Législatives : « Une rupture très nette après un match très serré »
Entretien avec Lukáš Macek, chercheur associé à l'Institut Jacques Delors et directeur du campus de Sciences Po à Dijon, pour parler des résultats des élections législatives remportées ce week-end par la coalition SPOLU juste devant le parti ANO du Premier ministre Andrej Babiš.
Certains commentateurs parlent déjà de la fin de l’ère post-communiste à Prague avec le résultat de ces élections et l’hospitalisation du président Zeman, êtes-vous du même avis ?
« Symboliquement je dirais que le fait que, pour la première fois depuis 1989, la République tchèque ait une Chambre basse sans députés communistes est effectivement assez fort. Après sommes-nous vraiment dans un moment de rupture ? Etions-nous jusqu’à aujourd’hui entièrement dans du post-communisme et à partir de demain nous en serons sortis ? Je pense que les choses sont plus nuancées mais il est vrai que cette élimination du Parti communiste (KSČM) de la représentation parlementaire possède une valeur symbolique importante. »
La défaite surprise d’Andrej Babiš marque-t-elle aussi une nouvelle étape dans la vie politique tchèque ?
« Tout à fait. Depuis 2013, Andrej Babiš et son mouvement ANO étaient les acteurs clés et Andrej Babiš était l’homme fort du système politique tchèque, particulièrement depuis 2017. Une page se tourne parce que, quoi qu’il arrive, il est évident qu’en termes de son influence sur la vie politique tchèque il y a une rupture très nette par rapport à ces huit dernières années. »
Cela s’est joué en fait à pas grand-chose, avec notamment un petit parti, Přísaha, nouvel arrivé sur la scène politique tchèque, qui a échoué de très peu avant la barre des 5%. Si ce parti de R. Šlachta était passé, Andrej Babiš serait-il dans une toute autre position ?
« Tout à fait. Nous pouvons en dire autant du Parti social-démocrate ČSSD ou encore du Parti communiste KSČM, même si ces derniers étaient nettement en dessous des 5%. Avec un scénario qui finalement se joue à quelque dizaines de milliers de voix, où deux voire trois de ces listes seraient qualifiées pour avoir des députés, la situation serait radicalement différente et les deux coalitions, qui aujourd’hui fêtent leur victoire, seraient dans une très mauvaise posture. Cela a été un match très serré et je crois qu’il est très important que les deux coalitions qui vont probablement constituer un gouvernement n’oublient pas que c’est aussi grâce à un alignement de planètes assez exceptionnel qu’elles ont pu enregistrer ces résultats flatteurs. »
"Alignement de planètes" et Pandora papers
Quel est cet alignement de planètes ? A quoi attribuez-vous la défaite d’Andrej Babiš ?
« Pour moi, l'alignement de planètes particulièrement favorable pour les deux grandes coalitions anti-Babiš, c’est justement le fait que trois partis, qui selon les sondages avaient de solides chances de dépasser cette barre fatidique des 5%, aient finalement échoué.
« Après, il y a sans doutes eu des erreurs dans les campagnes des uns et des autres. Je pense que, symboliquement, le fait que la coalition SPOLU arrive en tête, même de justesse, était inespéré même pour eux et c’est sans doute lié à des maladresses notamment du côté de la campagne de l’autre coalition (PirSTAN) ce qui a fait que, finalement, les électeurs hésitants se sont massivement joints à la coalition SPOLU lui permettant ce résultat inespéré.
Je pense aussi que dans la campagne de ANO il y a eu des erreurs, avec le côté assez outrancier de la campagne d’Andrej Babiš et une façon assez claire de miser sur un électorat plutôt proche des extrêmes avec des thématiques très négatives et basées notamment sur la peur. Je fais ici référence notamment à son spot TV qui était assez décalé par rapport à ce qu’ANO était jusqu’ici.
Cela a constitué une double faute parce que d’une part, cela a dû faire réfléchir l’électorat modéré qui restait dans le camp d’Andrej Babiš et d’autre part, cela a probablement contribué à affaiblir ceux qui pourraient être ses alliés, que ce soit les communistes ou même l’extrême droite (SPD) qui a finalement fait un score assez décevant par rapport à ce que les sondages prédisaient. Tout cela représente une série de facteurs qui ont joué en faveur des deux coalitions et notamment SPOLU. Il aurait suffi qu’une ou deux choses parmi cette longue liste ne fonctionnent pas pour que les résultats soient beaucoup plus serrés, voire même favorables à Andrej Babiš. »
Selon vous, y a-t-il eu un impact des révélations « Pandora Papers » sur un montage financier opaque utilisé par Andrej Babiš avant son entrée en politique ?
« C’est difficile à dire. J’ai tendance à penser que cela a joué dans les deux sens, c’est-à-dire que cela a pu déstabiliser une partie de l’électorat potentiel d’Andrej Babiš mais cela a aussi pu fidéliser et mobiliser une autre partie de son électorat qui a pris cela pour une attaque anti flair-play contre leur champion. Je pense donc que c’est difficile à mesurer. En tout cas je ne le mettrais pas forcément parmi les facteurs très importants mais, vu comme cela a été serré (le match avec SPOLU se jouant à peu de voix), nous pouvons effectivement penser que cela a quand même fait perdre quelques voix à Andrej Babiš et qu’in fine cela a joué aussi. »
Petr Fiala, capable de faire en sorte que l'ODS ne retombe pas dans ses travers ?
Le porte-parole du chef de l’Etat a indiqué dimanche qu’Andrej Babiš n’avait pas été chargé par le président de la République de former une nouvelle coalition gouvernementale. Cela place Petr Fiala, le chef de l’ODS et de la coalition SPOLU comme un candidat très sérieux au poste de Premier ministre. Que savons-nous sur ce politologue de formation qui a déjà été ministre dans le passé ?
