Les écrivains de langue allemande ont désormais leur « Maison » à Prague
A Prague, une nouvelle fondation littéraire vient de voir le jour : « La Maison littéraire pragoise des écrivains de langue allemande » est un projet qui a comme principal objectif de faire le lien avec la période pendant laquelle trois cultures, tchèque, juive et allemande, coexistaient dans la ville et s'influençaient mutuellement pour former ce qu'on appelle le « Cercle de Prague », dont Franz Kafka reste aujourd'hui le symbole.
Pour Lucie Cernohousova, il s'agit avant tout de rappeler aux publics tchèque et étranger que Prague et la Bohême ont été, à la fin du 19e et au début du 20e siècle le berceau de nombreux écrivains. Rencontres littéraires, débats et lectures sont déjà organisés, une bibliothèque devrait bientôt être ouverte et le projet doit être décliné sous forme multimédia sur un site internet en tchèque et en allemand.
« La maison littéraire pragoise des écrivains de langue allemande est une fondation qui s'est fixée pour objectif de rappeler au public et de faire revivre cette tradition littéraire allemande en Bohême, explique Lucie Cernohousova. Nous voulons insister sur le fait que ce n'est pas seulement Franz Kafka, mais qu'il y avait une centaine d'auteurs rien qu'à Prague. Malheureusement, deux tiers des Tchèques ignorent qu'une littérature allemande est née à Prague. Les gens connaissent Kafka, peut-être Werfel, mais il y en a bien d'autres, par exemple Rilke, Egon Erwin Kisch, Josef Mühlberger, Leo Perutz, Paul Leppin, Felix Weldsch et d'autres. Et puis celle qui est la dernière des écrivains pragois de langue allemande et qui a initié ce projet, Lenka Reinerova ».
Lenka Reinerova, une femme au parcours hors du commun. Née en 1916 dans une famille juive pragoise, son histoire personnelle est faite d'exil, d'internement, et de drames. A 91 ans, elle continue d'écrire - dans la langue de Goethe - et de dépenser une bonne partie de son incroyable énergie pour faire fonctionner ce nouveau projet :
« Pendant le Printemps de Prague, en 1968, un groupe d'intellectuels avait eu l'idée de créer à Prague un musée des auteurs qui écrivaient en langue allemande, pas seulement Kafka. Mais vous savez comment le Printemps de Prague a fini, donc nous n'avons pas pu réaliser cette idée. Quand Havel est arrivé au Château et que les circonstances ont changé, je me suis rappelée de cette idée et tout d'un coup j'ai constaté que j'étais la seule survivante de ce groupe. Je me suis dit qu'il fallait que j'essaie de le faire, et à mon grand plaisir cette maison de la littérature allemande de Prague - et de Bohême - existe maintenant. »
Vous avez finalement décidé de créer une Maison littéraire et pas un musée.
« Dans le développement de cette idée et après maintes discussions, nous avons décidé de ne pas faire un musée - parce qu'un musée est trop tourné vers le passé - et nous avons trouvé qu'à Prague il n'existait pas de maison pour la littérature, donc nous avons choisi ce titre. Un jour j'ai reçu une lettre d'une femme que je ne connaissais pas qui m'a écrit qu'elle possédait une bibliothèque de plus de 700 livres d'auteurs de Prague et de Bohême en langue allemande et qu'elle aimerait nous les donner comme fond pour notre maison de la littérature. Nous avons aujourd'hui les livres ici et ils ont une grande valeur, parce qu'il y a des livres très très rares de grands écrivains presque oubliés.
J'ai dû et voulu chercher des gens pour m'aider sur ce projet. La personne qui m'aide beaucoup et qui, j'espère, va continuer le projet, parce que moi j'ai déjà un certain âge, c'est Frantisek Cerny, qui était ambassadeur en Allemagne, connaît la littérature et a du temps - parce que moi je voudrais si possible encore écrire un peu... »
Les Tchèques sont-ils intéressés par cette nouvelle maison de la littérature ?
« La chose assez drôle est que, moi, j'ai maintenant des honneurs et même un titre, 'la dernière auteur écrivant en allemand à Prague', comme si c'était quelque chose d'exceptionnel, mais c'est la vérité, la réalité... Avec la presse tchèque c'est un peu difficile, elle a d'autres soucis - c'est une chose un peu tournée vers le passé et toute la façon de vivre est aujourd'hui différente - mais quand même, nous avons organisé trois ou quatre événements publics et il y a toujours eu beaucoup de monde. Cela nous a un peu surpris et naturellement c'est un grand plaisir. »