En 1943, la Tchécoslovaquie libérait Kyiv de l’occupation nazie

Kyiv après la libération en novembre 1943, rue de Kreshchatyk

Alors que l’Ukraine est occupée par l’Allemagne nazie depuis 1941, Kyiv est libérée le 6 novembre 1943. Ce n’est qu’un an plus tard, le 28 octobre 1944 que l’actuelle Ukraine sera débarrassée des dernières troupes allemandes. La libération de Kyiv résulte de l’initiative du premier corps d’armée tchécoslovaque. Retour sur la libération de la capitale ukrainienne par les troupes tchécoslovaques.  

Leonida Dobošová,  16 ans | Photo: Archives de Leonida Dobošová/Paměť národa

Fondée en 1919, la République socialiste soviétique d’Ukraine est envahie par l’Allemagne nazie et par ses alliés en 1941. La prise de Kyiv par les nazis cette même année est probablement l’une des plus grandes batailles de la Seconde Guerre mondiale. Leonida Dobšová, 15 ans en 1941, se rappellait en 2014 de la violence des événements dans le cadre des « Histoires du XXème siècle » de l’organisation Paměť národa :

« Kyiv a été minée et la rue principale de Kreshchatyk a explosé sous mes yeux. Tout était en feu. J’avais peur d’aller me coucher parce que les rues explosaient sans arrêt. Le lendemain, il n’y avait ni eau, ni électricité, ni rien à manger. Qu’est-ce que j’étais censée faire ? Alors j’ai marché pendant deux cents kilomètres pour rejoindre ma mère dans son village. »

Les soldats tchécoslovaques libèrent Kyiv en novembre 1943 | Photo: Site officiel de Bojovali za Československo

Au début, beaucoup de citoyens voient l’invasion nazie de l’Ukraine comme l’avènement de quelque chose de positif et considèrent les Allemands comme des libérateurs qui pourraient leur permettre de créer un Etat indépendant ukrainien.

Un char allemand Panzer à Zhitomir,  Ukraine,  en november 1943 | Photo: Janusz Magnuski,  Wikimedia Commons,  public domain

Très vite néanmoins, les Nazis changent de politique et les espoirs des Ukrainiens s’éteignent : du régime soviétique ultérieurement en place, ils conservent le système de fermes collectives, et commencent à forcer de nombreux civils à aller travailler en Allemagne et à mener leur politique génocidaire contre les Juifs. Les historiens spécialistes de l’Ukraine estiment que plus de sept millions d’Ukrainiens ont perdu la vie pendant les deux années de l’occupation allemande, parmi eux plus d’un million de Juifs.

Si l’actuelle Ukraine est libérée des dernières troupes allemandes le 28 octobre 1944, la libération du pays commence dès la fin 1943 avec la bataille de Kyiv.

Le premier corps d’armée tchécoslovaque avant la bataille de Kyiv en 1943 | Photo: VHÚ

C’est le premier corps d’armée tchécoslovaque, fondé en 1943, qui comptait à l’époque 3 500 soldats, qui mènera l’offensive principale à Kyiv, entre le 3 et le 6 novembre 1943, pour libérer la capitale ukrainienne.

Antonín Sochor,  Josef Buršík,  Richard Tesařík | Photo: VHÚ

Si le corps d’armée tchécoslovaque est couronné de succès à l’issue de cette bataille, trois commandants - Antonín Sochor , Richard Tesařík et Josef Buršík - étant décorés Héros de l’Union soviétique, il n’aurait, à l’origine, pas dû participer à l’offensive de la bataille de Kyiv. Comme le raconte dans son livre  Z Buzuluku do Prahy  (De Buzuluk à Prague) le colonel Ludvík Svoboda, dont le nom, par un heureux hasard, signifie en tchèque « Liberté », qui mena l’unité militaire, les ordres reçus étaient de protéger le flanc droit de la 38ème Armée soviétique. Futur président tchécoslovaque dans les années 1960-1970, celui qui était encore simplement connu comme le colonel Svoboda s’y opposa :

Le colonel Ludvík Svoboda  (à droite) | Photo: Сергей Николаевич Струнников,  Wikimedia Commons,  public domain

