Le rayonnement magique de l’étoile de Bethléem
« Chaque peuple européen a apporté sa contribution aux festivités de Noël, » peut-on lire dans la préface du grand livre que ses auteures Eva Večerková et Věra Frolcová ont intitulé Evropské vánoce v tradicích lidové kultury – Les fêtes de Noël européennes dans les traditions de la culture populaire. Parmi les innombrables rituels de fin d’année traités dans ce livre, nous avons choisi une tradition peut-être moins connue mais d’autant plus charmante et spirituelle – celle de l’étoile de Bethléem.
Les Rois mages ont vu l’étoile
Les coutumes de l’Avent, les chants de Noël, les miracles et les prophéties de Noël, la bûche et l’arbre de Noël, les crèches et l’adoration de l’Enfant Jésus, les étrennes, les jeux de Noël – ce ne sont que quelques-uns des thèmes réunis dans ce livre. L’ouvrage montre le véritable foisonnement de l’imagination et de la créativité des peuples européens qui ont cherché à donner à ces festivités l’éclat et la splendeur d’un événement unique. Face à tout cela, la tradition de l’étoile de Bethléem peut sembler plus modeste. L’ethnologue et co-auteure du livre Věra Frolcová rappelle les premières mentions de ce symbole de Noël dans les documents historiques :
« Parmi les chants de Noël tchèques les plus anciens il y a le cantique ‘Les Rois mages ont vu l’étoile’. Ce chant n’est documenté qu’au XIXe siècle en tant que cantique des maîtres d’école et des élèves qui portaient rarement le symbole de l’étoile mais plus souvent une craie bénie pour écrire des signes sur les maisons. Cependant, ce chant date de la période utraquiste (c’est-à-dire du XVe siècle) et son modèle était probablement un chant latin encore plus ancien. En ce qui concerne les traditions populaires, l’étoile de Bethléem n’apparaît que relativement tard. Bien qu’elle soit le signe de la naissance, comme nous le lisons dans l’Evangile selon Mathieu, elle n’est pas documentée comme faisant partie des cantiques de la veille de Noël. »
Un astre qui dirige les pas de trois sages
Dans l’Evangile selon Mathieu, c’est une étoile qui dirige les pas de trois mages d’Orient qui ont appris la naissance du roi des Juifs et se sont mis en route pour le trouver et lui rendre hommage. Ils le cherchent d’abord à Jérusalem chez le roi Hérode. Le roi en est troublé parce qu’il se croit menacé par cet enfant encore inconnu qui devrait prendre sa place. Les mages d’Orient se remettent donc en route. L’étoile mystérieuse les conduit jusqu’à Bethléem et s’arrête au-dessus d’une étable où ils trouvent l’Enfant Jésus. Ils se prosternent devant lui, l’adorent et lui offrent de l’or, de l’encens et de la myrrhe. Dans la Bible, l’Etoile de Bethléem montre donc le chemin et joue un rôle mystique mais nous ne savons pas à partir de quel moment elle est entrée aussi dans les coutumes populaires et dans les festivités de Noël. Věra Frolcová constate :
« Nous connaissons un traité de Jan de Holešov de l’époque de l’empereur Charles IV qui décrit les rites de Noël et les chants qui les accompagnent. Des prêtres marchaient en arborant des tableaux du Christ, des garçons chantaient des airs galants, d’autres chants faisaient partie de la tradition des cantiques bruyants du jour de l’an. Mais l’étoile de Bethléem n’est pas mentionnée dans ces documents. Elle n’apparaît dans les annales qu’à partir du XVIe siècle. »
L’étoile de Giotto
Une fois entrée dans l’imagerie populaire, l’étoile de Bethléem figure pratiquement sur toutes les crèches de Noël et souvent, elle prend la forme d’une comète. Nous devons sans doute la première représentation de l’étoile sous cette forme au peintre Giotto qui l’a représentée dans la chapelle des Scrovegni à Padoue. Inspiré probablement par la comète de Halley qu’il a pu voir en 1301, il l’a peinte avec sa queue lumineuse au-dessus de la crèche dans sa fresque de l’Adoration des Rois mages. Cet épisode du Nouveau testament donnait souvent aux peintres l’occasion d’étaler devant le spectateur la splendeur vestimentaire et les richesses des Rois mages et cette tendance à la somptuosité se manifestait au Moyen Age aussi dans les festivités de Noël. Věra Frolcová remarque cependant que l’étoile de Bethléem symbolisait une tendance différente :
