Le tchèque du bout de la langue : bienvenue à « Kocourkov »

Kocourkov

Salut à tous les tchécophiles de Radio Prague ! Pour cette fois, c’est un lieu imaginaire que nous vous invitons à découvrir, l’équivalent de ce que l’on appelle Clochemerle en français…

Kocourkov
La récente actualité en République tchèque, les prises de position des différents partis et les déclarations de leurs dirigeants durant les jours qui ont précédé le vote, ce vendredi à la Chambre des députés, de la motion de censure contre le gouvernement dirigé par Andrej Babiš, nous ont rappelé combien comprendre une situation politique pouvait parfois être compliqué. Pour dresser en quelques traits le tableau de la situation en question, nous serons ce vendredi en présence d’un parti gouvernemental - le parti social-démocrate - qui, comme l’opposition, souhaite la démission du Premier ministre Andrej Babiš, mais pas celle en revanche de la coalition à laquelle elle appartient, et ce même s'il ne soutiendra pas celle-ci en s’abstenant lors du vote de la motion de censure.

Autrement dit, un parti qui, de fait, ne soutiendra pas son propre gouvernement tout en étant paradoxalement favorable au maintien de la coalition dans sa configuration actuelle et donc à la poursuite du mandat de celle-ci. Même si cette position ambiguë est bien entendu rendue possible par la répartition des forces à la Chambre des députés, reconnaissons que pour une personne non avertie, il se peut qu'il ne soit pas aisé de se retrouver dans toutes ces manœuvres politicardes. Et pour désigner ce genre de situation qui confine à l’absurde, les Tchèques possèdent un mot très spécial : « kocourkov ».

« V Kocourkově, tam se žije dobře, když je škaredě, natřou nebe modře »– « A Kocourkov, on y vit bien, quand il fait moche, ils peignent le ciel en bleu », prétendait le légendaire groupe Mňága &Žďorp dans une chanson intitulée « Kocourkov », qui remonte au tout début des années 1990.

Photo: Odeon
Ce mot « Kocourkov » désigne une commune imaginaire qui serait le théâtre d’histoires comiques ou loufoques relatives à ses habitants dont les actions sont généralement vaines, inutiles ou ratées. L’exemple souvent cité dans les dictionnaires tchèques est celui d’un panneau planté dans une rivière pour avertir du possible danger de noyade en cas de baignade sur lequel figurerait l’inscription : « Dès que le niveau de la rivière dépasse le haut de ce panneau, la baignade est interdite ». Considéré sous cet angle, c’est donc la scène politique tchèque dans son ensemble qui peut être considérée comme un « Kocourkov ». C’est d’ailleurs ce que nous rappellent certaines scènes d’une vieille comédie des années 1930 intitulée « U nás v Kocourkově » - « Chez nous à Kocourkov »…

Cette commune pourrait nous faire penser à un pays ou royaume tout aussi imaginaire qui s’appellerait l’Absurdistan, un endroit sur Terre où l’absurde qui était si présent dans l’œuvre du dramaturge Václav Havel régnerait en maître. En français, l’équivalent serait bien entendu le toponyme « Clochemerle », rendu célèbre par le truculent roman de Gabriel Chevallier traduit en de nombreuses langues, parmi lesquelles le tchèque avec un titre qui devient alors « Zvonokosy », une traduction littérale puisque les mots « zvon » et « kos » signifient « cloche » et « merle ». Plus ou moins comme pour « Kocourkov », « Clochemerle » désigne une localité déchirée par des querelles burlesques ou encore un groupe au sein duquel les gens n’ont de cesse de se disputer pour diverses raisons ; deux descriptions qui, elles aussi, peuvent nous ramener à la situation politique de ces derniers jours en République tchèque.

Photo: Albatros
Là où il existe en revanche une différence entre le « Kocourkov » tchèque et le « Clochemerle » français, c’est bien entendu au niveau de l’origine des mots. En tchèque, à première vue, on pourrait penser que la racine provient du substantif « kocour », qui désigne un chat mâle, un matou. Nous ferions cependant là fausse route. En réalité, « Kocourkov » est d’abord apparu à l’oral - sans que l’on sache toutefois très bien comment - avant de passer en littérature puis dans le langage courant. Dans le genre « kocourkovský » - qui est l’adjectif – le classique tchèque s’intitule « Kronika města Kocourkova » - « Chronique de la ville de Kocourkov », un livre pour enfants dans lequel l’auteur, Ondřej Sekora, se souvient que c’est durant son enfance et de la voix de son père qu’il a entendu les premières histoires relatives à « Kocourkov ».

Ainsi s’achève ce « Tchèque du bout de la langue » que nous devons donc à la situation politique tchèque actuelle. On se retrouve dans deux semaines pour une nouvelle émission, et qui sait, peut-être serons-nous alors encore toujours en Absurdistan ou à « Kocourkov ». Qu'importe, portez-vous du mieux possible - mějte se co nejlíp!, portez le soleil en vous - slunce v duši, salut et à bientôt - zatím ahoj!