« Je crois que la grande question qui se pose concernant Petr Fiala est dans quelle mesure il a vraiment réussi à se saisir du pouvoir au sein d’ODS et dans quelle mesure tous les éléments qui ont amené l’ODS à sa défaite historique en 2013 ont pu être éliminés ou au moins atténués. La question est de savoir s'il sera l’homme fort du parti qui saura tenir ce parti sur des positions qui sont sans doute celles que la majorité de l’électorat de la coalition SPOLU attend, c’est-à-dire des positions assez modérées y compris sur la question européenne qui est, traditionnellement, un sujet problématique avec ODS et surtout sur la question d’éthique et de la capacité de ce parti de ne pas retomber dans les travers du passé avec toutes les affaires, les soupçons et les liens troubles avec certains milieux économiques… qui ont progressivement détruit la réputation de ce parti dès la fin des années 1990 et jusqu’en 2013.
Je pense que Petr Fiala est considéré comme quelqu’un d’honnête, d’intègre, de compétent, quelqu’un de posé donc ce sont des qualités mais savoir s’il a réellement réussi à transformer son parti sur ces points est la grande question. La chose qu’il devrait méditer est le sort de Petr Nečas qui est aussi, à un moment donné, arrivé comme ‘Monsieur Propre’ et qui était censé avoir également changé radicalement l’ODS et nous connaissons la triste fin de son gouvernement. »
L'ODS de Petr Fiala et l'euroscepticisme virulent
Vous avez mentionné la position de l’ODS sur les questions européennes. Il se pourrait bien que la présidence tchèque de l’Union européenne soit assurée au deuxième semestre 2022 (après la France) par un gouvernement dirigé par Petr Fiala, chef de ce parti ODS qui siège au Parlement européen dans le groupe eurosceptique des Conservateurs et réformistes européens (ECR) aux côtés notamment du PiS polonais, de l’extrême-droite de Suède (Sverigedemokraterna) ou d’Italie (Fratelli d'Italia)…
« C’est tout à fait envisageable et d’ailleurs c’est quelque chose qui est déjà arrivé lors de la première présidence historique du Conseil de l’UE assurée par la République tchèque, quand le Premier ministre Mirek Topolanek de l’ODS, qui faisait déjà partie de ce groupe parlementaire. »
« La différence est qu’à l’époque le parti dominant de ce groupe CRE au Parlement européen était celui des Conservateurs britanniques. Avec le Brexit et le départ des ‘Tories’ de ce groupe, les rapports de force ont changé et les premiers rôles sont notamment joués par le parti polonais PiS, ce qui change pas mal de choses : l’euroscepticisme du PiS n’est pas tout à fait similaire à celui d’un David Cameron ou plus généralement des Conservateurs britanniques. »
« Je pense qu’effectivement pour l’ODS cela pose question. On a également pu voir pendant la campagne tchèque le Hongrois Viktor Orban venir soutenir Andrej Babiš. On spécule beaucoup en ce moment sur une recomposition au Parlement européen avec un groupe dans lequel se retrouverait les eurodéputés Fidesz hongrois et PiS polonais. Est-ce que l’ODS a envie de se retrouver dans un tel groupe, alors que V. Orban n’a pas hésité à soutenir A. Babiš et que Petr Fiala a fait une campagne en faveur d’un ancrage européen de la Tchéquie et contre des velléités illibérales ? Cela pose la une question assez compliquée pour Petr Fiala. Il va devoir composer avec le fait que l’ODS depuis la fin des années 1990 s’est construit autour d’un euroscepticisme assez virulent, donc ce n’est pas évident de tourner le dos à cela. »
« Effectivement, cela peut créer une situation assez paradoxale et difficile à gérer. Cependant, il ne faut pas oublier que Petr Fiala prendrait la tête d’un gouvernement de coalition, avec quatre formations (TOP09, KDU-ČSL, Parti Pirate et STAN) susceptibles d’en faire partie qui sont toutes relativement pro-européennes. »
Y aura-t-il un gouvernement à noël ?
Cette phase intermédiaire post-électorale peut-elle durer longtemps selon vous ?
« Cela va dépendre à 100% de Miloš Zeman. S’il décide de se comporter en homme d’Etat et de reconnaître une défaite – celle d’Andrej Babiš peut être considéré également comme la sienne au vu de ses prises de position ces derniers mois -, s’il décide sans rechigner de respecter la lettre et l’esprit de la Constitution, on pourrait avoir un gouvernement très rapidement avec la majorité relativement très confortable de 108 députés par rapport à ce qu’on a pu connaître dans le passé. Cela pourrait aller relativement vite, à moins qu’il y ait des bisbilles au sein des coalitions… »
…ou au cas où M. Zeman ne soit pas lui en mesure de prendre une décision…
« Auquel cas la Constitution prévoit des procédures pour sortir de cette situation. Donc je pense que si M. Zeman décide de ne pas faire obstruction, cela peut aller vite et je ne vois pas pourquoi un gouvernement ne pourrait pas être investi d’ici noël. Mais si au contraire, M. Zeman décide de tout faire pour freiner l’arrivée au pouvoir des deux coalitions et de maintenir le gouvernement Babis ou de se lancer dans une aventure comme il l’avait fait avec le gouvernement de Jiří Rusnok, cela peut effectivement prendre des mois. Je pense que M. Zeman pourrait jouer aussi l’héritage qu’il laissera dans l’histoire politique tchèque. »
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