Le roman Le Lac de Bianca Bellová décroche le prix de littérature de l’Union européenne
« Ma mère est tchèque, mon père est bulgare, mon nom est italien et mon mari est anglais. » C’est ce que répond l’écrivaine tchèque Bianca Bellová à ceux qui s’intéressent à ses origines. Son dernier roman, Jezero (Le Lac), a été récemment proclamé Livre de l’année 2016 dans le cadre du concours Magnesia litera et a aussi obtenu le prix de littérature de l’Union européenne.
« Je ne sais pas comment je fais. »
Chaque année, les jurys de 11 ou 12 pays des 37 Etats participant au programme « Culture » sélectionnent un écrivain émergent dans le domaine de la littérature de fiction contemporaine de leur pays. Cette fois-ci le prix de littérature de l’Union européenne a été remporté par Le Lac de Bianca Bellová. Au sujet de son œuvre l’écrivaine souligne l’importance du thème qui est pour elle le mécanisme de déclenchement du processus de création :« Les lecteurs qui me connaissaient un peu, qui ont lu plusieurs livres de moi, me disent qu’ils me reconnaissent, que mes textes sont spécifiques et me demandent comment je fais. Et je réponds que je ne sais pas. Pour moi, c’est tout simplement l’unique façon d’écrire. Quand je suis touchée par un thème, je m’y investis. Je me consacre entièrement au thème qui m’a choisie. Et en ce qui concerne la recherche au niveau du style et de la langue, ce n’est pas vraiment mon domaine. »
Un paysage sinistré par une catastrophe environnementale
Le Lac est déjà le quatrième livre de Bianca Bellova. Comme elle n’aime pas la volubilité et préfère une certaine sobriété du style, ces livres sont plutôt courts et elle les qualifie de nouvelles. Le Lac a pourtant beaucoup des aspects du roman. L’auteur amène le lecteur dans un paysage dévasté par une catastrophe écologique, catastrophe qui se répercute aussi dans les existences des gens qui y vivent. L’auteur a trouvé la première inspiration pour ce récit dans une revue illustrée :
« J’ai vu un photoreportage de la région de la mer d’Aral qui était très expressif. Il a été publié dans National Geographic. Ces images m’ont beaucoup impressionnée et je me suis mise à réfléchir sur la façon dont je pourrais y situer l’histoire d’un garçon qui arrive à maturité. Je voulais donc écrire une espèce d’allégorie. Néanmoins, tout cela est évidement lié d’une certaine façon à ce qui se passe dans le monde, à des problèmes comme par exemple l’économie de l’eau, les migrations, etc. »La mer d’Aral est située entre le Kazakhstan et l’Ouzbékistan. Au cours de la seconde moitié du XXe siècle, le plus grand lac du monde perd progressivement son eau. Il finit par être presque desséché à cause du détournement de deux grands fleuves qui l’alimentait et dont l’eau a été utilisée pour la production intensive du coton. Cela provoque une des plus grandes catastrophes environnementales du XXe siècle.
Nami, un garçon au fond du désespoir
C’est dans ce paysage sinistré qui ressemble à celui des bords de la mer d’Aral que la romancière a situé l’histoire de Nami, garçon qui n’a jamais connu ses parents. Il vit avec ses grands-parents dans ce paysage insalubre et dévasté par la sécheresse et les matières chimiques, dans un pays soumis à une dictature et occupé par une armée étrangère. Bianca Bellová évoque son héros :
« C’est l’histoire d’un garçon dans un monde qui se désagrège, l’histoire d’une communauté plutôt traditionnelle qui se heurte à un régime agressif et imposé de l’extérieur. Et le garçon qui grandit dans cet univers, s’interroge sur la façon dont il faut aborder ce monde en désintégration. »
Les grands-parents de Nami sont pauvres et il semble que le garçon n’a rien à perdre, mais la vie lui prépare encore d’autres épreuves et d’autres pertes. Ses grands-parents trouvent la mort dans les eaux du lac, le nouveau locataire le chasse de sa maison, la jeune fille qu’il aime est violée par des soldats russes. Il ne lui reste rien sauf une petite lueur d’espoir, l’espoir de trouver sa mère, cette femme qu’il n’a vue qu’une fois dans sa petite enfance et qu’il ne peut pas oublier. Il quitte donc son village et s’en va chercher sa mère dans la capitale pour y vivre d’autres épreuves et d’autres déceptions.Un récit situé dans la période « post-soviétique »
Bien que l’auteur n’ait pas voulu donner à son histoire un cadre géographique bien précis, le lecteur trouve dans le livre de nombreuses allusions qui situent le livre dans un pays occupé par une armée étrangère et dans une situation historique que Bianca Bellová appelle « post-soviétique » :
« Mes livres précédents ont toujours reflété l’expérience que nous avons de la vie sous la normalisation dans les années 1960, 1970 et 1980. Mais les personnages que j’ai appelé ‘les Russes’ dans mon dernier livre, personnages que vous considérez comme négatifs, c’est plutôt un symbole, parce qu’il me semblait comme très artificiel d’inventer pour eux de nouveaux noms. De toute façon, tout le monde devinerait de qui je parle, chacun saurait que je parle des Russes. Je cherche à ne pas confondre et à séparer l’engagement civique et l’écriture mais une séparation absolue n’est probablement pas possible. »
Je cherche à ne pas confondre et à séparer l’engagement civique et l’écriture mais une séparation absolue n’est probablement pas possible.
Selon le jury du Magnesia litera, l’histoire de Nami personnifie le paysage sinistré dans lequel il se déroule : « Elle prend racine dans la boue toxique du lac qui se dessèche, dans les baraquements où vivotent les derniers désespérés et des soldats russes. L’impression suggestive est encore renforcée par la langue poétique et l’imagination de l’auteur qui contrastent avec la brutalité omniprésente. Le livre s’achève par un point final incisif et un dénouement qui reste ouvert. Bianca Bellová a écrit un mythe très personnel, l’histoire saisissante d’une initiation car le petit héros du livre doit toucher le fond de son désespoir pour émerger finalement à la surface plus fort et plus lucide. »
Un thème puissant
Quand le lecteur referme le livre, il n’arrive pas facilement à oublier l’image de Nami, ce garçon qui résiste tant bien que mal à un monde qui lui est hostile, à la force brutale, la cruauté, la maladie, l’arrogance, la bêtise et la superstition. Dans ce désert où il lui faut vivre, il rencontre pourtant quelques personnes qui le prennent pour un être humain, lui manifestent un peu de sympathie et lui permettent finalement de survivre. La brutalité du sort que le garçon doit affronter finit par éveiller en lui une résistance intérieure, une source de force qui lui permet de se ressaisir, d’échapper au désespoir et à la résignation, de mûrir et de devenir homme. Pour Bianca Bellová, la vie de ce garçon martyre et obstiné a été un thème puissant qui lui a permis de déployer son don de narration :
« Il est important pour moi d’avoir un motif intense, un sujet fort. C’est nécessaire pour la qualité du texte, afin que je sois capable de faire sortir par l’écriture ce qu’il y a de meilleur en moi. Et quand un lecteur apprécie et quand il me dit que mon livre l’a ému et que c’était une sensation forte, ce sont pour moi des réactions essentielles. Quand un lecteur s’adresse à moi pour me dire ce que mon texte lui a fait, c’est ma plus grande satisfaction en tant qu’écrivaine. »