Le printemps dans un jardin

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Le printemps était toujours un des thèmes privilégiés de la poésie. Il a inspiré, néanmoins, aussi beaucoup de prosateurs. Karel Capek, un des plus grands écrivains tchèques du siècle dernier, n'a pas échappé, non plus, au charme de cette période de l'année où la nature renaît à la vie nouvelle. En 1929, il a publié un petit livre dans lequel il a exploité, avec beaucoup de charme et d'humour, sa passion du jardinage. Il a décrit les métamorphoses du jardin et l'art du jardinier, au long des quatre saisons, et a consacré des pages particulièrement savoureuses aux travaux du printemps.

Pendant longtemps, Karel Capek a vécu dans des logements de ville, mais cette façon de vivre ne le satisfaisait pas. Finalement, il a décidé de construire avec son frère, qui était peintre, une maison dans le quartier de Vinohrady à Prague. Ils ont construit donc une maison-jumelle entourée d'un jardin. Et c'est ce petit morceau de terre qui a fait naître, dans le coeur de l'écrivain, une passion inconnue. Tout à coup, il se sentait appelé à transformer le petit jardin de sa villa pragoise en un coin de paradis, et il s'est lancé dans cette tâche avec un élan étonnant comme s'il travaillait sur une de ses oeuvres littéraires. Ce travail lui permettait d'ailleurs non seulement de se reposer, d'alterner l'activité intellectuelle avec l'effort des bras, de vivre en plein air et de donner un peu de vigueur à son corps chétif, mais c'était aussi une expérience intéressante et inspiratrice. Elle se prêtait bien à être exploitée dans un de ces récits teinté d'humour dont Capek détenait le secret. Ainsi a vu le jour son petit livre intitulé "L'Année du Jardinier".


"Il y a cent manières de se créer un jardin: la meilleure est encore de prendre un jardinier," écrit Karel Capek au début de son livre et se lance dans la description des activités d'un jardinier professionnel qui "vous plante toutes sortes de bouts de bois, de bâtons ou de manches à balai, en vous soutenant que se sont là des érables, des aubépines, des lilas, des rosiers à haute tige ou buissonnants et autres espèces botaniques (...) puis il s'en va, laissant le jardin aussi gris et aussi nu qu'au jour de la création du monde, se bornant à vous prescrire d'arroser soigneusement chaque jour toute cette terre..." Le ton est donné donc dès les premières lignes et le lecteur se rend compte que Capek lui présentera tous les aspects drôles de son sujet.

"Le livre de Karel Capek a obtenu un succès considérable en Europe et en Amérique," écrit dans la préface le traducteur français de "L'Année du Jardinier", Joseph Gagnaire. Pourtant, le célèbre écrivain tchèque, l'auteur au talent si riche et si varié de "L'Affaire Macropoulos", des "Lettres d'Angleterre", des "Lettres d'Espagne", n'a rien fait pour allécher le public en choisissant son titre "L'Année du Jardinier." Un manuel d'horticulture, serait-on tenté de croire au prime abord. Mais on n'a pas plutôt tourné quelques pages, jeté un coup d'oeil sur les dessins de Josef Capek, que ce titre d'une nudité presque technique se teinte d'un humour délicieux qui imprègne cette oeuvre. "


Dans le chapitre intitulé "Comment devient-on jardinier" Capek explique, en des termes précis et poétiques à la fois, la naissance d'une passion. Il se rappelle que, dans sa jeunesse, il avait une attitude presque hostile vis-à-vis du jardin de son père où l'on lui interdisait de marcher sur les plates-bandes et de cueillir les fleurs. Quand on est jeune, on a toujours envie de cueillir les fruits verts, on ne se rend pas compte des efforts qu'il faut déployer pour cultiver les plantes, les arbres et les fleurs. "On a besoin d'une certaine maturité," souligne l'auteur, "je dirais volontiers d'un certain âge de paternité, pour pouvoir devenir jardinier amateur." Plusieurs phénomènes, plusieurs impulsions peuvent jouer, selon Capek, un rôle décisif dans cette transformation de l'homme ordinaire en jardinier. On peut devenir jardinier par une sorte d'intoxication, après avoir planté une seul fleur. Dans le cas de Capek c'était une joubarbe.

