« Le rugby tchèque a un projet et des rêves »
Certes, ce n’est pas encore en 2019, ni même sans doute lors de la suivante en 2023, et peut-être même jamais d’ailleurs, que la République tchèque disputera la Coupe du monde de rugby. Bien que sa fédération fête cette année son 90e anniversaire, le rugby reste encore un sport très largement mineur en République tchèque. Toutefois, succès auprès des téléspectateurs aidant lors des deux derniers Mondiaux, les enfants, encouragés par leurs parents, sont désormais un peu plus nombreux à vouloir découvrir les joies de l’ovalie. L’équipe nationale, elle aussi, a un peu meilleure mine depuis quelque temps. Après plusieurs années de vaches maigres, la Reprezentace obtient désormais des résultats plus conformes à ce que ses supporters sont en droit d’attendre d’elle. Cette progression, le XV tchèque la doit notamment à son entraîneur polonais Tomasz Putra. Celui-ci, qui vit en France depuis la fin des années 1980, s’est confié au micro de Radio Prague à l’issue du récent match de gala organisé à Prague contre les Barbarians britanniques :
Quatre jours après ce match de gala, vous allez recevoir la Lituanie à Prague pour votre deuxième match comptant pour le championnat européen des nations – Conférence 1 Nord (victoire de la République tchèque 15 à 6). Ce sera aussi votre deuxième match comptant pour les éliminatoires de la prochaine Coupe du monde. Serez-vous plus exigeant avec vos joueurs ce samedi que pour ce match contre les Barbarians ?
« Les choses sont claires : ce soir, c’était la fête pour le 90e anniversaire de la fédération tchèque. Mais dès samedi, ce sera de nouveau un combat. Nous avons besoin de points et le discours sera donc complétement différent. L’objectif sera de reproduire contre la Lituanie ce que nous avons essayé de mettre en place ce soir. Nous voulons terminer en tête de notre poule pour figurer en bonne position lors des matchs suivants de barrages pour la Coupe du monde. Notre rêve est d’accueillir à Prague la meilleure équipe du niveau supérieur en novembre 2017. Nous avons bien étudié le calendrier des matchs et nous savons que c’est faisable. »
Qu’est-ce que cela signifierait ? Recevoir une équipe comme la Roumanie ou la Russie ?
« Non, il existe encore un niveau intermédiaire entre nous, qui sommes très bas, et ces équipes (qui figurent dans la division appelée Championship, antichambre du Tournoi des VI nations, en compagnie de la Géorgie, de l’Espagne, de l’Allemagne et de la Belgique, ndlr.). Néanmoins, de bons résultats nous permettraient de jouer à la maison tous les matchs de la phase qualificative à la Coupe du monde. Je pense que cela serait intéressant avec le potentiel de joueurs que nous avons encore à l’étranger – car je dois préciser qu’il nous manquait contre les Barbarians quatre à cinq joueurs de très bon niveau. Je regrette d’ailleurs beaucoup leur absence, car même si nous n’aurions très certainement pas gagné avec eux non plus, nous aurions néanmoins probablement été bien meilleurs au niveau de l’efficacité. »« Même amateurs, les joueurs doivent avoir une attitude professionnelle »
Beaucoup de joueurs de l’équipe nationale tchèque évoluent dans des clubs français de différents niveaux. Ont-ils donc envie de jouer pour la Reprezentace ? On suppose que cela n’est pas simple pour eux, car ce sont des joueurs qui doivent d’abord se battre pour gagner leur place dans leurs clubs en France. Or, lorsqu’ils viennent à un rassemblement de l’équipe nationale, cela signifie qu’ils ont un long voyage à effectuer et plusieurs jours de préparation à suivre avant le match…
« Oui, c’est effectivement très difficile pour eux, car c’est en France qu’ils gagnent leur pain. Mais ils ont un cœur tchèque… Pour un match comme celui d’aujourd’hui contre les Barbarians, tout le monde avait envie de participer. Les seuls qui ne sont pas venus, c’est parce qu’ils sont blessés. »
Et lorsqu’il s’agit d’aller jouer en Suède, en Lituanie, au Luxembourg ou en Lettonie, les pays qui figurent dans votre poule dans le championnat européen ?
