Le rêve américain, et français, d’une footballeuse tchèque

Antonie Stárová, photo: Jan Kaliba

La République tchèque a beau ne pas participer à la Coupe du monde en France, le football féminin ne s’y développe pas moins lentement mais sûrement comme presque partout ailleurs. L’histoire d’Antonie Stárová en apporte la confirmation. Jeune internationale tchèque et étudiante, cette désormais ancienne joueuse du Sparta a décidé de quitter son confort pragois pour relever le défi du soccer universitaire aux Etats-Unis, terre promise du football féminin. Avec l’espoir de voir un jour son rêve de jouer en France se réaliser. Rencontre.

Antonie Stárová,  photo: Jan Kaliba

« Ano, holky hrajou fotbal » - « Oui », comme le confirme l’ancienne star Karel Poborský dans un récent clip de promotion de la Fédération tchèque, « les filles jouent au foot » en République tchèque aussi.

Antonie Stárová – qui s’est présentée en français au micro de Radio Prague - en est certainement un des meilleurs exemples. Internationale tchèque, ancienne joueuse du Sparta Prague, avec lequel elle a participé à la Ligue des championnes, Antonie Stárová a fait le choix, l’été dernier, de tout quitter – famille, club, école, copains et copines - pour tenter l’aventure américaine.

Karel Poborský : « Oui, les filles jouent au foot »

Désormais étudiante en psychologie à l’Université du Delaware, elle a aussi défendu, durant la saison écoulée, les couleurs de l’équipe de soccer de la plus grande université de l’Etat éponyme, situé sur la côte Est des Etats-Unis, le pays au monde où le football féminin est le plus pratiqué et le plus populaire.

Nous avons rencontré Antonie Stárová à Prague mercredi dernier, deux jours avant le match France-Etats-Unis comptant pour les quarts de finale d’une Coupe du monde féminine qui bat actuellement son plein dans l’Hexagone. Un Mondial qu’Antonie, envieuse, suit très attentivement :

Antonie Stárová,  photo: Guillaume Narguet
J’essaie de regarder chaque match. C’est un championnat très intéressant et vous pensez bien que je regrette beaucoup que la République tchèque n’y participe pas. Mais cela me fait très plaisir de voir que l’on parle autant du football féminin et que les gens s’y intéressent. Le public est nombreux dans les stades, même la Télévision tchèque diffuse les matchs en direct ! J’espère bien que j’aurai l’occasion de jouer de tels matchs un jour dans ma carrière. »

Troisième de son groupe derrière l’Allemagne et l’Islande lors des éliminatoires, la République tchèque n’est pas parvenue à se qualifier pour la Coupe du monde, compétition à laquelle elle n’a encore jamais participé. Antonie Stárová, qui compte à ce jour dix-sept sélections en seniors, espère toutefois que ce n’est là que partie remise :

« Je pense qu’il ne nous manque plus grand-chose pour nous qualifier pour une grande compétition. Pour cela, il faudrait quand même que le niveau du championnat tchèque s’élève. Jusqu’à présent, la lutte pour le titre de champion se résume essentiellement à un duel entre le Sparta et le Slavia, qui sont les deux meilleures équipes, un peu comme en France avec Lyon et le Paris Saint-Germain. A l’exception des derbys et de la Ligue des championnes, les filles ne disputent pas assez de matchs difficiles. »

« Malgré cela, nous aurions pu nous qualifier pour la Coupe du monde. Nous travaillons pour cela avec un très bon entraîneur, Karel Rada (finaliste de l’Euro 1996, ndlr). Maintenant, le prochain objectif, c’est le championnat d’Europe en 2021. Y participer confirmerait la progression du football féminin en République tchèque. »

Antonie Stárová,  photo: YouTube
Actuellement 29e nation mondiale, la République tchèque reste encore le théâtre d’un développement du football féminin moins marqué que dans d’autres pays en Europe et dans le monde.

Lors d’un déplacement que l’Olympique lyonnais avait effectué à Prague en 2011 pour y affronter le Sparta en Ligue des championnes, Jean-Michel Aulas, le président du meilleur club féminin européen de ces dix dernières années, avait expliqué au micro de Radio Prague pourquoi l’OL avait décidé d’investir autant de moyens dans le football féminin. Huit ans plus tard, le regard qu’il portait alors sur une discipline en plein boom, reste plus que jamais d’actualité :

« Les valeurs de parité sont d’actualité non seulement dans le football, mais aussi d’une manière générale dans la vie en société. Il existe une cohérence entre les valeurs qui tournent autour de la femme et du football, un sport qui est très collectif et peut être très esthétique. Il n’y a pas d’incompatibilité comme pour le rugby, où c’est plus difficile pour de jeunes femmes de s’imposer en dégageant justement ces valeurs. En revanche, dans le foot, on peut avoir de la technique, du physique, mais aussi de l’esthétique, à la fois individuelle et collective, tout cela au profit des valeurs de parité évoquées. De manière générale, la société aujourd’hui a besoin de plus de femmes. »

