Pandora Papers : le cas Babiš vu par des journalistes français

Retour sur l’enquête internationale Pandora Papers, selon laquelle le Premier ministre tchèque Andrej Babiš aurait eu recours à des montages financiers complexes passant par des structures offshore pour acquérir plusieurs propriétés immobilières sur la Côte d’Azur. Trois journalistes français du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) ont apporté leur éclairage sur l’affaire au micro de Radiožurnál.

Les quelque 12 millions de documents ayant servi de sources à l’enquête collaborative du Consortium international des journalistes d’investigation révèlent que le Premier ministre tchèque Andrej Babiš aurait fait transiter, via des sociétés offshore, quelque 15 millions d’euros qu’il a ensuite utilisés pour acheter des biens immobiliers sur la Côte d’Azur, dont une grande villa appelée château Bigaud. Le journaliste à la cellule investigation de Radio France Abdelhak El Idrissi résume ce montage particulièrement complexe :

Château Bigaud | Photo: Daniel Cole,  ČTK/AP

« Le montage qui a permis d’acheter la maison est étrangement complexe, parce qu’Andrej Babiš a mis en place trois sociétés différentes dans trois pays différents. La propriété est achetée à l’époque par une société de Monaco, elle-même détenue par une société basée aux Etats-Unis. Cela fait déjà deux sociétés pour détenir la maison. Et l’argent a été prêté par une troisième compagnie, basée aux Iles vierges britanniques et dont on ne connaissait pas l’existence. On ne savait pas non plus qu’Andrej Babiš était derrière cette société. Il se retrouve donc avec trois sociétés, dans un montage où il est à la fois prêteur et emprunteur de l’argent, dans un schéma qui, selon les experts, est souvent utilisé pour blanchir de l’argent qu’on ne peut pas directement injecter en France. On commence donc par l’injecter dans des paradis fiscaux peu regardants, comme les Iles vierges britannique ; ensuite on se rapproche par les Etats-Unis, et enfin par la France. »

Andrej Babiš | Photo: Petr David Josek,  ČTK/AP

Journaliste au Monde, Jean-Baptiste Chastand explique que pour faire cette opération, Andrej Babiš est passé par un avocat et agent immobilier français spécialisé dans ce type de montage et qui a énormément de clientèle tchèque. Cependant, personne ne sait pourquoi cet agent proposait un montage aussi compliqué aux Tchèques pour investir sur la Côte d’Azur, alors qu’on sait que dans le cadre de l’UE, il est pourtant assez simple pour ces ressortissants d’investir dans l’immobilier. Egalement journaliste au Monde, Maxime Vaudano rappelle que  les avocats en France peuvent se trouver dans des situations compliquées :

« Les avocats sont tenus au secret professionnel, c’est pour cela qu’ils ne répondent pas aux journalistes. Mais ils se retrouvent pris entre deux feux, avec d’un côté, l’obligation de confidentialité vis-à-vis de leurs clients, et de l’autre, l’obligation de dénoncer les malversations qu’ils voient. Donc beaucoup d’avocats sont dans ce double système, et ils ne peuvent pas vraiment faire les signalements nécessaires aux autorités. »

Quoi qu’il en soit, si la justice ou l’administration française souhaitaient lancer une enquête sur l’affaire, elle dispose des éléments nécessaires, explique Abdelhak El Idrissi :

Photo illustrative: Maklay62,  Pixabay,  CC0 1.0 DEED

« Les montages faits par Andrej Babiš ressemblaient à des montages utilisés  dans des cas de blanchiment et pour avoir à éviter de payer des impôts en France. Mais est-ce qu’il y a matière à enquêter pour la justice et l’administration françaises ? Et s’il devait y avoir une enquête, sur quels faits exactement ? Ce qui est sûr, c’est qu’aujourd’hui, rien n’empêche la justice et l’administration fiscale de se saisir du sujet, ne serait-ce que pour mener des vérifications à partir des informations révélées par la presse. »

Jean-Baptiste Chastand rappelle quelles institutions pourraient s’en charger :

« Potentiellement, deux organisations pourraient enquêter, mais nous n’avons aucune information de leur part. Il s’agit, d’un côté, des impôts français, qui pourraient estimer qu’il y a un risque d’évasion ou de fraude fiscale, donc il s’agirait d’une enquête fiscale, administrative. Dans ce cas-là, en général, l’information n’est pas publique, car elle est couverte par le secret fiscal. De l’autre côté, le parquet national  financier – à savoir le procureur spécialisé dans les enquêtes de fraude de grande ampleur – pourrait éventuellement lui aussi ouvrir une enquête préliminaire, s’il estime qu’il y a des éléments qui pourraient laisser croire à de la corruption ou du blanchiment d’argent sale ou de fraude fiscale avérée. »

« En général, on n’a aucune information sur ce sujet-là puisque c’est au parquet anti-corruption de décider s’il ouvre une enquête ou non. C’est l’autonomie totale. Ils peuvent même décider d’en ouvrir une sans communiquer dessus, ou ouvrir une enquête préliminaire, qui elle-même peut durer des mois, voire des années. »