Lecture de « La Fête en plein air » en hommage à Václav Havel
Cette semaine avait lieu à l’Institut français de Prague une soirée hommage en l’honneur de Václav Havel, décédé le 18 décembre dernier. Dans le tout nouvellement rénové « Café 35 », des comédiens professionnels du théâtre Divadlo na Vinohradech à Prague ont fait une lecture publique de la célèbre pièce du président dramaturge « La Fête en plein air ».
C’est donc suite au décès de Havel, en décembre dernier, que Sylvie Leray, chargée du théâtre à l’Institut français de Prague, a décidé d’organiser une soirée en hommage au célèbre politicien et dramaturge. Sylvie Leray a donc demandé à Lucie Němečková, directrice littéraire au théâtre de Vinohrady, de mettre en voix cette pièce par l’intermédiaire d’une lecture publique à l’Institut. Quelques comédiens du même théâtre ont donc été choisis pour interpréter les personnages de la pièce. Mais tout d’abord, pourquoi avoir tout particulièrement choisi « La Fête en plein air » ? Réponse avec Lucie Němečková :
« On a voulu lui rendre hommage en lisant un de ses textes, on a choisi « La Fête en plein air ». Heureusement, il y a beaucoup de textes en français des pièces de Václav Havel. Mais on a choisi cette pièce précise parce que c’est une pièce ‘symbolique’ : c’est avec elle que Václav Havel est arrivé en France, en 1969. Il a été joué à Bordeaux, donc pas par l’intermédiaire du festival d’Avignon ou d’un théâtre de Paris. Mais c’est vrai que le festival d’Avignon ou le théâtre La Bruyère à Paris ont joué un rôle important dans sa vie et dans la collaboration entre la France et la République tchèque. »« La Fête en plein air » a été rédigée en 1963, période qui, en Tchécoslovaquie, voit s’opérer un relâchement de l’emprise du pouvoir communiste sur les citoyens. Pendant les années soixante, les intellectuels profitent de cette relative libéralisation pour créer. C’est ce qui permettra à Havel de faire jouer sa pièce dans un théâtre de Prague, grâce notamment à sa première femme, Olga. Malheureusement, cette détente ne dure pas et l’écrasement du Printemps de Prague, en 1968, laisse place à la période de ‘normalisation’. La pièce devient indésirable. Mais à la faveur de la ‘tchécophilie’ suscitée, à l’Ouest, par la tragédie pragoise, « La Fête en plein air » pourra gagner les pays d’Europe occidentale, comme le rappelle Lucie Němečková.
« C’est la première pièce longue qu’il a écrite au début des années soixante. La première a eu lieu en 1963 au Théâtre de la Balustrade (Divadlo Na zábradlí) à Prague, où il a travaillé à l’époque d’abord en tant que machiniste puis en tant que responsable de répertoire ou secrétaire. C’est aussi la première pièce de théâtre de l’absurde tchèque. Quelques années après, la pièce a connu sa première à l’étranger, à Berlin, au théâtre Schiller, et puis donc en France en 1969. »Première pièce de théâtre absurde tchèque, donc. Effectivement « La Fête en plein air » se place sous le patronage d’auteurs tels que Ionesco ou Beckett. Absurde, et donc forcément un peu drôle, elle est avant tout un portrait à charge contre le régime communiste. On y suit l’histoire d’une famille de classe moyenne, les Pludek, fiers de leur appartenance sociale et qui souhaitent voir leur fils Hugo réussir dans le régime. Pour cela, celui-ci doit rencontrer l’important camarade Kalabis lors de la garden-party du Bureau de la liquidation. Toute la pièce n’est qu’un enchaînement de répliques idéologiques, plates et vides de sens. Le ridicule des personnages, victimes frustrées de la bureaucratie, souligne l’apathie et l’uniformisation des individus qu’entretient le pouvoir communiste. La pièce est très forte, sans jamais se transformer en brûlot politique. Sa force est de dénoncer en faisant rire, et ce afin de souligner le ridicule de la situation tchèque.
Bien que, en 2012, le communisme soit déjà loin, « La Fête en plein air » reste la pièce de Havel la plus jouée en République tchèque. Représentée treize fois dans tout le pays, elle reste populaire. Cependant, a-t-elle toujours un message à nous transmettre ? Pour Lucie Němečková, cela ne fait pas l’ombre d’un doute :« Ce qui est très étonnant, c’est que la pièce vit malgré sa ‘vieillesse’, et je trouve que ça marche encore ici, dans un autre régime, autant en Tchéquie qu’en France. Je dois considérer qu’elle n’a pas du tout vieilli. »
Un bel hommage à Václav Havel, donc, qui nous apprend que, malgré sa mort, lire et relire son œuvre n’est jamais vain, le message qui s’y trouve n’ayant en rien perdu de sa justesse.