors des inondations de 1890, bien qu'elles aient été repêchées deux ans après, ont éclaté en 20, 30 et 50 fragments et plus personne n'a réussi, à ce jour, à les recomposer. Le cas du torse de l'ange témoigne de l'excellente qualité du matériel utilisé."
Pourquoi la statue n'a-t-elle pas été retrouvée plus tôt?
"Le lit de la rivière est pollué par les alluvions. La couche était trop épaisse pour le permettre. Aujourd'hui, les plongeurs sont plus attentifs. En plus, au moment des travaux, le niveau de la rivière a été plus bas par rapport à la normale et l'eau était extraordinairement limpide."
A la question de savoir quel sera le sort de la statue, Dana Stehlikova du Musée lapidaire répond:
"Il faut surtout qu'elle supporte le processus de sèchage puisque le grès est très imprégné d'eau. Le sèchage doit être lent pour que la statue ne se désintègre pas. Le plus grand problème sont les alluvions de minerais qui risquent d'endommager la surface du grès. La restauration sera exigeante. Quant à l'identification de la statue, elle n'a pas été difficile. Il a suffi de comparer les dimensions, la structure et le style du travail. Tout était identique au manuscrit du sculpteur italien, Ottavio Mosto. D'autres méthodes pour le confirmer n'étaient pas nécessaires".
Le pont Charles a été construit à la place du premier pont en pierre à Prague, appelé pont Judith, fondé vers 1170 et emporté par les flots déchaînés de la Vltava en 1342. Les travaux de construction du nouveau pont, entrepris sur commande du roi Charles IV, ont commencé en 1357 et duré jusqu'en 1402. Le pont est l'oeuvre de l'architecte allemand, Pierre Parler, bâtisseur de nombreuses cathédrales de par l'Europe, y compris celle de Saint-Guy, au Château de Prague. Appelé pont de pierre, il ne prendra le nom de Charles qu'en 1870. Construit en blocs de grès, il mesure 516 m de long sur 9,5 m de large et repose sur seize piliers. Le pont a résisté à de nombreuses crues de la rivière, dernièrement en 2002. Depuis sa rénovation, en 1974, il est réservé aux piétons.Les visiteurs de Prague s'arrêtent longuement devant les statues ornant le plus vieux pont de Prague. C'est grâce à sa superbe décoration sculpturale baroque que le pont Charles a acquis sa réputation universelle. L'idée d'installer cette galerie d'oeuvres plastiques en plein air était d'origine italienne: les auteurs s'inspiraient manifestement du pont des Anges à Rome, et la façon dont ils ont réussi à rallier la sombre et sévère architecture gothique du pont aux groupes de sculptures baroques a conféré à l'ensemble un caractère vraiment unique.
Dans la première moitié du XVIIe siècle, seuls un Crucifix, un saint Jean Népomucène, une Pietà et un saint Venceslas ornaient le pont Charles. Les autres statues datent de la première moitié du XVIIIe siècle, les dernières oeuvres seront réalisées au XIXe. Un grand nombre de sculptures actuelles sont des copies reproduites dans le courant du XXe siècle pour préserver les statues originales.Aujourd'hui, la chaussée du pont Charles est bordée d'une allée de 30 statues et groupes sculptés, oeuvres d'artistes renommés et moins connus. Les touristes s'arrêtent longuement devant Saint-Jean-Népomucène, l'une des premières oeuvres installées sur le pont. C'est un bronze réalisé par Jan Brokoff qui évoque des scènes de la vie supposée du saint: la confession de la reine et le moment où le corps du saint est jeté dans le fleuve, pour trahison prétend-on, du secret de la confession.
Leur curiosité est attirée par le Crucifix et, surtout, par une inscription en hébreu que porte la croix et qui est tout à fait rare sur des monuments pareils. Elle rappelle une affaire de profanation: en 1695, un Juif aurait manifesté son mépris en passant devant le Crucifix et on l'a condamné alors à financer, en compensation de la diffamation, l'inscription hébraïque, en métal doré, placée haut de la croix, et qui signifie: Saint, Saint, Saint Dieu. Récemment, une inscription en tchèque, en anglais et en hébraïque a été installée au pied du Crucifix pour expliquer aux visiteurs la signification de l'inscription hébraïque originale.Comme on le voit, le pont Charles a plus d'une curiosité, mais il a aussi ses légendes. Celle qui s'est maintenue jusqu'à aujourd'hui dit que si l'on touche du doigt les plaques en bronze de la statue de Saint-Jean-Népomucène et la croix gravée dans la balustrade du pont marquant le lieu où le saint a été jeté dans la Vltava, tous nos désirs, même les plus secrets, seront accomplis. A en juger par la surface glacée et le lustre éclatant des deux points magiques, peu de visiteurs résistent à la tentation...