Le tchèque avant 1989 : les mots qui ont disparu

Salut à tous les tchécophiles de Radio Prague – Ahoj vám všem, milovníkům češtiny Radia Praha ! Voilà de cela deux semaines, nous nous étions intéressés aux origines de l’appellation « révolution de velours » - sametová revoluce, une révolution aussi parfois qualifiée de « douce » - něžná, douce comme du velours, comme cela est d’ailleurs le cas jusqu’à aujourd’hui en Slovaquie avec la « nežná revolúcia ». On le sait, cette révolution a abouti à la disparition du régime communiste et avec lui d’un certain nombre de mots et de désignations d’institutions qui ont existé jusqu’en 1989. C’est donc certains de ces mots et désignations que nous allons nous attacher à présenter pour cette fois…

'Vyjezdni dolozka'
Depuis la chute du rideau de fer – železná opona, et plus encore depuis leur intégration à l’espace Schengen, en 2007, qui a marqué la fin des contrôles aux postes frontières du pays, les Tchèques peuvent voyager comme bon leur semble en Europe et dans le monde. Mais on le sait, jusqu’en 1989, cela n’a pas été le cas, la faute justement à ce rideau de fer qui séparait les Etats d’Europe centrale et orientale placés sous influence soviétique des Etats de l’Europe occidentale et servait à empêcher le passage des populations de l’est vers l’ouest. Ainsi donc, Tchèques et Slovaques, à quelques exceptions près, n’avaient pas la possibilité d’aller voir ce qui passait de l’autre côté et de voir à quoi ressemblait ce fameux capitalisme. Néanmoins, lorsqu’ils obtenaient l’autorisation de voyager à l’Ouest, les gens avaient besoin, en plus de leur passeport et d’un visa, de ce qui était appelé une « promesse de devises » - « devizový příslib », soit une autorisation écrite délivrée par les autorités de retirer des devises étrangères nécessaires pour sortir du pays et entrer sur le territoire des pays non socialistes. Par ailleurs, pour passer la frontière, les gens devaient également obtenir une « clause de sortie » - « výjezdní doložka », que ceux qui n’étaient pas membres du Parti communiste attendaient parfois plusieurs années.

Toutefois, ils étaient nombreux également à choisir des voies « moins officielles », illégales, pour obtenir de la monnaie étrangère. Ils s’adressaient alors à une catégorie très particulière mais aussi le plus souvent privilégiée de personnes qui étaient appelées « veksláci ». Un mot de la langue tchèque difficilement traduisible en français mais qui tire son origine du verbe allemand « wechseln », qui signifie « changer ». Les « veksláci »étaient donc des personnes discrètes qui faisaient leur fortune, du moins les plus habiles d’entre eux, grâce à des activités commerciales illégales, et notamment grâce à la vente et à l’achat de devises, le plus souvent des dollars américains et des marks allemands, des échanges qui, cela va sans dire, se faisaient « au noir » - načerno. En tchèque, ces monnaies étrangères se disent « valuty ». Il s’agit là d’un mot qui provient de l’italien « valere », verbe qui signifie « valoir », « être valable ». Les « valuty » désignaient donc les pièces et les billets des monnaies étrangères. Les « veksláci » changeaient des couronnes tchécoslovaques ou des « valuty » avec les habitants du pays ou avec les étrangers de passage car le taux de change à la banque nationale était extrêmement désavantageux. Selon la loi, un Tchécoslovaque qui possédait de l’argent étranger était tenu de le rendre à la banque, et ce dans les quinze jours. La raison était simple : les gouvernements des Etats socialistes manquaient désespérément de « valuty », c’est-à-dire de monnaies étrangères.

Ces « veksláci », ou changeurs à la sauvette et sous le manteau, prenaient le risque de pouvoir être arrêtés par la police à tout moment, mais les revenus importants qu’ils empochaient en valaient la peine. En outre, ces « veksláci » n’avaient pas que le change des devises pour activité. Car il s’agissait de personnes capables de dégoter à peu près tout ce qui ne se trouvait pas dans les magasins ou ailleurs. Le plus souvent, les Tchèques les retrouvaient devant des magasins dans lesquels étaient vendus des produits étrangers alors considérés comme étant de luxe. Ces magasins d’un autre temps, qui ont encore fonctionné quelque temps au début des années 1990, étaient appelés « Tuzex ». Les marchandises pouvaient y être achetées avec ce qui était appelé « bony », soit des « bons » spéciaux, une sorte de coupons qui donnaient l’autorisation, un droit en quelque sorte de recevoir une marchandise étrangère de luxe. Les « veksláci » revendaient donc également ces « bons ». Officiellement, ceux-ci pouvaient être obtenus lors du change obligatoire de l’argent étranger que les gens possédaient au retour d’un voyage et que nous avons évoqué précédemment. Ces « bons » étaient alors le plus souvent obtenus par les gens qui étaient autorisés par le régime à travailler à l’étranger, y compris dans les pays du camp socialiste. Enfin, sachez encore que, toujours officiellement, les « bony » avaient une valeur de une couronne tchécoslovaque mais que sur le marché noir, ils étaient revendus entre cinq et six couronnes. On le voit donc, tant dans la pratique que dans la valeur des choses, il y a eu bien des changements en à peine quelques années…

C’est sur cette constatation et cette plongée dans un monde qui peut nous sembler aujourd’hui d’un tout autre temps que se referme ce « Tchèque du bout de la langue ». Dans une prochaine émission, nous poursuivrons cette série consacrée aux mots et désignations qui ont disparu du langage courant des Tchèques depuis la révolution et la fin du régime communiste. En attendant, portez-vous du mieux possible – mějte se co nejlíp!, portez le soleil en vous – slunce v duši, salut et à bientôt – zatím ahoj !