Les couturières de Kim Jong-Il en République tchèque
Direction Nachod, à 200 km au nord de Prague, près la frontière tchéco-polonaise. Dans une des usines de cette ville sont employées des ouvrières originaires de Corée du nord. Des travailleurs immigrés pas comme les autres, car on soupçonne le régime dictatorial de Kim Jong-Il d'exploiter ses ressortissants et de les utiliser pour faire rentrer des devises étrangères dans les caisses de l'Etat nord-coréen.
Devant l'usine Snezka, à l'heure du changement d'équipes: des employés, en grande majorité des femmes, terminent leur journées, d'autres s'apprètent à prendre la relève. Parmi elles, de nombreuses Asiatiques, des nord-Coréennes qui refusent de communiquer et s'éloignent dès qu'elles voient un micro ou une caméra.
« En cachette, on leur a montré des photos de nos maisons, on leur a raconté comment on vivait et certaines m'ont dit qu'elles voudraient bien rester ici, en Europe ». Ania est une jeune Polonaise qui travaille avec une centaine de couturières nord-coréennes dans cette usine de Nachod, petite ville tchèque du nord-est de la Bohême.
« D'après ce que je sais et ce que j'ai vu, elles travaillent plus que les autres mais ne touchent en réalité que moins de la moitié de leur salaire ; le reste c'est pour leur pays, la Corée, c'est injuste ». Et Ania ajoute que les nord-Coréennes ont l'interdiction formelle de communiquer avec les autres employés.Le directeur de la société Snezka, Miloslav Cermak, affirme que tout est en règle, certificat d'une société d'audit irlandaise à l'appui. Malgré les recommandations de l'ambassade de Corée du nord, qui lui a vivement conseillé de ne pas communiquer avec la presse, il nous fait visiter son usine, d'où sortent des pièces destinées à l'industrie automobile européenne.
« Les nord-Coréennes sont mes meilleures employées, elles sont habiles et appliquées », se félicite-t-il en montrant les machines à coudre derrière lesquelles les jeunes Asiatiques fabriquent des appuie-tête à toute allure. « Moi je les paie, après je ne sais rien de ce qu'elles font de leur argent et je n'ai pas à leur dire comment le dépenser... »
Non content de profiter d'une main d'oeuvre docile et bon marché, Miloslav Cermak se dit persuadé qu'il participe également à la lutte pour les valeurs démocratiques. Fort de ses expériences à l'étranger quand son pays était encore sous le joug communiste, il est sûr que les filles peuvent à leur tour raconter leur expérience à leurs proches en rentrant et que ce séjour est certainement une forme de subversion idéologique. En théorie, plus il y en aura qui voyageront et reviendront au pays, plus forte sera la pression pour changer les choses chez eux »...
Encore faudrait-il que ces filles aient un minimum de contacts avec la population locale. A Nachod, logées dans une maison qui appartient à l'entreprise et surveillées jour et nuit par un compatriote, leurs contacts avec l'extérieur sont plus que limités. « Sans moi, ce serait difficile pour elles de survivre ici, elles ont peur », affirme leur « traducteur » - qui se fait appeler Tchendo - après avoir refusé de nous montrer dans quelques conditions les filles sont hébergées.
La seule sortie autorisée aux petites couturières l'année dernière fut un thé dansant organisé par les responsables locaux du Parti communiste tchèque, formation connue pour ses liens avec les dernières dictatures communistes de ce monde.C'était en mars dernier, à l'occasion de la Journée internationale de la femme... Les communistes locaux ont eu droit à une chorégraphie dans le plus pur style de Pyongyang. « C'était inoubliable, on n'a pas tellement l'habitude d'avoir autant de jeunes filles parmi nous... », se souvient Jiri Zurcek, secrétaire de l'antenne locale du parti, à qui l'ambassade nord-coréenne avait demandé d'inviter les filles, « pour les divertir ».
Avec la société Snezka à Nachod, une poignée d'autres entreprises tchèques emploient au total environ 400 citoyens nord-Coréens, en grande majorité de jeunes couturières.
Elles font partie de ce contingent de milliers de nord-Coréens recrutés à l'étranger - entre 10 000 et 15 000 selon les estimations - grâce auquel le régime de Kim Jong-Il récupère une quantité de devises non négligeable.
Dans un témoignage recueilli l'année dernière par le Parlement européen, Kim Tae San - ancien diplomate en poste à l'ambasse nord-coréenne de Prague réfugié à l'étranger - a déclaré que 55% des salaires versés par les sociétés tchèques sont reversés à leur gouvernement par ces couturières, qui sont également obligées de payer de multiples contributions - pour l'achat de films de propagande notamment. Toutes déductions faites, elles ne toucheraient qu'une trentaine d'euros par mois.
Le système est connu depuis longtemps par les autorités tchèques. Dans la Tchécoslovaquie communiste, des milliers de Vietnamiens - mais aussi des Cubains et des Angolais notamment - étaient employés et contraints de reverser une partie de leur rémunération à leur mère-patrie.
Le problème reste que personne n'a réussi à prouver quoi que ce soit. « En 2004, nous avons reçu l'ordre du ministère du Travail d'inspecter les conditions dans l'usine de Snezka mais nous n'avons rien trouvé d'anormal », regrette Michal Pejskal, directeur du bureau du travail de Nachod.
Malgré cette absence de preuves, les autorités tchèques ont finalement décidé de se débarrasser, lentement, de cet épineux dossier. Tomas Haisman dirige le département des politiques d'asile et de migrations au ministère de l'Intérieur :
« Le problème des employés nord-coréennes en République tchèque est compliqué, mais finalement, en nous basant sur la résolution 1718 de l'ONU, nous avons décidé en juin dernier de ne plus accorder aucun nouveau visa de travail à des ressortissants nord-coréens et de ne pas prolonger les visas en cours ».
Cela signifie qu'à la fin de l'année 2007, il n'y aura plus une seul nord-Coréenne employée sur le sol tchèque. Mais des milliers de ces esclaves des temps modernes continueront vraisemblablement d'être exploités ailleurs, peut-être pour contribuer au financement du programme nucléaire de Pyongyang.