« Cette tradition est née probablement comme une réaction au culte des Rois mages qui étaient très développé au Moyen Age. Et ce culte fastueux a fini par éclipser un peu ce qui était essentiel, c’est-à-dire l’humble crèche vers laquelle l’étoile amène les trois sages d’Orient. C’est pourquoi naît au XVIe siècle en Europe centrale et occidentale, surtout dans les milieux protestants à la veille de l’Epiphanie, une tradition des cortèges avec le symbole de l’étoile. Y participent des précepteurs, des maîtres d’école et des élèves chantant les cantiques pour mettre au clair le sens véritable des fêtes de Noël qui risquait d’être éclipsé par la somptuosité des habits des Rois mages et de leur suite. Ils veulent donc attirer l’attention sur la petite crèche et le petit enfant. D’ailleurs, à en croire l’évangéliste Mathieu, même les Rois mages cherchent le roi d’abord chez Hérode à Jérusalem. Ils ne s’attendent pas du tout à trouver un roi dans des conditions aussi modestes. »
Les chants et les jeux
L’Etoile de Bethléem peut donc être considérée aussi comme un symbole de retour aux sources, c’est-à-dire à la simplicité et au message spirituel des évangiles. Nous trouvons dans le livre d’innombrables exemples du rôle de l’étoile de Bethléem dans les festivités et les rites populaires. Comme un accessoire lumineux dans les mains de chanteurs et quêteurs, elle fait pratiquement le tour de l’Europe. Elle apparaît sous les formes les plus diverses aussi bien en Europe occidentale et centrale que dans les pays scandinaves, un peu moins dans l’Est et dans le Sud du continent.
Ces pratiques évoluent en ville comme à la campagne et prennent finalement soit la forme d’un chant en public, soit la forme d’un jeu. Le répertoire des cantiques de Noël s’étend considérablement. On chante, on joue des petites scènes de théâtre, on porte des masques et des costumes bariolés, on se travestit parfois en animaux et on fait la quête. L’étoile de Bethléem brille très fort aussi sur le Nord européen. En Suède, elle est liée surtout au culte de saint Etienne qui était, selon une légende nordique, le valet d’écurie du roi Hérode et le premier à apercevoir la mystérieuse étoile. Věra Frolcová constate que ces coutumes étaient relativement fréquentes surtout dans les pays protestants :
« Nous avons beaucoup plus de documents sur cette tradition en provenance des pays protestants de langue allemande. Parfois les garçons se battaient même à cause de l’étoile comme cela est arrivé en 1647 à Afritz en Carinthie où la veille de la fête des Rois une querelle a éclaté dans un cortège de garçons qui chantaient des cantiques et l’un d’eux a fini par briser leur étoile. Cela a provoqué un scandale, mais grâce à cet événement, nous disposons d’un des documents les plus anciens sur l’étoile en tant que symbole porté par les quêteurs chantant des cantiques de Noël. »
Les questions qui s’imposent
Une série de photos publiées dans le livre démontre que cette tradition s’est enracinée assez profondément en Slovaquie et qu’elle était encore vivante même dans la seconde moitié du XXe siècle. Cependant, selon Věra Frolcová, les documents historiques sur ce genre de rituels en Bohême et en Moravie sont plutôt rares et nous ne disposons pas beaucoup d’informations sur les pratiques des participants à ces festivités et sur les accessoires qu’ils utilisaient :
« Une petite mention sur cette tradition s’est conservée dans les archives de la ville de Jindřichův Hradec. Nous apprenons dans un document du XVIe siècle que des étrennes ont été distribuées parmi les petits enfants qui portaient l’étoile et chantaient des cantiques pour faire la quête. C’est justement au XVIe siècle que les chants de Noël avec le symbole de l’étoile se sont beaucoup répandus en Europe. »
Le livre d’Eva Večerková et de Věra Frolcová fait resurgir du passé l’ampleur des rituels et des inspirations que Noël a donné aux peuples européens. Nous n’avons eu que le temps d’évoquer ici qu’une tout petite partie de ces pratiques symbolisées par l’étoile de Bethléem. Cependant, quand le lecteur referme ce livre plein d’imagination populaire, quelques questions s’imposent : que restera-t-il de cette immense richesse ethnographique et folklorique à l’avenir ? Que saurons-nous garder de tout cela à l’époque de la mondialisation et de l’uniformisation, à l’époque des téléphones portables et des réseaux sociaux ? Et que reste-t-il encore aujourd’hui du rayonnement mystérieux de l’étoile de Bethléem ?
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