« L’Europe centrale ne sera pas la priorité pour le président Trump »
La surprenante victoire du candidat républicain Donald Trump à la présidence américaine ne semble pas être accueillie avec grand enthousiasme du côté des chancelleries européennes, et à Prague comme ailleurs si l'on excepte la réaction du président Zeman. Mais quelles peuvent effectivement être les conséquences géopolitiques de son élection pour la République tchèque ? C’est ce que nous avons demandé au directeur adjoint du think tank Europeum, le chercheur en relations internationales Martin Michelot.
Donald Trump a critiqué les Etats membres de l’OTAN qui ne mobilisent pas 2% de leur PIB dans le secteur de la défense, comme le veulent les statuts de l’organisation. Or la République tchèque est dans cette situation. Qu’est-ce qui peut changer au niveau de l’OTAN avec l’élection de Donald Trump ?
« Les propos de Donald Trump sur les 2% de dépenses du PIB sont pour l’instant des paroles d’affichage. Cela va être extrêmement compliqué pour un pays comme la République tchèque, mais aussi pour la Slovaquie par exemple qui est très loin de dépenser les 2%, de changer quoi que ce soit dans un laps de temps limité. Pour l’instant, ce sont donc des propos qui sont destinés à l’aile très conservatrice du parti républicain, celle qui pense que les garanties de sécurité que les Américains apportent aux Européens sont exagérées et sont d’un autre temps par rapport aux moyens existants. Et donc cela ne va pas changer grand-chose immédiatement.Il y aura sans doute une pression qui continuera à être mise sur des pays comme la République tchèque pour continuer à dépenser de l’argent. Mais en même temps, cela ne veut pas dire pour les Tchèques que le plan de développement de leur armée, qui est cohérent et structuré sur les années à venir, va être accéléré. Au contraire, cela amènera peut-être à quelques tensions. Mais la vérité est que cette question des 2%, est plus une politique publique d’affichage qu’une vraie question qui a quelque chose à voir sur la capacité à se défendre ou non. »
Qu’en est-il des propos de Donald Trump qui se dit prêt à discuter avec Vladimir Poutine ? On sait que les pays d’Europe centrale sont plutôt méfiants vis-à-vis de la Russie. Son élection peut-elle changer la donne ?
« Evidemment, il y a des inquiétudes qui sont en creux des discours, surtout de la réaction du ministre des Affaires étrangères Lubomír Zaorálek. Quand on lit entre les lignes, il y a une vraie inquiétude par rapport à ce qui pourrait se passer dans la relation. Mais c’est plus dû au fait qu’on a aucune idée concrète de comment la politique étrangère de Donald Trump pourrait être structurée, que par rapport à la relation avec la Russie. En République tchèque, on peut dire qu’il y a une peur de la Russie qui est un peu moins marquée qu’en Pologne, dans les pays baltes ou en Hongrie, et donc cela permet un peu de limiter ces effets immédiats. Après, il faudra évidemment voir à l’usage. Mais, pour l’instant, il est un peu trop tôt pour se prononcer.De toute manière, la République tchèque n’est pas, n’est plus un pays charnière pour l’influence russe. C’est bien pour cela que les Tchèques essaient de se rapprocher le plus possible de l’Allemagne et qu’ils essaient un peu de s’éloigner de l’influence du groupe de Visegrád (V4), le groupement régional, parce qu’il faut se raccrocher à ces structures mieux connues en Europe de l’Ouest qui pourraient justement mitiger les effets désagréables d’une présidence Trump. »
Bohuslav Sobotka, le Premier ministre tchèque, a réagi en disant que, au moins, le prochain président américain sait situer la République tchèque sur une carte. A-t-on une idée de la façon dont Donald Trump se représente l’Europe centrale et peut-être plus généralement l’Europe ?
« Déjà, je tiens à souligner qu’il est relativement rare que M. Sobotka fasse un trait d’humour en public. Au moins, de ce côté-là, on peut peut-être analyser le fait que cela représente une pointe de cynisme mais aussi d’inconfort par rapport à ce qui pourrait arriver. Alors, les seules choses que l’on sait de Donald Trump et de sa connaissance de l’Europe centrale, c’est qu’il a eu une femme tchèque et une femme slovène. Je ne sais pas si cela veut dire qu’il a forcément une connaissance des enjeux stratégiques en Europe centrale…Mais, de toute façon, les véritables priorités de Trump en politique étrangère seront plutôt portées sur les questions de commerce et de libre-échange, et s’il y a des tensions à prévoir, elles seront plutôt du côté de l’Asie-Pacifique. Il a eu des discours très durs sur l’influence chinoise et sur le rôle de la Chine qui aurait créé, entre autres, le changement climatique et qui joue un jeu dangereux dans la mer de Chine. L’Europe centrale ne sera pas la priorité pour le président Trump et c’est justement pour cette raison que l’Europe centrale, du moins la République tchèque et la Slovaquie, se rapproche un peu plus de l’Allemagne et de la France. C’est aussi un des effets du référendum britannique. »