Le skateboard en République tchèque, une pratique toujours en plein essor
La République tchèque est un des premiers pays d’Europe centrale et de l’Est où la pratique du skateboard s’est établie. Aujourd’hui, toujours plus de monde vient pour surfer le bitume à Prague notamment, où la communauté de skateurs et autres longboardeurs ne cesse de s’agrandir.
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Sur l’esplanade de Letná, la place dite « Staline », à l’endroit où autrefois se trouvait l’immense monument à Staline, est un lieu emblématique de la scène du skateboard à Prague. Bien qu’une sculpture appelée Métronome y ait remplacé la statue de l’ancien tyran soviétique, la place reste mondialement connue des touristes et des skateurs. Beaucoup y viennent en provenance de tous les pays. En septembre 2019, suite à la décision prise par les autorités d’en interdire l’accès, une pétition avait été lancée et signée par plus de 1 500 personnes en quelques heures afin de préserver le lieu.
Libor, vendeur à Easy Rider, un magasin spécialisé dans le 2e arrondissement, revient sur l’évolution de la pratique et de la scène du skate à Prague :
« J’ai commencé quand j’avais dix ans. Mes parents m’ont acheté un skate et j’ai commencé à m’entraîner seul. C’était il y a trente ans, et à cette époque, ce n’était pas encore aussi développé. Puis il y a eu des magazines et la scène du skateboard s’est développée. Il y a quinze ans, il y a eu un boom avec peut-être vingt magasins de skate à Prague, et de nombreux skate-parks se sont construits au fil des ans, notamment vers la place de la République. »
Skateur, Libor ne se limite pas à la pratique de ce sport. Il revient justement d’un voyage en France, où il a surfé dans la région de Bordeaux. C’est en effet lié à l’histoire du skate. Les premières planches n’avaient rien à voir avec les skateboards d’aujourd’hui. L’histoire de cette pratique, Klez Brandar, un Français qui vit à Prague depuis cinq ans, nous la raconte :
« Je pense que chaque skateur, et même chaque personne intéressée par la culture street, donc par le hip-hop, le punk, le rock ou le graffiti, sait que le skate vient des années 1960, quand les gens ne pouvaient pas faire de surf et ont commencé à mettre des roues sous une planche qui n’était pas une planche de surf mais pas encore une planche de skate, mais qui est néanmoins devenue ce qu’elle est maintenant. La pratique a énormément évolué : dans les années 1970 il y avait les slaloms, dans les années 1980 il y a eu le début du street. Il y a plusieurs types de pratiques. Il y a aussi le longboard (aussi appelé longskate, il s’agit d’une planche à roulettes plus longue qu’un skateboard classique), et même dans ce microcosme il existe plusieurs styles. C’est une pratique qui s’est beaucoup développée et a atteint un niveau impressionnant. »
Il arrive néanmoins que certains skateurs soient critiques à l’égard des autres pratiques, comme celle du longboard, qu’ils dénigrent en l’associant à un sport ‘de fille’. Valérie Kindlová, responsable production à la Radio tchèque, est une des ambassadrices du Longboard Girls Crew. Nous l’avons interrogée sur les raisons de ces préjugés :
« Je connais cette opinion parmi la communauté des skateurs, mais je pense que ça vient d’un manque de connaissances sur le longboard. Je comprends que les skateurs, qui font des figures et se cassent les chevilles, trouvent que rouler sur une longue planche dans un parc est idiot. Et ils pensent la même chose du dancing, alors que l’on peut faire certaines des figures de skate. Je le vois moi-même en ce moment. Quand je vais à ‘Staline’, je rencontre des skateurs qui, au début, ne voient qu’une fille sur un longboard et font des figures pour te montrer qu’ils sont les vrais riders. Alors je leur réponds en faisant moi aussi des figures, pour qu’ils voient que je ne suis pas une sorte de poseuse. »
Dans le vocabulaire des skateurs, le mot ‘poseur’ fait référence à une personne qui prétend être un skateur mais qu’il ne l’est pas. C’est uniquement pour se donner un air. Bien souvent, les filles qui souhaitent débuter ne sont pas prises au sérieux. C’est précisément dans le but de mettre fin aux clichés sexistes que le premier Longboard Girls Crew a été créé en Espagne en 2010. Cette communauté de pratiquantes de longboard a inspiré d’autres femmes et aujourd’hui il existe des Longboard Girls Crew dans 51 pays. Le but est d’aider et d’encourager les filles et les femmes qui veulent skater en organisant des sessions. Selon Valérie Kindlová, la situation a grandement évoluée depuis quelques années :
« La situation s’est améliorée ces dernières années. Je skate depuis que j’ai six ou sept ans, mais le problème était que j’étais une des deux seules filles qui allaient au skate-park. On se sentait bizarres, car personne ne nous aidait, personne ne se souciait de nous. Ce qui est bien, c’est que je vois de plus en plus de petites filles. Pour moi, quand j’étais petite, ce n’était pas ordinaire. »
Valérie s’est mise au longboard en 2011. Elle a appris à descendre des pentes, une pratique appelée « longboard downhill », dangereuse. Elle nous indique donc comment réduire les dangers :
« Les voitures sont le plus gros problème, surtout quand on veut s’entraîner. Généralement, quelqu’un se trouve en bas de la pente et nous avons des talkies walkies. C’est la solution la plus sûre, même si ça reste loin d’être parfait et sans risques. »
Valérie souhaiterait que la ville de Prague dédie certains espaces à cette pratique pour la rendre plus sûre, surtout pour les débutants.