« Nous ne sommes pas d’accord avec la tâche d’avancer dans la deuxième séquence et de protéger seulement le flanc droit de votre 38e armée. Nous allons à Kyiv. […] L’attaque sur Kyiv est une attaque sur la position ennemie devant Prague. Votre combat est notre combat, nous ne sommes pas nombreux, mais nous sommes là avec vous - côte à côte. Nous voulons attaquer en première ligne. »

Vasil Coka, caporal et membre de la compagnie anti-char qui conduit l’offensive à Kyiv, se rappellait en 2013 des événements :

Vasil Coka | Photo: Archives de Vasil Coka/Paměť národa

« J’étais dans la compagnie anti-char. J’étais caporal, car j’avais terminé l’école de sous-officiers. À travers les zones brûlées, à travers les rivières sanglantes, ce fut mon baptême. J’avais un magnifique fusil antichar. C’était la seule arme que j’estimais. Quand j’ai visé le bunker, je l’ai touché exactement. C’est à partir de ce bosquet que nous avons commencé la grande offensive, car les Allemands avaient entouré tout Kyiv de tranchées, d’obstacles antichars, c’est-à-dire deux mètres et demi dans le sable, plus des barbelés. Si un tank entrait, il ne pouvait pas sortir. Mais à ce moment, nous n’avions pas beaucoup de chars. Sur notre gauche et sur notre droite, on avait des Soviétiques. À ce moment-là, ce n’était pas un problème pour Kyiv, car à onze heures, ils ont conclu un accord d’une heure pour réaliser une opération : tout ce qui pouvait tirer devait tirer. Et ces avions russes, c’étaient des monstres. Ils sont apparus très bas au-dessus des arbres, juste au-dessus de leurs tranchées. Ils ont tout bombardé. Les Allemands avaient tellement sécurisé ces bunkers qu’ils y avaient des entrepôts, de la nourriture, tout était relié autour de Kyiv dans ces bunkers. »

La bataille de Kyiv en 1943 | Photo: VHÚ

Anna Havranová, infirmière pendant la bataille de Kyiv, se rappelle quant à elle de l’horreur de la guerre et des blessés qu’elle a soignés :

Anna Havranová avec son mari et les autres soldats après la libération de Kyiv en 1943  | Photo: Archives d’Anna Havranová/Paměť národa

« C’étaient à la fois des Russes et nos soldats. Les Russes, ils avaient ces valenkis [chaussures d’hiver russes, traditionnellement en feutre, ndlr], et quand ils s’arrachaient une jambe ou se blessaient une jambe, tout le sang s’écoulait dans ces valenkis. C’était un travail très, très dur et il faisait froid. […] C’était très dur et... on devait couper les valenkis et ils étaient gelés, le sang était gelé, tout était gelé. C’était terrible. »

Věra Tichá, elle aussi infirmière au sein de l’unité militaire tchécoslovaque, est arrivée après la bataille et se rappellait en 2001 de l’accueil qu’elle avait reçu dans Kyiv libérée :

Věra Tichá | Photo: Paměť národa

« Nous avons roulé et roulé et puis nous avons vu cette immense lumière, et c’était Kyiv, c’était Kyiv en feu. Et si vous avez parlé aux gens de la libération de Kyiv, je suis sûr qu’ils vous ont raconté l’accueil incroyable à Kyiv. On était tous assis dans cette ambulance et on a tous pleuré. Y compris le docteur. Parce que ces gens s’agenouillaient devant nous et nous prenaient dans leurs bras. Je n’oublierai jamais la photo de ces vieux hommes à la longue barbe, agenouillés et tenant des icônes. C’était comme s’ils accueillaient une armée sainte. »

 Kyiv après la libération en novembre 1943,  rue de Kreshchatyk  | Photo: VHÚ

Bien qu’il existe des lieux de commémoration de cette bataille, comme monument dédié aux soldats tchécoslovaques morts lors des opérations militaires de 1943 inauguré  à Tcherniakhov en 2014 et un musée national commémorant la bataille de Kyiv de 1943, cette histoire est encore souvent méconnue des Ukrainiens de nos jours.