« Si on ne tente pas l’aventure à 20 ans… »

La tête bien sur les épaules, comme le confirme sa réussite dans les études supérieures comme sur le terrain, Antonie Stárová, qui a commencé à pratiquer le football avec les garçons lorsqu’elle était encore toute petite, compte aujourd’hui parmi les rares joueuses tchèques à évoluer à l’étranger, avec notamment l’attaquante Lucie Voňková transférée cet été du Bayern Munich à l’Ajax Amsterdam. Pour cette prometteuse milieu de terrain censée incarner l’avenir radieux du foot féminin tchèque, étudier aux Etats-Unis, où ses qualités de footballeuse lui ont permis d’obtenir une bourse qui finance l’intégralité de ses études, a été un choix bien réfléchi :

« J’ai pris cette décision essentiellement en raison du football. Même si j’ai bien entendu tenu compte des possibilités pour les études, j’ai voulu donner la priorité au football. J’ai senti que cela faisait suffisamment longtemps que j’étais au Sparta. Je ne voulais pas stagner et j’avais envie de découvrir un autre pays. Je me suis dit que si je ne tentais pas l’aventure à mon âge, je ne le ferais plus jamais. Je ne voulais pas avoir de regrets. Avec mon père, nous avions remarqué lors de la précédente Coupe du monde que beaucoup de joueuses de différents pays étaient passées par des universités américaines. A l’époque, j’étais encore au lycée et je n’avais pas encore passé mon bac, mais cette perspective est vite devenue un objectif concret pour moi. C’est comme ça que j’ai découvert que le niveau du football universitaire féminin était très bon aux Etats-Unis, et aujourd’hui je suis convaincue d’avoir fait le bon choix. »

« Je tiens à mon rêve »

Photo: FAČR,  FB Antonie Stárová
Un si bon choix qu’Antonie Stárová s’apprête à donner une nouvelle dimension supplémentaire à sa carrière. A compter de la prochaine rentrée, c’est à l’Université d’Etat de Caroline du Nord qu’elle poursuivra ses études de psychologie – une science qu’elle avoue avoir choisie pour les possibilités qu’elle pourrait lui offrir dans le domaine du sport une fois sa carrière de joueuse terminée. Ce changement lui permettra surtout d’évoluer désormais sous le maillot du Wolfpack, le club omnisports de l’Université de Caroline du Nord, à un niveau plus relevé que celui de la saison écoulée à l’Université du Delaware. Une progression nécessaire aux yeux d’Antonie :

« Je tiens à mon rêve, qui est de devenir footballeuse professionnelle. Je veux mettre toutes les chances de mon côté, mais on ne sait jamais de quoi sera fait demain, et surtout pas dans une carrière de footballeur, où il y a beaucoup d’aléas. C’est pourquoi je compte bien aussi aller au bout de mes études et décrocher mon diplôme. Mais aujourd’hui je suis dans une situation où toutes les conditions sont réunies pour que mon rêve se réalise. Si une équipe de la ligue professionnelle américaine me faisait une proposition, je ne pourrais pas refuser. Mais mon plus grand rêve serait de revenir en Europe et de jouer en France. Ce serait pour moi le summum. »

Malgré un niveau de français scolaire encore hésitant, Antonie Stárová a bien volontiers accepté d’expliquer dans la langue de Franck Ribéry ce qui l’attire dans le pays des champions du monde :

Antonie Stárová,  photo: LinkedIn
« J’adore la langue française, mais aussi la France en tant que telle. J’ai visité Paris, Lyon et d’autres endroits, et j’ai trouvé que les gens étaient sympathiques. Et puis j’aime aussi la mer… Comment dire ? Vive la France ! »

« Vive la France », mais aussi « Vive l’Amérique » car, entre la France, le pays dans lequel elle se verrait donc bien jouer à l’avenir, et les Etats-Unis, son pays d’adoption, le cœur d’Antonie Stárová est partagé. Avant le match entre les deux pays, l’internationale tchèque ne cachait d’ailleurs pas qu’elle ne voyait pas les Bleues être sacrées championnes du monde :

« Je pense qu’elles ne le seront pas… La France n’a pas mal joué, mais je dirais que ce sont plutôt les Etats-Unis qui seront les nouveaux champions. »

Antonie Stárová, qui assistera à la finale de la Coupe du monde à Lyon, ce dimanche ne s’est donc pas trompée dans son pronostic, ne serait-ce que pour le quart de finale remporté vendredi par les Américaines, la preuve, si besoin encore en est, que désormais, en matière de football, les femmes tchèques y ont, elles aussi, tout compris.