Les femmes maires : un malaise par rapport à la question du genre
En République tchèque, les femmes représentent 23% des maires. Souvent confinées aux communes de petite taille, leurs expériences et résultats échappent systématiquement à l’attention des médias. A une exception près : celle de la première femme maire de Prague, Adriana Krnáčová. Pour cette nouvelle édition de la rubrique Panorama, nous vous proposons de décaler le regard afin de découvrir plusieurs maires d’arrondissements pragois. Comment s’imposer dans un environnement réputé pour son chauvinisme ? Qu’est-ce que la politique au « féminin » ? Nous avons demandé à celles qui en font - ou pas d’ailleurs…
La représentation des femmes dans la politique tchèque fait penser à une pyramide sans sommet. Relativement présentes dans les petites et moyennes communes, elles sont plus rares dans les grandes villes et encore plus rares au poste de maire. Prague, par exemple, est dirigée par une femme pour la première fois de son histoire et cela seulement depuis octobre 2014. Plus on monte dans l’échelon politique, moins on y trouve de femmes. Ces vingt dernières années, la proportion des femmes députées a oscillé entre 15% et 22%. Les femmes ministres sont systématiquement en minorité, en 2011, le pays a même connu un gouvernement entièrement composé d’hommes. Aux présidentielles de 2013, deux femmes se sont portées candidates sans avoir de réelle chance d’accéder au second tour.
Concernant la politique locale, on se heurte en premier lieu à un manque de données statistiques. En 2015, l’ONG Forum 50%, qui soutient la présence des femmes en politique, a publié le premier rapport sur ce sujet. Si on se tient à la situation à Prague, le rapport nous apprend que sur les 57 mairies d’arrondissement, 14 sont dirigées par des femmes. Mais les chiffres ne peuvent pas tout dire. Radio Prague a contacté cinq maires pour qu’elles nous en disent davantage sur leur expérience avec la politique. Qui sont-elles ?
S’engager en politique pour changer son quartier
Pas des filles de, souvent les seules de leur famille à s’engager activement dans la politique, sans enfants ou avec des enfants déjà grands, avec un diplôme universitaire et une carrière antérieure à leur entrée en politique qui leur assure une certaine indépendance financière. Marta Koropecká, avocate sans étiquette politique, est en quelque sorte représentative. Originaire de la région de Vysočina, elle vit dans le quartier de Zličín au sud-ouest de Prague depuis plus de 30 ans. Interrogée sur les circonstances de son entrée en politique, elle explique :« Quand vous habitez un quartier, vous n’êtes pas indifférent à ce qui s’y passe. Progressivement, vous arrivez à la conclusion que pour pouvoir changer des choses, il faut participer à la prise de décision. A l’époque, mes enfants avaient suffisamment grandi, en plus, j’avais autour de moi des personnes avec la même envie de transformer le quartier, c’est avec eux que nous avons constitué notre première liste. »
Jana Plamínková, elle, est maire de Slivenec, un arrondissement périphérique de Prague d’un peu plus de 3000 habitants. Géologue de profession, elle a été invitée sur la liste électorale par son ami et collègue de travail. Avant d’être élue maire pour le parti des Maires et des Indépendants, elle a passé huit ans au conseil municipal. En 2014, sa liste a été élue avec 99% des voix disposant ainsi de la totalité des sièges. Sa décision d’entrer en politique a été motivée par l’état dans lequel se trouvait son arrondissement :« Auparavant, notre arrondissement était mort. Les gens s’en servaient comme d’un dortoir qu’ils quittaient le matin pour se rendre au travail et où ils revenaient le soir après leurs sorties au centre-ville. Il n’y avait pas d’associations de riverains. Et quand ils demandaient un terrain de jeu pour les enfants, la mairie cherchait toutes les raisons possibles pour ne pas accéder à leur demande. Je me suis dit que ça suffisait, qu’il fallait commencer à bâtir à Slivenec et Holyně une société civile. »
Vladislava Hujová, originaire de la Bohême du Nord, vit depuis 1982 à Žižkov, le 3e arrondissement de Prague. Économiste de formation, elle a travaillé dans le secteur privé pendant vingt ans. Le contexte politique des années 2008 et 2009 lui a fait changer de voie :« En 2009, le parti TOP09 a été créé et j’ai salué cette initiative. J’ai toujours été une électrice de droite mais la conduite politique du Parti civique démocrate au gouvernement me dérangerait de plus en plus. A l’époque, on était en pleine crise politique, le cabinet est tombé en pleine présidence tchèque de l’UE. Compte tenu de mon expérience professionnelle, j’ai décidé de me lancer en politique. Je n’avais pas l’ambition de devenir maire, j’aurais accepté n’importe quelle fonction qui m’aurait été assignée. »
Un style politique « féminin » ?
