Le système scolaire tchèque est-il discriminatoire?

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Selon un récent rapport gouvernemental, 75% des enfants roms fréquentent des écoles qualifiées de spéciales, des écoles où sont normalement placés les enfants souffrant d'un handicap mental. Les organisations de défense des droits de l'Homme et certains Roms voient dans cette proportion le résultat de la discriminination institutionnalisée du système éducatif tchèque. A la fin des années 90, dix-huit jeunes avaient déposé une plainte, arguant du fait qu'ils avaient été placés dans des écoles spéciales uniquement en raison de leur appartenance ethnique. Après avoir été déboutés par les juges tchèques, ils ont porté l'affaire devant la Cour européenne des droits de l'Homme. Si le juge européen reçoit la requête, ce sera la première du genre dans l'histoire de la Cour strasbourgeoise.

Jan Jarab, ancien délégué gouvernemental aux droits de l'Homme, est aujourd'hui membre du cabinet du commissaire européen aux Affaires sociales, Vladimir Spidla. Il connaît bien le problème des écoles spéciales:

« Le fait que tant d'enfants roms soient scolarisés dans des écoles spéciales est problématique. Nous avons déjà abordé ce problème avec le ministère de l'Education, parce qu'il est certain qu'un bon nombre de ces enfants ne sont pas handicapés mentalement, au sens propre du terme. »

David Murphy est le responsable de l'association Nova Skola - Nouvelle Ecole - une association qui milite pour le multiculturalisme dans le système scolaire tchèque. Pour cet Américain, le constat est clair :

« Je pense que le système scolaire tchèque est fondamentalement raciste. Je ne dirais pas que c'est un racisme dirigé contre une minorité en particulier, mais plutôt le produit d'une société homogène qui est incapable de traiter avec des gens qui ont des besoins différents. »

Svetlana est une jeune fille rom de Moravie. Elle représente aujourd'hui son pays plusieurs fois par an en Suède au sein du collège de jeunes chargés de distribuer ce que l'on désigne couramment les « prix Nobel juniors ». Pour elle, comme pour beaucoup d'autres, l'accès au système scolaire normal n'a pas été facile :

« J'ai passé les tests, et la prof m'a dit que ça ne suffisait pas pour entrer à l'école primaire. Alors, j'ai passé d'autres tests, cette fois dans une autre école, face à face avec la directrice, et elle m'a dit que j'avais le niveau suffisant. Depuis, je vais à l'école primaire. »

Les tests dont parle Svetlana font fréquemment l'objet de débat. Pour David Murphy, c'est un problème important :

« C'est un point très controversé, parce que le test est vraiment culturellement centré sur la société tchèque, et ne prend en compte aucune spécificité d'aucune autre culture. Donc dès le début, ce test discrimine les gens qui n'ont pas grandi dans la société dominante. »

Graficka skola est une école du quartier de Smichov à Prague, où plus de la moitié des élèves sont d'origine rom. Une école où peuvent être inscrits les enfants en difficulté dans le système normal, mais qui n'est pas un établissement pour handicapés mentaux. La mère d'un élève de six ans en difficulté scolaire explique pourquoi elle est réticente à l'idée de lui faire passer ce fameux test :

« Je ne veux pas, car j'ai une mauvaise expérience personnelle. Je suis passée par là et j'ai été placée en institution de l'âge de 3 ans jusqu'à 17 ans, alors je sais que ce n'est pas la bonne solution. Ce n'est bien pour personne, que ce soit pour mon fils ou pour d'autres enfants. »

Fedor Gal
Fedor Gal est sociologue. Originaire de Slovaquie, il est installé depuis 1991 à Prague :

« Je considère cela depuis longtemps comme quelque chose de mauvais et d'injuste. Si les écoles spéciales servent de dépotoir pour les minorités, alors par principe, le système est mauvais. Les enfants doivent aller dans une école où ils se sentent bien. A mon avis, ce serait bien s'il y avait dans le pays des écoles primaires roms, pas des écoles spéciales, pas des écoles où on n'enseignerait pas normalement, pas des écoles pour asociaux, mais des écoles où les enfants pourraient apprendre d'où ils viennent, quelle est leur langue, leur culture, des choses dont ils peuvent être fiers. Et après, si ces enfants pouvaient aller au lycée ou à l'université avec des Vietnamiens, des Ukrainiens, des Tchèques et des Slovaques, ce serait également normal. »

A la sortie de la Graficka skola, une jeune femme rom tient à souligner que, contrairement à ce qui est souvent reproché à sa communauté, de plus en plus de gens ont pris conscience de l'importance de l'école. Elle est venue chercher son fils de 8 ans :

« De nos jours, l'apprentissage ou l'éducation sont terriblement importants. Parce qu'il va apprendre toute sa vie, et s'il a une éducation il sera traité de manière différente. Ecrire, lire, parler : tout est différent si la personne a reçu une éducation. Je pense que l'éducation est aujourd'hui vraiment très très importante. »

Kumar Vishwanathan
Pour les adolescents qui sortent des écoles spéciales, la suite est souvent difficile : pas de travail, avec les aides sociales comme seules ressources pour s'en sortir. Kumar Vishwanathan est Indien, il est travailleur social et s'engage depuis longtemps aux côtés des Roms tchèques. Pour lui, c'est ce manque de perspectives qui a poussé les 18 Roms d'Ostrava à porter l'affaire devant la Cour européenne des droits de l'Homme :

« Cette plainte a été déposée à plusieurs niveaux de la justice tchèque, et a été refusée à chaque fois. Cela fait à peu près cinq ans que ça dure. Aujourd'hui, c'est au juge européen de décider s'il accepte de recevoir cette plainte ou non. »

Et le juge européen s'est récemment penché sur la recevabilité et le fond dans cette affaire. Stéphanie Klein est porte-parole de la Cour :

« La CEDH a tenu une audience le 1er mars 2005 dans cette affaire. L'affaire a été mise en délibéré, on ne peut pas faire de commentaires sur ce qui s'est passé au cours de l'audience. La date à laquelle la Cour rendra une décision et/ou un arrêt n'est pas encore connue. Le délai est en général variable et peut prendre plusieurs mois. »

En attendant l'avis de la Cour européenne des droits de l'Homme, le gouvernement tchèque tente, progressivement, d'améliorer le système. Selon les termes de la loi entrée en vigueur en janvier dernier, seuls les enfants souffrant d'un handicap mental devraient être inscrits dans des écoles spéciales. Par ailleurs, ces écoles vont changer de nom, et devraient s'appeler désormais « écoles primaires pratiques ». Le ministère de l'Education l'assure, il ne s'agit pas de changements uniquement cosmétiques.