Le verglas – un petit entraînement en attendant de nouveaux caprices météorologiques imprévisibles?
L’un des principaux sujets traités cette semaine dans les médias n’était pas d’ordre politique mais, pour une fois, d’ordre météorologique. Nous y consacrerons quelques mots, aussi, dans cette revue de presse. Largement commentée a été en outre la décision du gouvernement de ne pas faire de la Tchéquie un des pays d’accueil pour les réfugiés syriens. Une occasion pour les éditorialistes de mettre en relief le caractère sélectif de l’aide que les Tchèques sont prêts à offrir. Dans un texte dont nous avons également tiré un extrait, son auteur réfléchit sur le dénominateur commun des protestations qui ont sévi ces derniers temps dans plusieurs pays de l’Europe centrale. Et un extrait enfin de l’entretien avec un spécialiste « kafkaïen » allemand, paru dans la presse locale.
« Les plans de crise sont d’habitude élaborés avec des détails précis. Toutefois, la réalité dépasse souvent toutes les prévisions. Si l’on se prépare à une crue centennale, on se verra certainement surpris par une crue milléniale. On sait ce qu’il faut faire au cas d’une tempête, mais on est impuissant face à un ouragan imprévu. Et ainsi on pourrait continuer. »
Or, en ce qui concerne le verglas qui a affecté cette semaine le pays, on peut objecter que les responsables n’ont pas agi d’une façon idéale. Toutefois, cet événement naturel rappelle notamment que les situations de crise ne sont pas celles qui sont déjà survenues par le passé. Petr Honzejk ajoute :« Par définition, de telles situations sont imprévisibles. La force de la société se reconnaît dans sa capacité d’y réagir. La glace et le verglas ne sont qu’un petit entraînement. Ça va chauffer dès qu’une situation nouvelle et inattendue se présentera, une situation qui ne dégèle pas d’un jour à l’autre. »
La République tchèque n’est pas prête à accueillir des immigrés
Le gouvernement tchèque a décidé de ne pas accueillir les réfugiés syriens en raison, entre autre, d’un manque de capacités d’accueil. Prague craint aussi que certains pourraient être des combattants de l’Etat islamique et constituer ainsi un risque sécuritaire. Cette décision qui a été critiquée par plusieurs associations et la Conférence épiscopale tchèque, a trouvé un large écho dans les médias. Dans un texte publié sur le serveur aktualne.cz, Martin Fendrych remarque que notre volonté d’aider existe quand même, mais qu’elle est assez sélective. Il précise :« L’Italie, la Suède, la France et l’Allemagne accueillent actuellement le plus grand nombre d’immigrés syriens.... En tant que membre de l’Union européenne, la République tchèque est à son tour concernée par cette question. Le problème, c’est qu’elle n’y est point préparée. Tandis que dans les années 1990, le pays disposait d’une trentaine de camps de réfugiés avec une capacité de quelques milliers de places, aujourd’hui il ne peut offrir que 700 places. Mais la Tchéquie n’affronte pas seulement des difficultés d’ordre technique. Force est de constater que nous constituons une société assez xénophobe, même si nous ne voulons pas l’admettre... Chez nous, on ne s’interroge pas sur ce comment aider mais, au contraire, sur ce comment l’éviter. Il s’agit là d’une stratégie qui est positivement accueillie par la majorité écrasante des citoyens. »
D’un autre côté, l’éditorialiste admet que les Tchèques sont prêts à aider, participant par exemple à des collectes destinées aux régions touchées par le tsunami ou les inondations. Ils ne veulent pas pourtant courir des risques ou affronter des problèmes. Autrement dit, « ils ne sont pas prêts à accorder une aide compliquée et douloureuse ».Un article publié dans l’édition de ce mardi du quotidien Lidové noviny remarque que le cabinet de coalition de Bohuslav Sobotka a refusé d’accueillir des réfugiés syriens, craignant les réactions auprès de la population face à une éventuelle concentration de hijabs dans les rues tchèques. Ce même cabinet qui a déclaré sa volonté de soutenir le rapatriement dans leur pays d’origine des Ukrainiens de Volhynie, d’origine tchèque. Dans l’édition de ce jeudi du quotidien Mladá fronta Dnes, Jana Bendová a pour sa part écrit :
« La souffrance des Syriens est terrifiante. Six millions de personnes ont dû quitter leurs domiciles, des millions d’autres ont quitté leur pays. Ils craignent les fondamentalistes radicaux aussi fort que nous-mêmes... Pourtant, comparé au cauchemar qu’ils ont à vivre, nous habitons dans un pays heureux. Et celui-ci ne devrait pas s’enfermer, en dépit des difficultés que l’immigration peut apporter et en dépit de la peur face à la venue d’un élément étranger ».
