Les filles des prisonniers politiques des années 1950 témoignent

Libérer la parole et transmettre la mémoire. Un travail douloureux mais nécessaire entrepris par dix étudiants de l’Ecole de cinéma tchèque, la FAMU, qui, depuis le printemps 2007, sont allés recueillir les témoignages des femmes et des filles de prisonniers politiques des années 50. Avec pour but ultime un documentaire dont la confection est coordonnée par la documentariste tchèque Hana Třeštíková.

Le point de départ de ce futur documentaire, c’est la thèse de Jana Švehlová, qui vit aujourd’hui aux Etats-Unis. C’est elle qui, en tant que fille de prisonnier politique, est allée, dans les années 1990, à la recherche de ces femmes qui ont longtemps porté le sceau de l’infamie dans la société tchécoslovaque sous le communisme. Petites, elles ont toutes été ostracisées dans le premier lieu d’intégration de l’enfance : l’école. Désignées comme « fille d’un ennemi de l’Etat », beaucoup d’entre elles ont souffert toute leur vie d’un manque de confiance en soi, comme l’explique Jana Švehlová :

« La majeure partie d’entre elles n’a pas pu aller à l’université. Celles qui ont eu la chance d’aller au moins au lycée, ce n’était jamais dans celui qu’elles auraient voulu. Beaucoup d’entre elles n’ont fait que huit ans d’école. Je ne dis pas que tout le monde doit faire de grandes études. Mais il y a une différence entre ne pas vouloir faire d‘études et vouloir en faire mais ne pas avoir le droit… »

Jana Švehlová et Věra Pytlíčková
Trente-sept femmes ont accepté de témoigner dans le documentaire en construction. Des témoignages forts. Une parole qui, pour certaines femmes, sortait souvent pour la première fois. Jana Švehlová :

« Ce que l’on pourra voir dans le documentaire, le fait qu’elles acceptent de parler, c’est déjà une partie du processus de guérison. Elles voient d’un coup que quelqu’un s’y intéresse. Elles ont longtemps entendu que leur histoire n’intéressait personne. Parfois elles gardaient le silence, pensant qu’effectivement les gens n’en avaient rien à faire. »

Pas de témoignages d’hommes dans ce futur documentaire. Car bien sûr il y a des fils de prisonniers politiques. Plusieurs raisons à cela, expliquent les auteurs du projet. Le fait que les femmes soient plus promptes à parler que les hommes est le point de départ du travail de Jana Švehlová, qui ajoute :

« J’ai travaillé sur les femmes parce que je savais qu’elles pourraient s’identifier à leurs mères. Elles-mêmes ont grandi par la suite, se sont mariées et ont eu des filles parfois. Je voulais aussi savoir comment ça continue. Et puis, dans ce pays, la société reste très patriarcale. »

Veronika Janečková
Veronika Janečková est une des étudiantes qui est allée filmer les témoignages de ces femmes :

« C’est extraordinaire de voir que ces femmes ont réussi à s’en sortir malgré tout et avec leurs propres forces. Elles l’ont fait avec courage et trouvent même la force d’en parler. Ca me fait comprendre que rien de ce qui m’arrive n’est si terrible, il n’y a rien que je ne puisse faire. Elles ont vécu pire et elles ont réussi à s’en sortir quand même… »

L’objectif à terme est de distribuer le documentaire comme support pédagogique aux professeurs, qui de leur propre aveu, manquent cruellement de documentation sur ce passé proche. Les auteurs du projet espèrent déjà pouvoir envoyer une première version brute des témoignages dès la rentrée scolaire 2008. Le documentaire, lui, devrait sortir pour l’anniversaire des vingt ans de la révolution de Velours, en novembre 2009. En attendant, c’est le site web www.enemysdaughters.com ou www.dcery.cz qui peut servir de plateforme de témoignage, d’échange et d’information.