Les caricaturistes tchèques solidaires de leurs collègues français

Stephane Charbonnier, photo: ČTK

Journal satirique anticlérical et impertinent, Charlie Hebdo est le représentant d’une tradition bien ancrée en France, celle de la caricature politique. Ce genre existe également en République tchèque, bien qu’il y soit bien plus discret. Radio Prague a contacté Radovan Rakus, le président de l’Union tchèque des caricaturistes (ČUK), pour qu’il s’exprime sur l’attentat qui a visé ses collègues français mercredi.

Stephane Charbonnier,  photo: ČTK
Charlie Hebdo est l’héritier du légendaire magazine Hara-Kiri. Celui-ci, menacé dans son existence après sa une faisant suite à la mort du général de Gaulle « Bal tragique à Colombey : un mort », avait survécu sous ce titre de Charlie Hebdo paru pour la première fois en septembre 1970. Le canard disparaît au début des années 1980 pour renaître à nouveau de ses cendres la décennie suivante avec une équipe composée d’anciens et de nouveaux. Radovan Rakus confesse n’avoir qu’une faible connaissance du monde de la presse satirique française dont il ne parle pas la langue. Hara-Kiri et Charlie Hebdo sont cependant des noms qui lui sont familiers. L’attaque que le second a subie mercredi est à ses yeux inqualifiable :

« C’est sans précédent, c’est perfide et condamnable, il semble que cet acte ait été perpétré par un mouvement fondamentaliste qui sème la haine et est source de tensions sociales. C’est la combinaison destructrice du fanatisme religieux et du terrorisme. En attaquant un journal humoristique, ils ont perdu tout honneur. Toute personne lâche peut attaquer une personne de dos et désarmée. C’est une habitude des terroristes. Là où ils n’ont plus d’arguments, ils sortent une kalachnikov et le débat est terminé. »

Radovan Rakus raconte recevoir de nombreuses réactions de caricaturistes tchèques. L’association dont il est le président a publié un communiqué dans lequel les dessinateurs tchèques expriment leur solidarité vis-à-vis de leurs collègues français. Pour Radovan Rakus, il n’est pas question de changer sa façon d’aborder son métier dans ce cadre culturel spécifique qu’est la République tchèque :

Radovan Rakus,  photo: Česká unie karikaturistů
« La situation chez nous est différente, nous n’avons aucun problème avec la minorité musulmane et de ce fait notre regard ne peut pas être le même que celui de nos collègues en France parce que nous ne vivons pas là-bas. Ici, la caricature politique se focalise sur des thèmes propres à notre pays à la différence de nos collègues en France, qui évoquent des thématiques plus globales. La caricature politique tchèque reflète les pépins des politiques. Et puis notre président est aussi une figure assez comique. Les sujets de politique intérieure dominent mais il y a parfois une réaction à la situation en Ukraine ou à notre environnement proche. »

Dans la presse tchèque, nombreux sont les commentaires pointant du doigt la communauté musulmane dans son ensemble, pourtant quasi-inexistante en Tchéquie, et assimilant sans vergogne l’attaque de mercredi à la question des réfugiés syriens que Prague refuse d’accueillir et à la politique européenne en matière d’immigration. Ce qui fait craindre à Radovan Rakus que le phénomène islamophobe ne prolifère sur la récupération de l’attentat parisien :

« L’islamophobie est le problème des gens qui ne connaissent pas le contexte. Toute personne raisonnable sait que chaque religion pratiquée selon les principes énoncés dans ses textes, que ce soit la Bible ou le Coran, est à la base inoffensive, au contraire, elle a une valeur sociale ajoutée. Le fondamentalisme provoque un antagonisme. D’ailleurs même l’Eglise catholique a eu une période d’activisme où elle prônait la défense de la foi par le feu et par l’épée. »

Parfois critiquée ces dernières années pour sa relative fixation sur l’Islam, Charlie Hebdo se réclamait d’une féroce tradition anticléricale et revendiquait le droit de se moquer de toutes les religions. Une tradition que porte également la satire tchèque ainsi que le développe Radovan Rakus :

« Fort logiquement, se moquer de la religion, surtout de l’Eglise catholique, est chez nous une tradition. Cet humour a été alimenté par notre tradition du protestantisme hussite. L’écrivain Jaroslav Hašek était très connu pour sa propension à tancer l’Eglise dans ses nombreuses nouvelles ou dans ses Aventures du brave soldat Švejk. »

La culture satirique tchèque est cependant bien moins développée que son homologue française, comme le notait la journaliste Saša Úhlová, qui doutait même de la capacité des médias dominants tchèques à envisager l’existence d’un journal du type de Charlie Hebdo. D’autant plus que la crise que traverse la presse écrite, en raison de l’émergence de nouvelles sources d’informations, touche en premier lieu la caricature, dont l’espace se réduit petit à petit selon Radovan Rakus :

« La présence de la caricature et de la satire dessinée recule car la presse écrite où elles se trouvaient traditionnellement disparaît petit à petit pour être remplacée par l’espace virtuel. La publication de la presse est de plus en plus chère et en conséquence, les éditeurs préfèrent réserver de la place pour la publicité en tant que source de revenus. Mais je ne pense pas qu’il s’agit d’une volonté explicite de limiter la caricature. Aujourd’hui, seules les grandes maisons d’édition peuvent se payer un caricaturiste pour travailler tous les jours. »

Parmi les nombreux dessins publiés en réaction à l’attentat commis contre Charlie Hebdo, des artistes, à l’instar de Banksy, ont exprimé l’idée que cet acte favoriserait l’émergence d’une nouvelle génération d’auteurs, avides de susciter le rire afin de « désacraliser la bêtise, exorciser les chagrins véritables et fustiger les angoisses mortelles », pour reprendre les mots de Pierre Desproges. Néanmoins, la presse tchèque semble pour l’heure manquer des moyens de les faire exister.