« Ils sont présents ! Il n’y a pas de problème de ce côté-là et je les admire, car ils prennent de gros risques en venant en équipe nationale. Ils peuvent notamment perdre leur place en France. Il leur faut donc doublement se mobiliser. Nous avons des joueurs exceptionnels dans notre équipe comme Miroslav Němeček ou Lukáš Rapant (cf. : http://www.radio.cz/fr/rubrique/sport/rugby-en-visite-chez-les-deux-tcheques-du-top-14-1ere-partie et http://www.radio.cz/fr/rubrique/sport/rugby-en-visite-chez-les-deux-tcheques-du-top-14-2e-partie) qui répondent toujours positivement aux convocations si les matchs de l’équipe nationale ne coïncident pas avec ceux de leurs clubs en championnat. »Dans quelle mesure est-il essentiel, voire peut-être même vital, pour la Reprezentace de remonter d’un niveau dans le championnat européen ? On se souvient que la République tchèque évoluait il y a quelques années de cela dans la division qui se situe juste en-dessous du Tournoi des six nations et affrontait alors des équipes comme la Géorgie, la Roumanie ou le Portugal ; bref des adversaires quand même d’un tout autre calibre que ceux auxquels vous êtes opposés aujourd’hui. Lors du dernier championnat européen, c’est la Suisse qui est montée à vos dépens…
« Vous savez, dans une petite nation du rugby comme la République tchèque où le réservoir de joueurs est limité, il faut d’abord parler d’une génération exceptionnelle. Je pense là à des joueurs fantastiques comme Jan Macháček ou Martin Kafka et d’autres encore qui ont atteint un très haut niveau. Mais cette génération a progressivement arrêté et il nous faut désormais reconstruire une équipe avec des jeunes joueurs. Pour le match en Suède par exemple (victoire des Tchèques 56 à 14 en septembre dernier en ouverture du championnat européen, ndlr), j’avais aligné sept nouveaux joueurs. On assiste donc à un renouvellement de générations. »« Mais il y a trois ans de cela, nous étions presque tombés au 50e rang mondial. Désormais nous sommes remontés au 32e. Or, c’est ce rang qui définit notre reconnaissance auprès de World Rugby (l'organisme international qui gère le rugby à XV et le rugby à VII, ndlr). Le plus important est donc de continuer à progresser avec des joueurs qui, je pense, ont compris le message. On peut être amateur tout en ayant une attitude et un comportement professionnels, et c’est ce que je demande à mes joueurs. On arrive à un stade où être un amateur avec beaucoup de volonté ne suffit plus. Il faut donc que les joueurs s’investissent davantage, notamment au niveau de la discipline, et moi-même je suis beaucoup exigeant avec eux que je ne l’étais il y deux ans de cela. »
« La formation des entraîneurs et l’encadrement des jeunes sont les priorités pour le développement du rugby tchèque »
Question plus personnelle : vous êtes d’origine polonaise et vivez et travaillez en France. Qu’est-ce qui vous lie donc à la République tchèque ?
« Avant la République tchèque, j’ai entraîné la Pologne pendant sept ans. Son équipe nationale était au 40e rang mondial lorsque je suis arrivé à sa tête et elle était aux alentours de la 25e lorsque je l’ai quittée. Il y avait un projet intéressant là-bas, mais nous étions arrivés à un niveau où il faut prendre des décisions politiques quant aux moyens à mettre en œuvre, et la fédération polonaise a pris un peu peur par rapport à certains projets que je voulais mettre en place et a préféré faire un pas en arrière. Certains joueurs étaient prêts à adhérer à ma vision des choses et d’autres pas, car cela les obligeait à faire plus de sacrifices. Mais c’est normal, je le comprends. »« En République tchèque, si le projet actuel aboutit, nous nous retrouverons dans la même situation dans un ou deux ans. Nous arriverons à un palier où il faudra plus de moyens si nous voulons le franchir. Mais c’est la logique des choses. »
Comment envisagez-vous l’avenir du rugby en République tchèque ? Est-il condamné selon vous à rester un sport mineur, surtout quand on connaît la hiérarchie du rugby mondial et européen avec de très grands écarts de niveau entre les pays ?
« Construire quelque chose en République tchèque ou dans les pays ce type ne peut pas se faire tour de suite. Cela nécessite beaucoup de temps. Le problème en République tchèque est que la culture des clubs freine un peu le développement de l’équipe nationale. Les gens sont plus attachés à leurs clubs qu’à l’équipe nationale. C’est un état d’esprit qu’il faut changer. Ce sont les clubs qui doivent être davantage au service de l’équipe nationale. Cela passe aussi par l’amélioration de la qualité des entraîneurs. Leur formation doit être la priorité de la fédération. Il faut investir pour pouvoir encadrer les jeunes. Ce n’est qu’ensuite que l’on verra naturellement arriver de nouveaux joueurs. Quand on voit le spectacle d’un match comme celui contre les Barbarians, les valeurs qui règnent sur le terrain, je pense que c’est un sport qui vaut le coup d’être développé et d’ouvrir à un plus large public en République tchèque. »