Les discours du Nouvel An des présidents tchécoslovaques (2e partie)
Nous poursuivons aujourd’hui la série d’émissions consacrées aux discours du Nouvel An des présidents tchécoslovaques, une tradition instaurée par Tomáš Garrigue Masaryk et qui s’est maintenue jusqu’à nos jours. Au départ, les messages sont enregistrés par des sociétés de cinéma pour être projetés en salles. A partir de 1936, ils sont diffusés à la radio. Les discours du Nouvel An fournissent un témoignage de l’époque, comme nous allons le voir avec l’historien Oldřich Tůma, directeur de l’Institut d’histoire moderne de l’Académie des sciences.
« Nous luttons pour la cause de la paix, en édifiant et en consolidant notre République populaire démocratique, son potentiel politique et économique, et en jetant les bases d’une nouvelle société socialiste. L’année qui commence apporte de nouvelles tâches, souhaitons donc à notre république qu’elle fleurisse et fortifie en alliance étroite avec l’Union soviétique. »
Après Antonín Zápotocký qui succède à Klement Gottwald après sa mort en 1953, les fonctions de président sont exercées par Antonín Novotný. Son premier discours du Nouvel en vante les succès du régime, le rôle croissant du socialisme, avec en tête l’URSS :
« Les yeux des centaines de millions de personnes dans le monde entier sont aujourd’hui tournés avec joie et espoir vers l’Union soviétique, voyant leur avenir heureux dans l’héritage de la grande révolution socialiste d’octobre. »Pour l’historien Oldřich Tůma, la rhétorique des présidents communistes affiche beaucoup de traits communs :
« La première chose qui nous vient à l’esprit lorsqu’on entend répéter toujours les mêmes clichés prononcés sur les mêmes sujets est de savoir comment se fait-il que le socialisme n’a pas déjà été construit et que la paix ne règne pas sur l’ensemble de la planète. Ces clichés ne cessent de se répéter dans les discours du Nouvel An et on doit se demander si ceux qui les ont rédigés et présentés se rendaient compte que cela ne donnait aucun sens à ces messages. »
Au début des années 1960, le régime atténue dans une certaine mesure ses pressions. Des milliers de prisonniers de conscience des années 1950 seront libérés en mai 1960, suite à une amnistie, même si tous ne seront pas réhabilités, et beaucoup d’entre eux resteront des citoyens de deuxième catégorie. Par rapport aux années 1950, un dégel se fait sentir dans la vie de tous les jours des citoyens et la direction de l’Etat commence à s’intéresser au regard porté par le monde sur la Tchécoslovaquie, observe Oldřich Tůma :
« En 1958, on est fier de ce que le monde admire le pavillon tchécoslovaque à Bruxelles, que ce soit la cuisine tchèque ou la Lanterne magique, alors que quelques années auparavant, le régime se souciait vraiment peu du monde occidental impérialiste, en cherchant même à s’isoler au maximum de lui. Cela ne dure pas longtemps et des livres d’auteurs interdits de publication vont commencer à apparaître dans les librairies, l’un des plus grands westerns américains, ‘Le train sifflera trois fois’, sortira dans les salles tchèques, en 1961, et peu après, les Beatles envahiront les ondes de la radio tchécoslovaque. »
Son dernier message du Nouvel An, le président Antonín Novotný le prononce en 1967, période de crise aggravée au sein de la direction du PCT. Et comme il est déjà de coutume, pas un mot n’est prononcé à ce sujet dans son discours qui prend pour cible la politique étrangère des puissances occidentales :
« Notre politique de coexistence pacifique ne peut rester indifférente vis-à-vis des puissances impérialistes et leur comportement hostile aux intérêts du progrès et aux intérêts des petits Etats, comme nous en sommes actuellement les témoins au Vietnam. Par leurs actes belliqueux, les Etats-Unis d’Amérique violent les principes de paix internationaux et font prévaloir leur ambition impérialiste. Compte tenu de cet état de faits, nous continuerons à mener une lutte ouverte sur le front idéologique, en démontrant dans le même temps les avantages du socialisme. »Ce qui est presque drôle, selon l’historien Tůma, c’est que plus loin dans son discours, le président Novotný n’hésite pas à accentuer les mérites du parti communiste pour la coexistence des Tchèques et des Slovaques au sein de la fédération tchécoslovaque, bien que ce soit justement son incapacité à régler la question slovaque, l’une des causes de son échec politique, qui le contraindra à démissionner, en mars 1968.
Le Jour de l’An 1969, les Tchécoslovaques entendent le nouveau président Ludvík Svoboda prononcer le traditionnel discours. Son langage et son contenu sont différents de ceux des autres présidents communistes : depuis quatre mois, le pays est occupé par les troupes du pacte de Varsovie, et l’allocution de Ludvík Svoboda reflète ce qui est resté de la détermination de la société de ne pas accepter le retour des années de plomb et l’abandon des idéaux du Printemps de Prague pour la défense desquels l’étudiant Jan Palach se sacrifiera, le 16 janvier 1969.