Le tchèque avant 1989 : les mots qui ont disparu (suite)
Salut à tous les tchécophiles de Radio Prague – Ahoj vám všem, milovníkům češtiny Radia Praha ! Il y a deux semaines de cela, nous avions découvert pour certains et redécouvert pour d’autres ce qu’étaient une « promesse de devises » - devizový přislib, une « clause de sortie » - výjezdní doložka, des changeurs au noir – veksláci, ou encore les magasins Tuzex. Autant de mots, de termes qui témoignent de la réalité de la vie sous le régime communiste en Tchécoslovaquie et qui ont disparu suite à l’effondrement de celui-ci. Nous allons donc poursuivre notre série consacrée à ces mots et autres désignations d’institutions qui appartenaient au langage des Tchèques avant la révolution de 1989.
La dernière fois, nous nous étions donc quittés avec les magasins Tuzex, dans lesquels étaient vendus à certaines conditions des produits de marques étrangères qui, de ce fait, étaient considérés comme étant de luxe. Ces marchandises pouvaient notamment être achetées avec des « bons » spéciaux appelés « bony ». Pour en rester dans le domaine du commerce, rappelons une évidence, à savoir qu’à l’époque, les immenses centres commerciaux, hypermarchés et supermarchés n’existaient pas en Tchécoslovaquie. On l’oublierait presque tant ces centres commerciaux sont aujourd’hui devenus une façon de vivre ou au moins un passe-temps pour un grand nombre de Tchèques, qui ne diffèrent en rien pour cela des autres peuples dans le monde victimes consentantes de cette fameuse société de consommation.
Avant 1989, les gens faisaient donc la queue devant de nombreux petits magasins pour obtenir non pas ce qu’ils désiraient ou souhaitaient mais pour obtenir ce qui était disponible. Ces petits commerces s’appelaient « masna » pour la viande et la charcuterie, « potraviny » pour l’alimentation en général, « ovozela » pour les fruits et légumes, ou encore « drogerie » pour les drogueries, où l’on trouvait des produits pour les soins corporels et l’entretien domestique. Précisons tout de même qu’il s’agit là de commerces de proximité qui n’ont pas complètement disparu jusqu’à aujourd’hui, et heureusement serait-on tenté de dire. Mais la grande différence par rapport aux années 1980 est qu’il n’existait alors rien d’autre que ces petits magasins.
Parmi les institutions, citons, par exemple, la Fédération de l’amitié tchcécoslovaco-soviétique – Svaz československo-sovětského přátelství. Il s’agissait de l’une des organisations qui regroupait alors le plus grand nombre de personnes. Créée en février 1948, parallèlement à la prise du pouvoir par le Parti communiste en Tchécoslovaquie, cette fédération a existé jusqu’en 1991 et à la fin de l’Union soviétique. En gros, la mission de cette fédération de l’amitié était de promouvoir la culture, la littérature et les sciences soviétiques en Tchécoslovaquie. Des cours de russe et des voyages en Union soviétique étaient également organisés. Chose intéressante, la qualité de membre, l’appartenance à l’organisation était collective, c’est-à-dire que des groupes de personnes, le plus souvent qui travaillaient ensemble, s’y affiliaient, ce qui, bien entendu, avait l’avantage d’être bien vu par le régime. Plus amusant, notons que cette Fédération de l’amitié tchcécoslovaco-soviétique était surnommée par les gens « ruský kámoš », soit littéralement « le pote russe », le mot kámoš, qui appartient au langage parlé, populaire, familier, étant employé à la place de kamarád.
Au-delà de cette fédération, et plus généralement à propos de l’amitié tchécoslovaco-soviétique - československo-sovětské přátelství, ajoutons encore que ce sentiment, conséquence du déroulement de la Deuxième Guerre mondiale, a d’abord été relativement fort dans les années 1950 avant de se transformer plutôt en une notion imposée au peuple tchécoslovaque après les événements de 1968 et pendant la période dite de Normalisation – Normalizace, dans les années 1970 et 1980. Cette notion d’amitié servait donc à dépeindre la coopération et l’unité entre les peuples tchécoslovaque et soviétique. C’est dans le cadre de cette amitié que le premier astronaute tchécoslovaque, Vladimír Remek, a été envoyé dans l’espace à bord d’une mission soviétique ou que le métro pragois a été construit, entre autres en tant que symbole, preuve concrète de cette amitié tchécoslovaco-soviétique. Il n’en demeure cependant pas moins qu’après 1968, cette amitié est devenue une notion vide de son sens seulement entretenue officiellement par le régime.C’est ainsi que s’achève ce « Tchèque du bout de la langue » consacré donc aux commerces qui existaient en période d’amitié officielle tchécoslovaco-soviétique. En attendant de vous retrouver dès la semaine prochaine pour un nouveau numéro, portez-vous du mieux possible – mějte se co nejlíp!, portez le soleil en vous – slunce v duši, salut et à bientôt – zatím ahoj !