Les brasseries tchèques manquent de… brasseurs

Foto: Ondřej Tomšů

Les brasseries tchèques, dont le nombre ne cesse de croître ces dernières années, se plaignent elles aussi, comme dans de nombreuses autres branches d’activité, de la pénurie de main-d’œuvre qualifiée. Et plus encore de la pénurie de jeunes brasseurs, dont certains préfèrent partir monnayer leur savoir-faire, très demandé, à l’étranger.

U Fleků | Photo: Ondřej Tomšů,  Radio Prague International
« Un beau jour il faudra mettre fin aux sanctions réciproques, monsieur le président. Si vous ne le faites pas, vous serez privés de nos excellents fromages et yaourts », avait glissé le président tchèque Miloš Zeman à son hôte Vladimir Poutine lors de sa visite à Sotchi en novembre dernier. Une boutade à laquelle le président russe avait ironiquement répondu: « On trouvera bien de la bière et on se débrouillera pour les yaourts ». Cette anecdote rappelle combien la bière tchèque est un produit apprécié non seulement en Russie, mais plus généralement dans le monde. Et si Plzeňský Prazdroj a annoncé, cette semaine, avoir augmenté d’un tiers sa capacité de production de la célèbre Pilsner Urquell pour un investissement de près de 11 millions d’euros, c’est entre autres pour mieux répondre à la demande croissante à l’étranger. Une demande qui concerne aussi les maîtres brasseurs…

Ladislav Veselý,  photo: Site officiel de la brasserie Uhříněves
Ladislav Veselý est le brasseur et le copropriétaire de la brasserie Uhříněves, du nom d’un quartier situé dans le sud-est de Prague. Avant de s’investir dans son pays d’origine, c’est en Yougoslavie au début de sa carrière, puis au Japon pendant six ans qu’il a travaillé ; une expérience asiatique dont il conserve un souvenir très concret : « Ils [les Japonais] veulent un type de bière tchèque. Les brasseurs tchèques sont demandés parce que la bière que nous produisons est vraiment particulière. C’est un type (la pils ou lager) très apprécié et consommé dans le monde, mais la tchèque a une particularité que les autres n’ont pas. Ceci dit, nous ne sommes pas non plus les seuls à travailler là-bas. Vous trouvez au moins tout autant de brasseurs d’Allemagne, de Belgique ou par exemple du Canada. »

Président de la Fédération des microbrasseries de Bohême et de Moravie, Jan Šuráň confirme cet intérêt des brasseries étrangères. Selon lui, à la manière des hôpitaux allemands ou autrichiens avec les médecins et infirmières tchèques, les brasseries étrangères viennent recruter directement en République tchèque :

« Lorsqu’elles regardent la consommation de bière dans le monde, elles se disent que si nous en buvons tellement en République tchèque, c’est certainement parce que ce que nous produisons n’est pas mauvais et que nos brasseurs savent y faire. C’est une idée très répandue en Asie notamment, au Japon ou aux Philippines, mais un pays comme la Corée du Sud est très en vogue aussi ces derniers temps. Et puis je n’oublie pas bien entendu la Russie, où il y a une importante demande non seulement de bière tchèque mais aussi du savoir-faire brassicole tchèque. »

La brasserie U Supa,  photo: Site officiel de la brasserie U Supa
Les brasseurs tchèques, eux, sont intéressés par deux aspects d’une aventure à l’étranger : financier bien entendu, mais aussi professionnel, comme l’explique Martin Melzer, brasseur en chef de la brasserie U Supa à Prague. Une fois son diplôme en poche, c’est d’abord en Suède qu’il a exercé ses talents :

« Cela m’a permis de découvrir une autre façon de faire. J’ai pu essayer de nouvelles technologies. Les habitudes et les goûts des consommateurs diffèrent selon les pays et les régions, c’est important de ne pas être borné et de sortir de son trou pour voir ce qui se passe ailleurs. Aujourd’hui, les brasseries qui embauchent des brasseurs s’intéressent davantage qu’auparavant à leur expérience à l’étranger. Les propriétaires veulent savoir ce qu’ils y ont fait à et quels types de bière ils connaissent. »

Le nombre de microbrasseries et autres brasseries artisanales a fortement augmenté en République tchèque ces dernières années, et continue de croître. Leur nombre dépasse désormais les 400. Mais selon Jan Šuráň, ce boom pose un problème concret :

Jan Šuráň,  photo: Alžběta Švarcová,  ČRo
« Je dirais qu’il y a environ 150 très bons brasseurs en République tchèque. De nouveaux arrivent sur le marché du travail, mais ils sortent de l’école et il faut leur laisser du temps pour qu’ils puissent se faire la main et acquérir de l’expérience. Il faut au moins cinq à six ans pour cela, du coup il y a effectivement une pénurie de bons brasseurs actuellement. Le plus souvent, les brasseurs travaillent dans trois ou quatre brasseries. »

Actuellement, il existe quatre écoles en République tchèque qui proposent une formation de brasseur. Selon Martin Úlovec, responsable de l’Institut national de formation, le nombre de candidats augmente proportionnellement à celui des brasseries :

« En 2016, nous avons recensé treize diplômés, en 2017 c’était déjà un peu plus du double. Nous nous expliquons cette tendance par l’expansion des petites brasseries artisanales. Les étudiants savent qu’ils trouveront du travail à la sortie de l’école, et puis il y en a aussi certains qui veulent investir dans des microbrasseries. »

Paradoxalement pourtant, la consommation de bière en République tchèque tend à diminuer depuis quelques années déjà. Selon les données de la Fédération des brasseries et des malteries, la consommation annuelle moyenne par habitant est descendue à 138 litres en 2017, soit dix pintes de moins en l’espace d’un an.