Jan Kubáček : « Le cabinet du président Zeman a agi de façon incorrecte et irresponsable »
La République tchèque est confrontée à une crise politique sans précédent. Le président de la République, Miloš Zeman, est hospitalisé depuis le 10 octobre, au lendemain des élections législatives. Faute de communication claire et coordonnée de la part de son cabinet, les spéculations autour de son état de santé réel vont bon train. Pourtant, le président tchèque reste un acteur incontournable dans la nomination du nouveau gouvernement. Politologue, professeur et intervenant régulier auprès de la Radio tchèque, Jan Kubáček revient sur le rôle du président dans le système politique tchèque, l’incapacité du président actuel à exercer ses fonctions et les défis qui attendent le prochain gouvernement quand il sera nommé.
Pour commencer, pouvez-vous brièvement nous rappeler quel rôle tient le président tchèque dans le système politique tchèque et notamment au lendemain des élections législatives en temps normal ?
« Le président de la République tchèque a plutôt une fonction cérémoniale. Mais il y a des moments où son rôle est tout simplement irremplaçable, en particulier lors de crises politiques ou dans le cas de la formation ou de la chute d’un gouvernement. La Constitution de la République tchèque dispose clairement, en effet, que le Premier ministre et les membres du gouvernement doivent remettre leur démission au président de la République et que ce dernier doit procéder à la nomination du nouveau Premier ministre. Il peut éventuellement confier à un candidat le soin de négocier et de rechercher le soutien de la majorité, soit pour lui-même, soit pour un autre. Toutefois, les tentatives du chef de l’Etat pour nommer un gouvernement doivent être annoncées officiellement. Ce sont donc des moments très importants. En plus de la portée symbolique dont il jouit généralement, le président tchèque a aussi un rôle important lors de situations délicates, de périodes difficiles politiquement, agitées par des crises diverses. Il assure alors souvent la fonction de médiateur qui propose un compromis et qui amène les politiciens à une même table des négociations. Mais la chute et la formation du gouvernement sont des procédures, il est vrai, qui ne peuvent tout simplement pas se passer du rôle actif du président de la République. »
Que prévoit la Constitution tchèque si le président n’est pas en mesure d’exercer ses fonctions ?
« Nous avons déjà eu affaire par le passé à des situations où le président était affaibli. Je rappelle à nos auditeurs français que pendant la Première République tchécoslovaque, le président Tomáš Garrigue Masaryk avait été éprouvé par la maladie à plusieurs reprises, et ce dès 1920, ce que peu de gens savent. Nous pouvons également citer pour la période contemporaine le cas de Václav Havel lui aussi affecté pendant plusieurs mois. Pour ce qui est de Miloš Zeman, nous assistons à une situation nouvelle où les experts et les médecins nous annoncent qu’il y a un risque que le président ne puisse plus assurer ses fonctions sur le long terme. Nous faisons face à une situation délicate où le président resterait le chef d’Etat, mais de façon lointaine, en raison de ce que nous appellerions de nos jours un ‘obstacle à l’exercice de ses fonctions et de ses pouvoirs’ en vertu de l’article 66 de la Constitution. C’est donc un précédent majeur. Nous transférerions alors les pouvoirs au Premier ministre, en l’occurrence le Premier ministre sortant Andrej Babiš, au nouveau président de la Chambre des députés et le cas échéant au président du Sénat pour convoquer de nouvelles élections présidentielles, si Miloš Zeman venait à renoncer à ses fonctions ou à décéder. Pour que nos auditeurs français comprennent mieux les enjeux, dans le cas du recours à l’article 66 de la Constitution, les deux chambres du Parlement, c’est-à-dire le Sénat et la Chambre des députés, doivent se prononcer sur le sujet et les deux doivent obtenir une majorité absolue, soit le vote favorable respectivement de 41 sénateurs et 101 députés, pour déclarer le président inapte à exercer ses fonctions et ainsi transférer les pouvoirs, selon ce même article, au Premier ministre et au président de la Chambre des députés. »
Le recours à l’article 66 de la Constitution, relatif à la vacance de la présidence, peut-il se heurter à certains obstacles ?
« Nous attendons de connaître la décision des politiciens concernés quant à la procédure à suivre, car c’est une situation inédite. L’atmosphère post-électorale est difficile à négliger en pareilles circonstances. Il est donc important que les politiciens se conduisent de manière sensée, correcte et si possible de manière cultivée et uniforme s’ils décident de défaire le président de ses pouvoirs pour une période temporaire après l’annonce de l’état de santé du président par le corps médical. Actuellement, le chef de l’Etat, de fait, ne peut pas agir, il ne peut pas exercer activement ses pouvoirs. Il dispose en quelque sorte d’une période de quarantaine pour se rétablir d’ici le 8 novembre, date à laquelle se réunira la séance inaugurale de la Chambre des députés. A ce moment-là commencera une période difficile pour le président de la République qui devra accepter la démission du Premier ministre et choisir de nommer un ‘ancien-nouveau’ ou un nouveau Premier ministre. Si le président est cependant toujours dans un état grave à cette date-là, nous pouvons alors nous attendre à ce que les débats débutent et aboutissent à un vote à la nouvelle Chambre des députés et au Sénat sur le processus d’activation de l’article 66. »
Le nouveau gouvernement peut-il être nommé en l’absence du Président de la République ?
