Législatives: « Peut-être le plus gros changement depuis le renouvellement de la démocratie »
Entretien avec Lukáš Macek, directeur de Sciences-Po Dijon en France et ancienne tête de liste du parti des Démocrates européens aux dernières élections européennes.
Avez-vous été surpris par les résultats de ces élections législatives ?
« Oui, j’ai été effectivement surpris. Je m’attendais à une victoire de la gauche, en tout cas à une victoire plus solide. J’ai été supris aussi par l’ampleur des chamgements au centre-droit. »
Certains parlent en ce début de semaine d’une rupture dans la vie politique tchèque, vingt ans après la révolution de velours. Est-ce que vous partagez ce point de vue ?
« Ça peut en devenir une, si les faits suivent. C’est clair que c’est le plus gros changement sur la scène politique tchèque depuis au moins une douzaine d’années et peut-être même depuis le renouvellement de la démocratie tchèque. Donc oui, il y a un potentiel pour que ce soit un moment de rupture, encore qu’il y a beaucoup d’éléments de continuité, notamment au niveau du parti TOP 09 – l’un des grands vainqueurs de ces élections. Il faudra voir si c’est un parti de rupture ou si c’est un simple recyclage des forces et de personnalités politiques qui étaient déjà présentes et portent la responsabilité de l’évolution des vingt dernières années. »L’hebdomadaire Respekt titre cette semaine « La débâcle des grands » - cette débâcle des deux grands partis, ODS et CSSD, est-elle selon vous le principal enseignement de ce scrutin ?
« Oui. C’est vrai que si on regarde les pertes de voix, c’est clair. L’ODS par exemple a perdu à peu près 44 % de votes par rapport à 2006, c’est énorme et c’est similaire pour le CSSD. Ceci dit, il n’y a pas que les grands qui sont tombés. Je dirais qu’il y a les grands et les anciens : c’est quand même frappant de voir que le parti chrétien-démocrate pour la première fois depuis toujours ne sera pas représenté au Parlement. Là, il s’agit d’un petit parti, mais longtemps perçu comme inamovible. »Des deux nouvelles formations politiques tchèques, on sait que TOP 09, c’est plus ou moins ‘du neuf fait avec du vieux’, mais comment définir selon vous ce parti plus difficile à cerner qu’est Affaires publiques (VV) ?
« Affaires publiques est sans doute le phénomène le plus neuf de ce qu’on a pu voir dans ces élections. C’est un parti qui, pour le moment, n’a pas un positionnement idéologique tout à fait clair, ou en tout cas ce n’est pas un positionnement facile à décrire en termes traditionnels. Ceci dit, même pour ce parti, si on regarde sa génèse, les personnalités qui apparaissent ou que le parti cherche à attirer, on retrouve quelques repères qui permettent de le situer par rapport à la scène politique tchèque. Très clairement c’est un parti qui tend à la fois au niveau de son programme et de son personnel politique à faire partie du centre-droit. D’ailleurs les réactions à la défaite des sociaux-démocrates et au départ de M. Paroubek ont clairement montré que ce parti se situait lui-même du côté du centre-droit. Néanmoins, c’est un parti qui a réussi à remporter près de 11 % des voix avec une rhétorique assez largement basée sur la dénonciation de ce qu’on pourrait appeler l’establishment, avec une rhétorique assez contestataire. Comme toujours pour ce genre de parti, le passage à une prise de responsabilités peut être extrêmement délicat. Les précédents ne manquent ni dans la politique tchèque ni dans la politique européenne, donc il sera effectivement intéressant de voir comment ce parti saura gérer ou pas ce passage d’une opposition tous azimuts à l’establishment à un parti de gouvernement. »Ce serait dans le cas où Affaires publiques ferait partie de la nouvelle coalition. C’est à nouveau le président Klaus qui se retrouve au centre du jeu politique tchèque. Quelle est selon vous sa marge de manœuvre ?
« Je pense que si on s’en tient à l’esprit de la Constitution, elle est relativement faible. Si on s’en tient à la connaissance de personnalité de M. Klaus, elle est bien plus large et il ne se privera probablement pas d’en profiter. C’est clair que le moment après les élections est la période où le président de la République gagne, même constitutionnellement, en influence. C’est l’un des rares moments où il peut réellement influencer la scène poltique. V. Klaus se plaisait souvent par le passé à critiquer son prédécesseur V. Havel lorsqu’il considérait qu’il prenait des initiatives jugées peu orthodoxes par V. Klaus. Il faut espérer qu’il sera cohérent avec lui-même. Je pense qu’il a le choix entre deux options qui sont défendables, je n’en vois pas d’autre : soit nommer le nouveau leader des sociaux-démocrates puisque nominalement c’est ce parti qui a gagné les élections, soit éventuellement passer directement la main à Petr Nečas, le leader de l’ODS, qui, suite à des consultations avec les différents partis, prévoit que la nomination d’un social-démocrate serait une pure perte de temps si aucun parti ne veut former une coalition avec le CSSD. Toute troisième variante, avec la nomination d’une autre personnalité, me paraîtrait très peu légitime au vu du système constitutionnel tchèque. »