Comment un jardinier travaillant sa terre se présente-t-il? Voici la réponse de Karel Capek: "Le jardinier est ordinairement terminé, vers le haut, par son derrière; il a les mains et les jambes écartées et la tête quelque part entre les genoux: il ressemble à une jument au pâturage. (...) Il se plie en deux, s'assied à croupetons et se raccourcit par tous les moyens possibles: tel que vous le voyez, il est rare qu'il mesure plus d'un mètre de hauteur."

Ensuite, Capek décrit, avec beaucoup de détails savoureux, les rapports entre le jardinier et son jardin qui ressemblent aux soins qu'un père ou une mère accordent à leur enfant. L'année du jardinier commence en janvier, le jardinier impatient est enfermé derrière les vitres couvertes de fleurs de glace et maudit le temps. Il n'est jamais content. S'il y a peu de neige, il craint que la gelée n'abîme ses plantes. S'il y a beaucoup de neige, il craint que la neige ne lui brise ses rhododendrons. Mais, selon Capek, même le temps peut être trompé. Il a donc pour le jardinier craintif le conseil suivant: "Il existe diverses ruses pour tromper le temps, le faire changer. Par exemple, dès que je me décide à revêtir ce que j'ai de plus chaud, le temps se radoucit toujours. De même, le dégel arrive si quelques amis conviennent de partir à la montagne pour faire du ski. (...) Par contre les jurons, les plaintes, les malédictions, les citations en justice, les "brrr" et autres incantations n'ont sur le temps aucune espèce d'influence."


En février, selon Capek, le jardinier épie fiévreusement les signes avant-coureurs du printemps: les crocus dont on commence à apercevoir une sorte de brosses vertes formées de feuilles, le catalogue de jardinier qu'apporte le facteur, les perce-neige qui sortent timidement de terre, les voisins qui se précipitent dans leur jardin avec des bêches, des pioches et des sécateurs. C'est en mars, qu'arrive le moment où il faut préparer la terre. "Aucun puding au monde ne peut être de composition plus compliquée que la terre de jardin," affirme Capek en vrai cuisinier. " Autant que je puisse savoir on y met du fumier, de l'engrais du guano, des feuilles pourries, de la terre de gazon, de la terre arable, du sable, de la paille, de la chaux (de la farine pour les enfants), du salpêtre, des phosphates, de la bouse, de la cendre, de la tourbe, de l'eau, de la bière, des culots de pipe, des allumettes brûlées, des chats crevés et beaucoup d'autres substances."

Vient enfin le mois d'avril qui est pour Capek le mois béni des jardiniers. C'est le mois de la germination, mais aussi le mois des plantations. Le jardinier cherche désespérément, un plant à la main, un coin de terre dans son jardin où il n'y ait encore rien de planté. Mais, entre-temps, le soleil se montre un peu, la pluie tiède arrose la terre et un véritable carnaval commence dans le petit jardin. Y prennent part entre autres des narcisses, des jacinthes, des violettes, des primevères et des bruyères printanières. C'est donc en avril, que le printemps s'impose, qu'il accède définitivement au pouvoir. Et le poète Capek affirme : "... en mai, les arbres et les plantes ne font que fleurir, tandis qu'en avril, ils poussent. Sachez que cette germination et ce bourgeonnement, ces boutons, ces bourgeons et ces germes sont la plus grande merveille de la nature, et je ne vous en révélerai plus un seul mot; accroupissez-vous, vous-mêmes, et creusez du doigt la terre meuble, en retenant votre souffle, car votre doigt touche un germe fragile et plein de promesses. Cela ne se peut décrire, pas plus qu'un baiser et un petit nombre d'autres choses."


Les passages cités dans ce texte ont été tirés du livre de Karel Capek "L'Année du Jardinier" traduit par Joseph Gagnaire et publié par la Librairie Stock en 1936.