Un style politique « féminin » est parfois revendiqué par les femmes candidates. Présenté comme vertueux, il est censé leur apporter des points politiques. Qu’en est-il de l’opinion des maires interrogées ? Un style politique féminin, existe-il ? La plupart répond par l’affirmative, notamment Jana Plamínková de Slivenec :« Les femmes se concentrent beaucoup plus sur le fond des problèmes. Je le vis également en tant que conseillère municipale à la mairie de Prague, où les hommes sont en compétition permanente et jouent des tas de jeux stratégiques. A mon avis, les femmes sont meilleures en politique locale car ce qui leur importe le plus c’est la résolution du problème. Leur objectif est d’augmenter la qualité de vie pour tous dans leur quartier. »
L’expérience de Marta Koropecká de Zličín illustre la différence des priorités qui peut survenir entre les hommes et les femmes au conseil :
« Les femmes sont très travailleuses et ont un sens du détail. Elles ont aussi des sensibilités spécifiques. Moi-même étant mère et grand-mère, je comprends le caractère urgent d’avoir une école maternelle et une école dans le quartier. En revanche, beaucoup d’hommes au conseil considèrent que la priorité serait de réparer les vestiaires sur notre terrain de foot. En fin de compte, il faut de la coopération avec tout le monde. Ces hommes sportifs représentent un contrepoids par rapport à mon point de vue. »Quant à leurs priorités, la maire de Žižkov a fait de la lutte contre les machines à sous et les casinos sa priorité numéro un. En quelques années, l’arrondissement est passé d’une centaine d’endroits à six casinos autorisés. Les autres maires insistent à leur tour sur l’accroissement de la capacité d’accueil des écoles dans leurs arrondissements. Cette thématique a même été la raison de l’entrée en politique de Daniela Rázková du 12e arrondissement pragois situé au sud-est de la ville.
Cette chrétienne-démocrate, diplômée en culturologie, est fondatrice d’une école maternelle de type familial et d’un centre maternel. Elle a composé sa propre liste électorale quand elle a senti que l’existence de ses établissements était menacée. Dans l’exercice de son mandat de maire, elle a appris à s’approprier non seulement les questions d’éducation et de politique sociale, mais aussi des dossiers techniques, car, comme elle le souligne, en tant que femme, il est nécessaire de maîtriser les dossiers techniques pour être partenaire des hommes lors de la prise de décisions.Son homologue de l’arrondissement voisin, Kunratice, suit son conseil en pratique. Élue pour le mouvement « Kunratice », Lenka Alinčová, diplômée de l’école de chimie, gère les relations de propriété, l’immobilier, le plan territorial et la construction. Pragoise d’origine, Lenka Alinčová considère que les femmes maires ont fait des écoles maternelles leur priorité non parce qu’elles sont femmes, mais parce qu’elles gèrent les arrondissements périphériques qui manquent de ce type d’infrastructures en général. Si elle refuse l’existence des priorités ou d’un style politique « féminins », son expérience _personnelle témoigne tout de même de la difficile conciliation de la vie privée et professionnelle pour une jeune mère active en politique :
« Si je pouvais revenir en arrière, j’aurais voulu faire de la chimie plutôt que de la politique. A l’époque, j’avais deux enfants qui étaient souvent malades et j’ai dû trouver un autre emploi et c’est comme ça que j’ai commencé à travailler à la mairie. Mais c’est une perte totale de vie privée, il n’y a plus de dimanches ou des jours de congés. Ça aurait été mieux pour mes enfants, si j’avais attendu encore quatre ans avant de me lancer en politique. »Les causes de la sous-représentation des femmes en politique
