Le rire pour oublier novembre
Ce que possède peut-être de plus beau le mois de novembre en République tchèque est son appellation poétique : « listopad », qui littéralement signifie « la chute des feuilles », bien entendu des arbres. Pour le reste, une fois le bel automne riche en couleurs passé, et en attendant la lumière des fêtes de fin d’année, ce mois de novembre, généralement marqué par la grisaille et des jours de plus en plus courts, ne constitue pas, pour la majorité des Tchèques, la période la plus réjouissante de l’année. Pour nous, c’est donc l’occasion parfaite de nous intéresser à l’étude du verbe « smát se » - « rire », et à quelques-unes de ses variantes qui se forment à l’aide des préfixes. Un peu comme pour Milan Kundera avec son Livre, il s’agira donc, à une échelle toutefois bien plus modeste, d’une rubrique du rire et de l’oubli, ou plus précisément du rire pour oublier la grisaille de novembre.
Inversement, même s’il n’existe pas d’équivalent en tchèque des expressions françaises « rire du bout des dents » ou « du bout des lèvres » pour désigner un rire pincé, les Tchèques sont néanmoins parfois quand même forcés de rire, bien qu’ils n’en aient pas envie. Ce faux rire ou ce rire à contrecœur se dit alors « smát se nuceně », soit « rire avec réticence (ou par contrainte) ». Il peut également être question de « rire jaune ». On parlera alors en tchèque de « hořký smích », soit un « rire amer ». Rien de très original, donc…
Ce qui l’est bien plus, c’est l’expression « smát se jako měsíček », littéralement « sourire comme la lune ». Bien sûr, il s’agira d’un quart de lune et non pas d’une pleine lune, en raison évidemment de la forme du quart de lune qui fait penser à un large et franc sourire. En français, « smát se jako měsíček » donnerait « avoir le sourire jusqu’aux oreilles ». Généralement, si on « sourit comme la lune », c’est parce que l’on est heureux de vivre, de bonne humeur, en un mot que l’on « a la banane ». Et finalement, à la réflexion, « smát se jako měsíček » se rapproche dans un certain sens de l’expression « avoir la banane » en raison, dans les deux cas, encore une fois, de la forme similaire du sourire.Mais avant d’en arriver à tous ces états, encore faut-il d’abord « se mettre à rire ». Pour cette notion de commencement est employé le verbe pronominal « rozesmát se », c’est-à-dire « dát se do smíchu ». Certaines fois, de quelque chose ou de quelqu’un, on « rit de bon cœur » - « zasmát se od srdce ». Et quand, inversement, l’action consiste à faire rire quelqu’un d’autre, à le dérider, à l’égayer ou à amuser la galerie, il s’agit alors de « rozesmát ».
Comme le chante Ondřej Ruml, dans sa chanson intitulée « Úsměv » - « Un sourire », « Úsměv tvůj mi dneska stačí » - « Ton sourire me suffit aujourd’hui », et vous vous doutez bien qu’il en va du sourire d’une femme. Si un petit sourire peut donc suffire au bonheur et à illuminer un cœur ou une journée, dans d’autres circonstances cependant, on se contente seulement de sourire – usmát se. Ça ne peut même être qu’une ébauche de sourire – pousmát se, qui peut ressembler à une forme de politesse ou à un sourire timide, mais on peut aussi esquisser un sourire forcé, distant ou réservé par exemple lorsque l’on voit ou croise quelqu’un que l’on ne connaît pas bien ou que l’on n’apprécie guère.
Très loin donc de quelqu’un qui sera « vysmátý » ; un adjectif très intéressant, car bien qu’il soit fréquemment utilisé, on n’en trouve trace dans aucun dictionnaire. Pourtant, il existe bien le verbe « vysmát se », qui signifie « se moquer ». Mais curieusement, l’adjectif qui en découle n’a sémantiquement pratiquement rien à voir, même si, bien entendu, la notion de rire demeure néanmoins. En fait, à l’origine, un Tchèque « vysmátý » est un Tchèque qui a fumé de l’herbe : un des effets de la fumette de cannabis, ou si vous préférez d’une cigarette magique ou rigolote, étant l’apparition d’une légère euphorie, accompagnée d’un sentiment d’apaisement et d’une envie spontanée de rire.Mais ce n’est pas là le sens unique du mot « vysmátý », qui peut également désigner quelqu’un de bonne humeur qui n’aura cependant pas consommé de drogue ou encore quelqu’un qui aura su tirer profit immoralement de quelque chose en toute impunité. Dans tous les cas, on retrouve la notion de contentement, de satisfaction, une notion que les Tchèques aiment à qualifier avec un mot qui n’appartient qu’à eux et que nous avons déjà évoqué dans une émission précédente, le mot peut-être foncièrement le plus tchèque de tous : POHODA !
C’est donc en étant « vysmátý » et « v pohodě » que s’achève ce « Tchèque du bout de la langue » du rire et de l’oubli ou du rire pour l’oubli. On se retrouve dans quinze jours avec le sourire et le cœur à rire. D’ici-là, portez-vous du mieux possible - mějte se co nejlíp !, portez le soleil et un quart de lune en vous - slunce v duši, salut et à bientôt - zatím ahoj !