La classe moyenne en Europe centrale se révolte contre l’humiliation
En se référant à une récente étude internationale, Martin Šimečka de l’hebdomadaire Respekt constate qu’au cours des cinq derniers mois, près de 70 manifestations de protestations de masse ont eu lieu dans différents pays à travers le monde. Dans ce contexte il évoque les protestations qui se sont déroulées dans les pays de l’Europe centrale, notamment en Tchéquie, en Slovaquie et en Hongrie. Selon lui, ces protestations ont eu des motifs différents tout en ayant un trait en commun : la classe moyenne a décidé d’exprimer de cette manière son indignation à l’égard des politiciens qui l’humilient. L’auteur de l’article précise :« L’augmentation des salaires n’est pas l’objectif de ces manifestations, bien que cette revendication puisse également entrer en jeu. Dans un sens plus large, elles ont pour motif principal la défense de la dignité humaine... Comparé à la situation en Hongrie et en Slovaquie, les motifs du mécontentement des Tchèques semblent moindres. Et pourtant, ils protestent, eux aussi. Pourquoi ? Je pense que dans leur cas il s’agit également de la dignité humaine, notamment en rapport avec le comportement du président Miloš Zeman qui semble intentionnellement les attaquer. »
Donc cette indignation serait assez personnelle et, d’une certaine façon, apolitique. Martin Šimečka conclut :« Je comprends cette indignation et les manifestations qu’elle provoque, car le sentiment d’humiliation est l’une des frustrations les plus explosives. Ceci dit, je ne les approuve pas. L’attrait et l’atout de la démocratie consistent dans le fait qu’elle a su séparer ce qui est physique et privé de ce qui est verbal et publique. C’est une recette efficace contre les dictatures et les guerres civiles. On ne devrait pas y renoncer. »
Kafka toujours au coeur de chercheurs littéraires
Le dernier supplément du quotidien Právo a publié un entretien avec le chercheur littéraire allemand, Reiner Stach, qui a présenté à Prague le dernier volume de sa trilogie consacrée à Franz Kafka et dans lequel il évoque entre autres certains mensonges et nonsenses qui sont liés à ce grand écrivain. Nous citons :
« On aime dire que Kafka était un introverti absolu. Mais ce n’est pas vrai. Kafka était un observateur fin et attentif. Il observait une situation pour la décrire trois semaines plus tard, jusqu’au dernier détail, comme si c’était hier. Parallèlement, il demeurait plongé dans son monde intérieur. Il a su être assis dans un café, écouter une conversation, tout en étant fermé sur soi-même. Un autre mythe veut que ce fût un faible hypersensible. Il y a en cela, peut-être, un brin de vérité, mais il faut tenir compte de ce que Kafka savait puiser dans son for intérieur d’incroyables réserves énergétiques... Kafka n’était pas un faible, il aimait seulement le prétendre. D’un autre côté, ce qui n’est pas un mythe, c’est la peur qu’avait Kafka des femmes et de l’intimité. »A la question de savoir comment Prague a influencé Franz Kafka, Reiner Stach répond :
« On aime présenter Prague comme une ville magique... Mais Kafka passait beaucoup de temps non pas en déambulant dans ses coins romantiques, mais en se baignant dans la rivière Vltava. Le visage romantique de Prague a pris fin avec l’assainissement du quartier de Josefov. Kafka vivait en fait sur un immense chantier. Même sa maison natale a été démolie. En même temps, il a été le témoin de la naissance de la modernité. »
Plus loin, l’auteur allemand émet l’idée Kafka aurait dû quitter la capitale tchèque pour Berlin, dont le milieu littéraire l’aurait mieux compris, estimant que Prague, « trop petite et trop provinciale », le limitait dans son épanouissement.