« Ce serait parfait ! Au Canada, un premier parc a été construit spécifiquement pour les longboardeurs, mais j’ai peur que la communauté en République tchèque ne soit pas suffisamment grande pour que nous ayons la même chose ici. »
Ni la pratique ni la communauté de longboardeurs ne sont en effet les mêmes que celles des skateurs. Nous avons rencontré Jan, un jeune longboardeur qui a étudié pendant un semestre à Lyon. Il remarque que si la communauté des longboardeurs à Prague n’est plus aussi importante qu’il y a quelques années, c’est le contraire pour celle des skateurs :
« En fait, il y a un peu un déclin. Le plus grand boom, je pense, était en 2016 et 2017. Maintenant, il y a beaucoup de gens qui étaient doués et qui sont partis, car ils avaient d’autres activités. Il y a aussi des gens plus âgés qui ont fondé une famille et qui ont arrêté. Avant, il y avait aussi un championnat tchèque, mais le dernier a eu lieu en 2017. Maintenant il n’y a plus qu’un seul évènement à Kozákov, dans le nord-est de la Bohème, alors qu’il y en avait cinq par an il y a encore quelques années. Peu de gens veulent venir et payer pour autant d’évènements. »
« C’est l’inverse pour le skate, car plus de gens veulent en faire. Quand j’ai commencé à en faire à ‘Staline’, il n’y avait pas grand-monde alors que maintenant il y a plein de jeunes de 14-15 ans. C’est plus simple que le longboard, qui est plus cher. C’est un peu comme le ski, il faut payer pour les évènements, les planches sont très chères, alors que pour faire du skate il suffit de s’acheter une planche et d’aller dans un skate-park. En plus, c’est gratuit ! »
Si la compétition internationale qui se tient à Kozákov est le lieu de rendez-vous annuel des longboardeurs en République tchèque, la Mystic Skate Cup est celui des skateurs. Klez Brandar souhaite s’y rendre depuis plusieurs années déjà :
« Clairement, c’est un gros évènement. Ça fait trois ans que je me dis que je vais y aller, mais à chaque fois j’ai un empêchement. C’est quelque chose qui, évidemment, met en lumière les skateurs locaux et qui fait venir des légendes pour nous. »
Après avoir débuté le skate à l’âge de quatorze ans à Rennes, Klez nous livre son impression sur l’évolution de la pratique du skate de manière générale :
« Quand j’ai commencé le skate il y a vingt-et-un ans et qu’on marchait avec un skate dans la rue, on était des outsiders. Maintenant c’est devenu un truc cool, c’est-à-dire que les gens, quel que soit leur âge ou leur catégorie socio-professionnelle, aiment bien ça. Ce n’était pas bien vu, mais c’est devenu mainstream. Le skate a été intégré aux Jeux olympiques et des épreuves se tiendront pour la première fois à Tokyo. Il y a pleins de choses qui se font dans le skate. C’est accepté tout en conservant ce côté underground. Il y a aussi un panel de gens très différents : vous pouvez avoir un fils de ministre, un médecin, ou quelqu’un issu d’un milieu populaire… C’est ce qui fait la force d’une communauté qui grandit partout. »
La pratique a donc gagné en notoriété et a acquis une image plus positive au fil des années. La communauté de skateurs s’est agrandie et comporte, comme Klez nous l’explique, des gens de divers horizons en République tchèque aussi :
« A Prague, comme je suis étranger, je suis davantage connecté à la scène des étrangers et aux gens de mon âge, même si, et c’est ce qui est bien dans le skate, peu importe que vous ayez douze ou quarante-cinq ans. La semaine derrière, par exemple, j’ai rencontré un Péruvien de quarante-sept ans qui s’est mis au skate il y a un an et je lui ai proposé d’en faire avec moi. J’ai rencontré des gens de pleins d’univers différents, il va y avoir des gens qui vont plus venir du ‘skate hip-hop’, d’autres du ‘skate rock’. »
Toutes ces communautés ne forment cependant pas toujours une grande famille, les skateurs, qui peuvent être dans un esprit de compétition, manquant parfois de solidarité :