« Oui, il est fort possible que, si le processus de l’article 66 de la Constitution est engagé, le nouveau Premier ministre soit effectivement nommé par le nouveau ou la nouvelle présidente de la Chambre des députés. »
Les incertitudes persistent toujours quant à l’état de santé réel du président Miloš Zeman. Ces dernières semaines, il y a eu beaucoup de spéculations et de rumeurs, à l’image de l’affaire sur l’authenticité de la signature du président obtenue par le président de la Chambre des députés, Radek Vondráček. N’aurait-il pas été préférable de faire la lumière sur l’état de santé du président dès le début ?
« Je suis totalement d’accord sur le fait qu’une erreur cardinale a été commise dès le début. Le porte-parole du cabinet du président de la République a été inintelligible et aucune information élémentaire n’a été apportée. La communication aurait été profitable si nous avions au moins entendu les informations de base. Le reste ne nous regarde pas. Le président de la République est un patient comme un autre qui a droit à l’intimité et à la tranquillité. Mais le grand public mériterait d’avoir des informations sur l’état fondamental du président, sur sa convalescence, sur la durée de cette dernière et de savoir si dans un horizon plus ou moins lointain, il serait en mesure d’exercer son mandat présidentiel. Agir de la sorte aurait été très professionnel et digne de la part du cabinet présidentiel et aurait ainsi permis de calmer la situation, car tous ceux alors qui ne s’en seraient pas contentés, qui auraient tenu tête, auraient démontré une malveillance non professionnelle et humainement indigne. En d’autres termes, la situation au sein de la société aurait été beaucoup plus calme. La façon dont a agi le cabinet du président de la République n’était pas correcte et irresponsable. Si cela nuit à quelqu’un, cela nuit au président Miloš Zeman mais aussi au calme et à la confiance au sein de la société tchèque. »
Le délai de formation d’un nouveau gouvernement en République tchèque est relativement variable. Est-ce qu’en l’absence du président, la nomination du prochain gouvernement pourrait être facilitée ou au contraire pourrait-elle être retardée ?
« L’état actuel du pouvoir, à savoir l’indisposition du président de la République Miloš Zeman, va accélérer la formation du gouvernement et nous pouvons nous attendre à ce qu’à terme l’article 66 soit utilisé. Il s’avère que Petr Fiala prépare actuellement de façon active son gouvernement, son objectif étant d’être fin prêt avec une liste du personnel et un arrangement clair des nouveaux arrivants au gouvernement pour la séance inaugurale de la Chambre des députés. Nous pouvons donc nous attendre à ce que, si les pouvoirs passaient entre les mains du président de la Chambre des députés, les négociations soient très rapides et aboutissent à une nomination dans la foulée du gouvernement de Petr Fiala. »
La grande coalition sortie vainqueur des élections et portée par Petr Fiala est inédite. Elle rassemble deux coalitions, SPOLU et PirSTAN, qui représentent pas moins de cinq partis aux orientations hétérogènes. Est-ce qu’une grande alliance de ces cinq partis peut perdurer pendant quatre ans ? Les divergences auront-elles raison prématurément de cette coalition ?
« Ce sera de toute évidence délicat étant donné que nous n’avons jamais eu une telle coalition à cinq. Il s’agira probablement de circonstances nouvelles, qu’il faudra maîtriser fondamentalement d’autant plus si les coalitions électorales sont appelées à être à l’avenir des instruments de campagne électorale. Toute la question est de savoir comment elle sera évaluée et comment elle réconciliera les forces en vigueur. C’est le premier défi de cette coalition. Le second défi est que le gouvernement va entrer dans une période politique très difficile, notamment sur le plan économique en raison de la forte inflation et de l’affaiblissement de notre économie. Le gouvernement, simultanément, devra assurer une mission politique très importante : la présidence du Conseil de l’Union européenne en 2022. Ce sera donc une période marquée par de dures réalités. Le nouveau gouvernement fera face à une période très difficile et sera sûrement contraint d’annoncer des réformes impopulaires. »
Quels changements dans le style de gouvernance l’arrivée de Petr Fiala pourrait-elle apporter par rapport à son prédécesseur ?
« Petr Fiala apparaîtra plus calme, plus consensuel. Il usera davantage du compromis. Certains disent que sa communication sera plus sèche, mais elle sera aussi plus objective. Il sera certainement plus accommodant vis-à-vis de l’Union européenne et de l’OTAN. Il sera un partenaire plus enclin au compromis et sera probablement plus actif et ne répondra pas par des déclarations aussi fracassantes. Nous pouvons nous attendre à une communication plus calme et plus académique. »