Les grands procès

Klement Gottwald
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Il y a quelques jours, 100 ans se sont écoulés depuis la naissance du premier Président communiste, Klement Gottwald. Une occasion de rappeler les grands procès qui ont eu lieu à l'époque.

A la fin des années 40, peu de temps après la prise de pouvoir par les communistes, commence, en Tchécoslovaquie, une vague brutale de grands procès. On connaît le procès de Rudolf Slansky, 1er secrétaire du Parti et devenu le symbole de l'épuration politique. Mais l'épuration concerne l'ensemble de la population et ses mobiles sont variés.

Le mois de novembre 1952 est, en Tchécoslovaquie, celui de la dernière audience devant la Cour d'Etat. Une audience particulièrement importante puisqu'elle aboutit au jugement de 14 hautes personnalités du régime. Le procès se tient au palais de justice de Pankrac. A la fin, Klement Gottwald, le président tchécoslovaque, prononce une sentence brève et laconique : il y aura, selon ses propres mots, «11 cordes et 3 perpètes». Pourquoi Gottwald a-t-il fait condamner ces membres du PCT, tous proches et pour certains amis personnels ? Gottwald connaissait ainsi particulièrement bien Rudolf Slansky, son collaborateur et son bras droit depuis 25 ans. On a d'ailleurs retrouvé une lettre que Gottwald écrivit à Staline, au milieu de l'année 1951, et dans laquelle il disait se sentir en partie responsable des «égarements politiques» de Slansky. La lettre ne fut cependant jamais envoyée. Ayant trahi ses amis, Gottwald semble en avoir conservé un certain sentiment de culpabilité et il mourra en mars 1953, quelques jours après l'enterrement de Staline et après avoir sombré dans l'alcoolisme.

Quelques questions restent en suspens : Gottwald aurait pu ne pas recourir à la peine capitale et même utiliser son droit constitutionnel de grâce, comme cela avait été promis à certains accusés, pour leurs services rendus au Parti. Pourquoi ne l'a-t-il pas fait ? La réponse est simple : tout est décidé depuis Moscou et la marge de manoeuvre du président tchécoslovaque est nulle.

Ce constat n'excuse pas Gottwald, qui connaissait parfaitement l'innocence des accusés. Il était aussi au courant des réticences de Slansky à avouer. Celui-ci avait même menacé de se rétracter après que la Cour ait soi-disant révélé qu'il fut, pendant la guerre, directement à l'origine de la mort d'un camarade. Le conseiller soviétique avait élaboré ce chef d'accusation afin de prouver la «déchéance morale» de l'accusé.

Les procès des années 49-52 sonnent comme une répétition de ceux des années 30 en URSS, sauf qu'ils se déroulent cette fois-ci à l'échelle du bloc soviétique. Certains historiens ont expliqué cette 2ème vague de procès par la volonté du Kremlin de lancer une grande mobilisation idéologique afin de masquer les carences économiques et d'anticiper toute routine qui favoriserait l'expression des mécontentements.

D'autres y voient les effets de la paranoïa grandissante d'un Staline vieillissant et malade. C'est peut-être sous cet angle que l'on peut, en partie, expliquer le retour d'un antisémitisme d'Etat. Car celui-ci est bel et bien au coeur des procès politiques qui se déroulent en Tchécoslovaquie et ailleurs. Rudolf Slansky était lui-même Juif.

Dans le livre d'Antonin Liehm, «Trois Générations», Edouard Goldstücker évoque les insultes antisémites auxquelles il avait dû faire face durant sa détention. L'accusation sommaire de «nationalisme juif bourgeois» prenait sa place à côté de celle de «nationalisme bourgeois slovaque», etc. Nous reproduisons ici l'extrait d'une interview que Goldstücker a accordé à l'université de Washington. Il était interrogé sur la motivation antisémite des grands procès :

«L'antisémitisme d'Etat est l'une des clés qui permet d'expliquer les procès. Staline était déçu par l'attitude d'Israël, qui échappait à sa sphère d'influence. Quand Israël envoya sa première représentation diplomatique à Moscou, avec Golda Meir comme ambassadrice, la délégation fut accueillie par des représentants de la communauté juive d'URSS. Staline aurait ressenti cela comme un affront et une preuve de l'absence de patriotisme des Juifs russes. Quelques temps après, il demandait discrètement au gouvernement israélien de rapatrier Golda Meir. Aussitôt après son départ, commença en URSS une entreprise de destruction de la vie culturelle juive. Deux ans plus tard commençaient les grands procès, pour lesquels une ligne antisémite avait été décidée pour les plus hautes instances.»

Bien sûr, l'épuration n'a pas touché que les dirigeants du Parti. Les procès politiques ne sont que l'illustration spectaculaire d'un processus général d'épuration où la main de Moscou est omniprésente. Il ne faut pourtant pas négliger l'initiative du régime tchécoslovaque lui-même dans certaines mesures. Ainsi la décision de lancer le «plan B» en 1950-51. Celui-ci consistait à confisquer aux adversaires du régime leurs appartements et à les déplacer de la ville à la campagne, dans les régions frontalières vidées de leurs habitants allemands après la guerre. Les appartements étaient donnés à des gradés de l'armée et des forces de sécurité.

De l'étude des archives du Comité Central, entreprise par Karel Kaplan, il ressort que très peu de familles tchécoslovaques ont été épargnées par les procès. L'arbitraire avait bel et bien frappé la population tchécoslovaque dans son ensemble. Autre constat étonnant et en contradiction avec l'idéologie du régime : la plupart des victimes étaient des ouvriers, des artisans ou des agriculteurs, bref des travailleurs. Pour de nombreux intellectuels communistes, les grands procès ont créé une rupture. Ils avaient jusque là soutenu, parfois aveuglément, le régime. Désormais, ils entament une longue auto-analyse, qui aboutira au Printemps de Prague la décennie suivante.