Le Printemps de Prague a commencé en 1963 !

Le IIIe Congrès des Ecrivains, 1963, photo: CTK

Retour sur les années 60 pour un 2e volet sur le rôle des artistes et intellectuels. Nous avions vu l'Union des Artistes il y a deux semaines. Nous nous penchons aujourd'hui sur l'Union des Ecrivains et sur le IIIe Congrès de l'Union des Ecrivains en 1963, primordial en ce qu'il est le véritable déclencheur du Printemps de Prague.

Le colloque Kafka,  1963,  photo: CTK
La crise économique qui frappe la Tchécoslovaquie au début des années 60 va servir de déclencheur à une vague d'opposition qui ne prendra fin qu'en 1968. Le IIIe Congrès des Ecrivains, en 1963, est un premier pas, symbolique certes, mais bien réel : en réhabilitant des figures intellectuelles et politiques condamnées dans les années 50, c'est indirectement le système qui est rejeté.

Quelques temps auparavant se tient une conférence non mois annonciatrice d'une nouvelle ère, c'est le colloque Kafka. Véritable levée de rideau sur le Printemps de Prague, le colloque Kafka entrouvre aussi le Rideau de fer culturel. Fustigés depuis 1948 comme décadents et bourgeois, les livres de Kafka n'avaient pas leur place dans le climat optimiste de la littérature réaliste-socialiste.

Le colloque Kafka, qui réintègre l'écrivain au sein de la littérature nationale, se tient au château de Liblice et il aura un retentissement mondial. En attendant, en cette année 1963, il fait déjà grand bruit dans le pays. Il n'y a qu'à voir le nombre d'allusions que font les revues littéraires tchèques. Dans Plamen, mensuel de l'Union des Ecrivains, Jiri Hajek écrit un article « au sujet de la lettre inconnue de F. Kafka ». Literarni Noviny lui consacre aussi plusieurs pages.

Qu'on ne s'y trompe pas, la référence à Kafka a un sens nécessairement politique dans un régime où culture et vision de la société sont étroitement liées. L'historien Bernard Michel l'illustre bien quand il dit : « Dans un pays ou il n'existait pas de presse d'opposition politique, les revues littéraires en tenaient lieu ».

D'ailleurs, le colloque Kafka semble contagieux. En 1963, d'autres symposiums littéraires se tiennent un peu partout en Tchécoslovaquie. Comme si les langues et les pensées se déliaient enfin. Ainsi, Milan Kundera et le philosophe Karel Kosik participent, avec des écrivains yougoslaves et soviétiques, à un colloque sur la prose contemporaine.

Le IIIe Congrès des Ecrivains,  1963,  photo: CTK
Le terrain semble donc prêt pour le IIIe Congrès de l'Union des Ecrivains en avril 1963. Instrument à l'origine docile du pouvoir, l'Union se réveille alors politiquement. Et le Congrès, même s'il est encore modéré, préfigure déjà les grands thèmes qui reviennent tout au long des années 60. Nous citons Pavel Tigrid : « Le IIIe Congrès fut la préfiguration de la réunion plus agitée que les écrivains tchécoslovaques tinrent en 1967. La plupart des arguments et des critiques furent repris sous une forme plus violente cinq ans après. »

Le thème principal du IIIe Congrès est une dénonciation du culte de la personnalité. Déstalinisée tardivement, la Tchécoslovaquie apparaît en 1960 comme l'une des démocraties culturelles les plus dures du Bloc. Le XXIIe Congrès du PCUS en URSS, qui se tient en 1962, consacre la 2e vague de déstalinisation. Si le régime stalinien avait pu survivre à la première vague de déstalinisation en 1956, il succombe à la seconde.

L'écrivain Milan Schultz est l'un des premiers à s'attaquer directement au pouvoir. En 1962, le chef de la section idéologique du Parti, Jiri Hendrych, avait déclaré que « tout le monde était collectivement responsable des méthodes employées dans les années 50 ». Ce à quoi Schultz réplique, dans un numéro des Literarni Noviny, que « personne ne pourra se cacher derrière une vue collective ». En 1963, dans Kulturni Zivot, Ladislav Mnacko écrit un article sur la nécessité du retour de la notion de conscience dans la société.

Les réhabilitations sont l'autre volet important du IIIe Congrès, qui apparaît comme le procès des grands procès. En août 1963, Slansky, Clementis et 70 autres condamnés politiques sont réhabilités ou amnistiés. Cela peut paraître dérisoire aujourd'hui, surtout quand on sait que quelqu'un comme Slansky lui-même aurait pu tout à fait se retrouver du côté des bourreaux. Pourtant, il faut se méfier de tout anachronisme. Remettre en cause les procès des années 50, c'est tout simplement affirmer que le régime s'est trompé. Une véritable boîte de Pandore...

Les réhabilitations sont d'autant plus déterminantes qu'elles ne concernent pas que des membres du Parti décédés, comme Slansky, mais également des intellectuels de l'Union des Ecrivains qui avaient été dénigrés dans les années 50 comme nationalistes de tout poil, slovaque, juif, etc...

A partir du IIIe Congrès, le Printemps de Prague est déjà en place et, jusqu'en 1968, l'opposition au régime ne fait que monter. En 1968, les médias occidentaux s'étaient focalisés sur les aspects les plus spectaculaires et les plus lisibles du Printemps : les chars, les jeunes dans les rues... L'aspect du renouveau culturel est passé complètement inaperçu alors qu'il a été le ferment principal de la libéralisation des années 60. Le Printemps de Prague a commencé en 1963.