Le retour de Pérák, le superhéros tchèque

Photo repro: Petr Janeček, Mýtus o Pérákovi / Argo

Un homme d’une souplesse incroyable qui saute de toit en toit avec l’agilité d’une sauterelle. Sa silhouette noire et son masque aux lunettes qui brillent d’un feu rouge, sèment la panique dans les quartiers périphériques de Prague mais aussi dans d’autres villes tchèques. Beaucoup de témoins l’ont vu, mais les preuves tangibles de son existence font défaut. C’est ainsi que se présente Pérák, un homme considéré d’abord comme un agresseur nocturne et qui finit par se reconvertir en combattant contre les nazis.

Photo repro: Petr Janeček,  Mýtus o Pérákovi / Argo

La réalité ou la fiction ?

'Le Mythe Pérák',  photo: Argo
Entré dans la légende, Pérák stimule l’imagination des gens, intrigue ceux qui aimeraient dévoiler le secret de son existence et inspire des écrivains et d’autres artistes. Est-ce un criminel, un artiste ou l’inventeur génial de bottes miraculeuses qui lui permettent de faire des sauts immenses par-dessus des clôtures, des voitures et des maisons ?

Pendant la Deuxième Guerre mondiale, dans le pays occupé par les nazis, on le considère bientôt comme un superhéros venu au secours du peuple opprimé. Même les autorités nazies se lancent à sa poursuite. Sa légende prend de l’ampleur mais il y a toujours des sceptiques qui refusent de croire en ses capacités surhumaines et doutent de son existence.

La polémique sur ce personnage légendaire se poursuit d’ailleurs encore aujourd’hui. Tandis que l’écrivain et spécialiste des énigmes Ivan Mackerle estimait que Pérák n’avait jamais existé, l’ethnologue Petr Janeček, auteur du livre intitulé Le Mythe Pérák, ne partage pas tout à fait cet avis :

Petr Janeček,  photo: Archives de Petr Janeček
« Nous pouvons dire que Pérák a existé dans une certaine mesure. Il y avait réellement des hommes qui se faisaient passer pour lui et effrayaient les gens pendant et après la guerre. Cependant, ils ne le faisaient pas pour lutter contre les nazis mais pour épouvanter ou même pour agresser les gens. Nous connaissons de telles affaires par exemple dans les villes de Jičín ou de Jihlava où un homme concret a été accusé de se faire passer pour Pérák. Evidemment, tout cela nourrissait les rumeurs et nous voyons comment la légende s’entremêle avec la réalité. Les gens croient à l’existence d’un fantôme nocturne qui se déplace à grands sauts, et cela donne à un homme rusé l’idée de se déguiser et d’épouvanter les gens. »

La longévité de l’Homme à ressorts

Petr Stančík,  photo: Adam Kebrt,  ČRo
Quoi qu’il en soit, le mythe de Pérák s’est montré extrêmement fertile dans le domaine des lettres et des arts. Difficile de citer ici tous les livres, bandes dessinées et pièces de théâtre inspirés par ce personnage à l’existence incertaine. Depuis la guerre l’intérêt pour le personnage semble faiblir pendant certaines périodes pour resurgir toujours comme un brasier qui couve sous la cendre et rejaillit soudain. L’écrivain Petr Stančík a commencé à écrire le scénario d’un film consacré à cet homme mystérieux mais pendant son travail, il a changé d’avis et a fini par écrire et à publier en 2008 un roman à succès qu’il a intitulé tout simplement Pérák. Petr Stančík est de ceux qui croient à l’existence réelle du héros de son livre :

« C’était un superhéros tchèque, l’unique superhéros que nous ayons eu. Il faisait beaucoup de choses. Il faisait sauter des ponts, il sabotait la production, mais c’étaient ses sauts vertigineux qui éveillaient le plus grand intérêt. On l’appelait Pérák – L’Homme à ressorts parce qu’on pensait que des ressorts de canapé étaient fixés aux semelles de ses chaussures, mais puisqu’il se déplaçait à grands saut de dix mètres, puisqu’il était capable de sauter par-dessus un pont, il devait être muni d’un mécanisme plus compliqué qu’un ressort de canapé. »