En politique, les femmes ne semblent pas être traitées avec une courtoisie particulière. A Zličín, les résultats des dernières élections ont été attaqués deux fois en justice. Le scandale impliquant Vladislava Hujová de Žižkov a fait la une des journaux pendant quelques jours en 2014, la candidate au poste de maire a dû expliquer l’addition d’un déjeuner luxueux pour six et les reçus des vêtements de marque payés par la caisse de la mairie.A quoi est due la sous-représentation des femmes en politique ? Tout en refusant de commenter le nombre peu élevé des femmes maires à Prague, certaines maires interrogées estiment qu’il s’agit d’un manque d’ambition de la part des femmes et qu’elles sont peut-être plus sensibles que les hommes aux attaques personnelles. Pour Jana Plamínková, les femmes ne visent pas les hauts échelons politiques car elles anticipent une frustration face à la machine politique :
« Les femmes maires d’arrondissement, habituées à apporter des solutions, sont dissuadées de se porter candidates au conseil municipal de Prague. C’est un environnement frustrant et pas du tout constructif. J’en souffre moi-même. Nous avions eu du mal à constituer la liste électorale des Maires et des Indépendants, les femmes nous disaient ‘bon, d’accord, inscrivez-moi sur la liste, mais que ce soit en bas, car je ne veux pas y aller’. A vrai dire, leur attitude ne m’étonne pas du tout. »
Etant donné que la plupart des maires sont issues des partis de droite et/ou conservateurs, elles refusent, à des degrés variés, les mesures pour faciliter l’entrée des femmes en politique, surtout les quotas. De manière laconique, Lenka Alinčová résume :« Je suis contre le féminisme, je ne suis pas féministe. Je pense que chacun doit se battre pour avoir sa place et que ça marche. »
Daniela Rázková constitue une remarquable exception. Ayant même coopéré avec le Forum 50%, elle estime que les femmes n’accèdent pas à des postes de pouvoir, notamment au sein de son parti, car elles ont été éduquées avec la notion de « service » et que c’est ce service qui les « asservit ». Partisane des quotas malgré le refus de son parti, Daniela Rázková estime que l’opposition qu’affichent certaines femmes politiques à l’égard de ces mesures relève plus d’un calcul stratégique :
« Les femmes qui disent qu’elles n’ont pas besoin de quotas savent très bien que les hommes ne veulent rien entendre à ce sujet. Je suis prête à voter pour les quotas même si mon parti les refuse car les femmes ne savent pas s’imposer. Moi-même, je n’ai pas demandé à devenir maire. Quelqu’un me l’a proposé et j’ai accepté. Néanmoins, par pragmatisme, j’ai ravalé mon opinion et je préfère ne pas provoquer les hommes, pour la plupart strictement opposés aux quotas. Désormais, je soutiens les femmes en pratique. J’apporte mon soutien et mes conseils aux femmes compétentes. »Une fois élues, les femmes politiques sont constamment amenées à faire des choix et à faire le tri dans leurs priorités à l’image du choix entre une école maternelle et un terrain de foot. Elles affirment toutes viser un budget équilibré qui profite de manière égale à tous les habitants. Néanmoins, aucune mairie n’élabore un budget sensible au genre et n’emploie une personne chargée de l’égalité des sexes. La signature de la Charte européenne de l’égalité entre les femmes et les hommes dans la vie locale n’est pas non plus à l’ordre du jour. En revanche, tout débat semble bloqué sur la question des quotas. Si leur refus ferme laisse entrevoir, pour certains, un calcul stratégique, d’autres ne se cachent pas de cultiver l’aspect exceptionnel d’être la seule femme dans le groupe. Défendre les quotas malgré la politique officielle de son parti et apporter son soutien aux autres femmes ayant des ambitions politiques, est une attitude qui fait exception.