Biden vs Trump : pas de grand changement à attendre pour la relation entre Prague et Washington
« Jamais l’élection américaine n’avait déchaîné de telles passions », « le scrutin présidentiel aux Etats-Unis ne s’est jamais annoncé aussi serré » : ce mardi, il faudra faire beaucoup d’efforts pour ne pas subir les poncifs et lieux communs entendus à la même période tous les quatre ans. Comment est observée cette élection depuis Prague ?
C’est la première question posée au chercheur de l’Institut des relations internationales (IIR) Jan Eichler, qui a fait partie des universitaires auxquels l’actuel président tchèque a refusé d’accorder le statut de professeur :
« Les élections aux Etats-Unis sont très suivies en République tchèque, parce que la République tchèque est depuis vingt ans dans la structure de l’OTAN et au sein de cette organisation atlantique la République tchèque est clairement orientée vers les Etats-Unis. Toute la représentation politique apprécie les garanties de sécurité offertes par les Etats-Unis, qui représentent l’allié et la certitude numéro un. »
Un des deux candidats paraît-il maintenir cette certitude plus que l’autre ?
« Je dois dire que c’est à égalité, les reportages et les commentaires sont équilibrés ; il n’y a pas un candidat préféré pour la représentation tchèque et toute l’attention se concentre d’abord sur leur programme. »
« Pour ce qui est du management politique de la République tchèque, il est à noter que le Président de la République, Miloš Zeman, s’est présenté dans le passé comme un ‘Trumpiste’, comme un Donald Trump à la tchèque. Ils ont beaucoup de points communs – les deux soulignent leur masculinité, ils sont costauds voire obèses tous les deux et n’hésitent pas à utiliser des techniques similaires, y compris le goujatisme. »
C’est assez surprenant au vu du parcours différent des deux hommes : Miloš Zeman vient du Parti social-démocrate (ČSSD), se disait être un homme de la gauche, alors que Donald Trump est le candidat du Parti Républicain, donc le parti conservateur de droite…
« Mais les deux sont de grands Narcisse. Les deux sont concentrés sur leur ego. Miloš Zeman est sorti du ČSSD, cependant il faut dire qu’il s’est emparé de ce parti il y a trente ans seulement pour s’en servir comme d’un ascenseur vers le pouvoir personnel. Aujourd’hui, grâce à son machiavélisme, il a des compétences et une influence peut-être encore plus importantes que le président français, et ce alors qu’il n’y a pas chez nous une constitution comparable à celle de la Ve République… »
On a souvent eu droit à des comparaisons entre les parcours de l’actuel chef du gouvernement tchèque et de l’actuel président américain. Andrej Babiš, qui a été invité à la Maison Blanche, n’a pas caché ses affinités avec Donald Trump, en reprenant même son slogan ‘Make America great again’ pour la Tchéquie et en portant une casquette rouge sur laquelle il était inscrit. Donald Trump est-il le candidat idéal pour Andrej Babiš ?
« Pour Andrej Babiš, Donald Trump est une grande inspiration. Tous les deux ont eu le même parcours : d’abord le business puis l’entrée en politique. Il est plus proche de Trump que Miloš Zeman et ne cache pas ses sympathies pour lui. »
Si Joe Biden est élu, s’il y a un changement à la Maison Blanche, cela peut-il engendrer selon vous un changement dans les relations entre Washington et Prague ?
« Non, il ne faut pas attendre de grand changement, d’autant plus que M. Biden, en tant que sénateur en charge de la politique étrangère, est déjà venu plusieurs fois à Prague dans les années 1990 pour s’occuper des aspects militaires et diplomatiques de l’élargissement de l’OTAN. Il représentait une dimension personnelle de l’espoir des élites tchèques d’intégrer cette organisation. »
L’un des points essentiels de cette relation tchéco-américaine est l’appartenance à l’OTAN. La barre des 2% du PIB consacrée au budget de la défense est un sujet important pour Washington qui insiste sur la participation financière des Etats-membres. La crise sanitaire actuelle et la crise économique qui en découle va compliquer cet engagement pris par Prague – cela peut-il compliquer la relation avec Washington ?
« Il y a toujours cette formule magique des 2%, l’augmentation du budget militaire tchèque reste un grand débat. L’objectif est désormais un petit peu compliqué, d’autant qu’il y a eu des propositions de la part des communistes tchèques en vue de réduire ce budget militaire. Mais la ministre tchèque des Finances a affirmé qu’il fallait continuer de négocier et a envisagé elle-même une éventuelle diminution du budget de la Défense – cela pourrait effectivement représenter une complication, c’est vrai. »