'Pérák – L’œil de l’avenir',  photo: CREW

Protagoniste de bandes dessinées

'Pérák – L’œil de l’avenir',  photo: CREW
Plusieurs fois déjà Pérák est devenu aussi protagoniste de bandes dessinées. La dernière en date parue en 2019 est l’œuvre commune du scénariste Petr Macek et du dessinateur Petr Kopl. Leur BD intitulé Pérák – L’œil de l’avenir est un cocktail dans lequel ils ont mélangé l’histoire, la fantaisie, la mythologie slave et beaucoup d’autres ingrédients. Ils ont situé, eux aussi, leur récit dans la période du protectorat Bohême-Moravie mais leur Pérák est un personnage assez compliqué. Bien qu’il soutienne la résistance et déteste les nazis, il est obligé de collaborer avec eux parce qu’ils lui ont promis de libérer la femme qui attend son enfant et qui a été déportée en camp de concentration. Le scénariste Petr Macek désirait donner au héros de sa BD les traits d’un héros plus moderne :

« Il nous semblait que la meilleure image de Pérák était celle que nous pourrions comparer en exagérant un peu à Indiana Jones. C’est un dur qui saute sur ses bottes à ressorts et qui, dans notre BD, s’est lancé à la recherche d’une relique célèbre. »

Pour libérer celle qu’il aime, Pérák promet aux nazis de leur apporter le crâne de la princesse légendaire Libuše, relique aux propriétés miraculeuses qui permettraient à Hitler de conquérir le monde. Les auteurs multiplient les situations les plus dangereuses et les plus incroyables et la BD ressemble à un film d’action. D’ailleurs, Petr Macek avoue avoir envie de porter Pérák à l’écran :

'Pérák – L’œil de l’avenir',  photo: CREW
« Evidemment, c’est tentant. Mon collègue et collaborateur Petr Kopl, le dessinateur, dit que j’écris mes scénarios comme des scénarios de film. Il est vrai que je vois les scénarios dans ma tête comme des images de cinéma et Petr est obligé de les adapter un peu. Je ne serais pas contre. »

Et son collègue Petr Kopl d’ajouter : « Steven Spielberg n’a pas encore téléphoné, mais on verra. »

Pérák au théâtre

Photo repro: Petr Janeček,  Mýtus o Pérákovi / Argo
Ajoutons que Pérák a inspiré aussi les artistes de théâtre. Depuis 2011, le théâtre pragois Vosto5 présente avec succès un spectacle intitulé Pérák – le nom n’importe pas, ce sont les actes qui décident. Les auteurs ont réussi à marier dans ce spectacle l’histoire de Pérák, les arts martiaux, leur poétique et leur humour assez particulier. Ils ont situé leur histoire dans la période après l’arrivée à Prague du nouveau protecteur du Reich Reinhard Heydrich. Pour Ondřej Cihlář qui est l’un des auteurs de ce spectacle, Pérák n’est pas seulement un personnage fiktif mais un héros dont nous avons toujours besoin :

« Pérák est un personnage inventé qui fait partie des légendes urbaines et qui jouit en Tchéquie du privilège d’être devenu un héros positif, et cela surtout pendant la guerre, dans la période du protectorat Bohême-Moravie, lors qu’il défendait les Tchèques et luttait contre le nazis. Et nous avons inventé une histoire dans laquelle Pérák se joint aux activités d’un groupe de la Résistance. Mais grâce à l’imagination des gens et à cause du manque de héros véritables, Pérák resurgit dans d’autres moments historiques, comme par exemple lors de l’invasion soviétique en 1968. Et il nous semble que la société tchèque vit en ce moment aussi une période cruciale et qu’il est temps que Pérák réapparaisse. Nous ne demandons pas qu’il nous remplace entièrement mais qu’il nous soutienne et nous pousse à assumer nos responsabilités dans la situation actuelle. »

Dans ce spectacle la réalité alterne avec des aventures fictives ce qui permet aux auteurs de donner une vision alternative et surprenante de l’histoire tchèque. Le metteur en scène Jiří Havelka a conçu le personnage principal comme une espèce d’invitation aux actes de courage :

'Pérák – le nom n’importe pas',  photo: Archives du théâtre Vosto5
« C’est un mythe que nous avons personnifié. Dans notre spectacle, c’est un homme en chair et en os qui s’engage dans la Résistance, mais par le procédé inverse, nous lui rendons aussi sa dimension mythique. Nous le mythifions pour montrer que c’est une catégorie ouverte et disponible pour tout un chacun qui voudrais jouer ce rôle de héros. »

Nous voyons une fois de plus que la légende devient plus forte que la réalité, le mythe devient plus réel que le personnage qui lui a donné naissance. Pérák est donc une espèce de miroir dans lequel se reflètent non seulement la soif d’aventures mais aussi les élans, les aspirations et les craintes d’une société qui n’est pas favorable à l’héroïsme mais qui ressent quand même que les héros lui manquent.