« Ca dépend de la taille de la ville, de son ambiance et de l’endroit. Par exemple, à Prague, sur la place ‘Staline’, il y a clairement des groupes et des mecs qui ne vont pas te parler. Personnellement, je ne suis pas un grand fan de l’ambiance là-bas. Je préfère la rue plutôt que d’aller trois fois par semaine au même spot. J’ai déjà skaté un camion, un bout de trottoir ou un frigo abandonné. L’ambiance dépend aussi en fonction des pays. A Lyon et à Bordeaux, les communautés de skateurs avaient mauvaise réputation. J’ai habité dans des grandes villes, à Buenos Aires, Nantes, Rennes, Vannes et Lorient. Et dans ces deux dernières villes, on se connaissait tous. »
A mesure que la communauté grandissait à Prague, les skate-parks ont fleuri. Klez nous livre son avis sur les raisons qui ont pu pousser la ville à investir dans la construction de skate-parks :
« Je n’ai pas la réponse au niveau politique, je n’habite ici que depuis cinq ans. Mais j’imagine qu’ils se sont rendu compte qu’il y avait une grande communauté, que c’était une vraie pratique et qu’il y avait un besoin. J’imagine qu’ils veulent structurer et faire évoluer la pratique. »
« Je sais qu’il y a des villes, comme Barcelone, où les architectes ont intégré la pratique du skate à la ville, et c’est quelque chose que je ne vois pas du tout à Prague. J’aimerais, dans le futur, que lorsqu’ils construisent une nouvelle place, le skate ou même le roller et le BMX y soient intégrés. Par exemple, on peut faire une statue qui soit à la fois jolie, une attraction touristique et un objet skatable. »
Intégrer l’architecture aux pratiques urbaines, c’est donc ce que Klez souhaite voir à Prague, qui n’est selon lui pas une ville skate-friendly, par exemple en raison des pavés, mais aussi des installations anti-skate. Klez admet que la pratique du skateboard dans les rues contient une part de risques et comprend la peur qu’elle puisse susciter. Toutefois, cette pratique a également des atouts :
« Beaucoup de gens se disent que c’est dangereux à cause des voitures qui passent, des piétons, des enfants, et ils ont raison. En même temps, c’est aussi quelque chose qui connecte la société, il y a pleins de spots où des non-skateurs viennent s’asseoir et regarder. »
« Cela apprend beaucoup de choses aux enfants, et il y a beaucoup de gens qui viennent de milieux difficiles, qui se sont mis au skate et pour qui celui-ci a été une bouée de sauvetage. Et tout ça parce qu’on apprend à tomber, et quand on tombe, on se relève. »
« Il faudrait laisser la pratique libre, ne pas trop l’institutionnaliser, ne pas interdire d’en faire dans la rue sous prétexte que dix skate-parks ont été construits. »
Dans le célèbre parc de Letná se trouve donc la célèbre place ‘Staline’. Ce n’est pas un skate-park et, pourtant, nombre de touristes viennent y surfer sur le bitume. C’est le cas de ce groupe de jeunes filles de Bratislava, dont l’une d’elles nous fait part de son expérience. Interrogée sur les espaces dédiés à la pratique du skateboard, Emma nous explique l’importance de ce lieu pour elle :
« Je trouve qu’ il existe beaucoup d’endroits à Prague. A Bratislava, nous n’avons rien du tout. Cette place ‘Staline’ est vraiment sympa. Ce serait encore mieux si elle était rénovée, et pas uniquement pour les touristes, mais aussi pour les skateurs, parce que c’est un peu le Saint Graal du skateboard à Prague. »
L’histoire de la pratique du skateboard à Prague est décrite dans le documentaire « King Skate », réalisé par Šimon Šafránek en 2018. Il explore son apparition en Tchécoslovaquie dans les années 1980, une époque où cela était mal vu. Jan a vu le film et nous a livré son avis :
« Ce documentaire, je l’aime tellement ! L’histoire, comment les gens ont commencé à faire du skate en République tchèque, c’est super intéressant. Je connais des gens qui étaient les premiers skateurs ici. Et on voit que même sous le communisme, un grand évènement international a pu être organisé, c’était en 1988. Avant, tout le monde pensait que les skateurs étaient des criminels. »
En quelques décennies, la pratique du skateboard a donc acquis une autre image, évoluant au fil du développement de sa communauté.