Les grottes de Koněprusy désormais numérisées et cartographiées en 3D
Plus grand réseau de grottes de Tchéquie, les grottes de Koněprusy près de Prague viennent d’être numérisées et cartographiées en 3D. Site géologique majeur, ces grottes ont également abrité une trouvaille archéologique de premier plan : c’est là qu’a été mis au jour le crâne fossile de Zlatý kůň dont une reconstitution faciale vient d’être réalisée par une équipe d’anthropologues.
Repère de faux-monnayeurs au Moyen Age, les grottes de Koněprusy, à 40 km au sud-ouest de Prague, sont aussi un lieu de prédilection pour les chauves-souris qui y trouvent volontiers refuge. Cet immense ensemble karstique à trois étages s’est formé il y a des millions d’années et est particulièrement apprécié des spéléologues : c’est pour eux, notamment, que des scientifiques ont récemment réalisé la toute première carte numérique en 3D de l’ensemble du système cavernicole.
Jiří Šindelář est un des géoinformaticiens qui a travaillé sur le projet :
« Sur la carte on voit l’étage supérieur, le grand étage intermédiaire, l’étage inférieur. En zoomant sur les différentes parties, on peut étudier, par exemple, les fissures et la façon dont les différents espaces de la grotte se sont formés. On voit aussi la connexion entre l’étage inférieur et l’étage intermédiaire. Jusqu’à présent, il n’existait pas de carte précise de ces espaces. »
Pour réaliser ce modèle 3D d’un réseau de 2 km de long, il faut imaginer un travail qui, par moments, n’est pas loin de l’acrobatie et qui n’a rien de facile :
« Imaginez que vous deviez scanner un espace où votre tête tient à peine. Vous êtes suspendu à une seule corde à une hauteur de trente mètres, vous n’avez vraiment pas envie de tomber, mais en même temps vous devez pivoter en montant et en descendant… »
Cette carte 3D numérique permettra de réaliser une maquette des grottes de Koněprusy que les visiteurs pourront venir voir dès l’an prochain. Et en attendant elle peut servir également aux spéléologues et scientifiques pour mieux appréhender les espaces qu’avec une carte classique : elle permet de voir comment les choses se présentent dans leur contexte, quelles sont les connexions entre les différents passages, et de prévoir aussi d’autres recherches spéléologiques en étant mieux préparés.
Au-delà, la carte 3D devrait servir aussi à mieux comprendre comment des restes humains ou de faune ont pu se retrouver à tel ou tel endroit, pourquoi et dans quelles conditions.
Le caractère unique du crâne de Zlatý kůň
C’est d’ailleurs dans une des cavités des grottes qu’a été mis au jour dans les années 1950 un crâne fossile qui n’a révélé une partie de ses secrets que très récemment. Le crâne de Zlatý kůň, qui était celui d’une femme préhistorique, a longtemps été daté à 15 000 ans avant notre ère. Soumis à des analyses génomiques à l’Institut Max-Planck d'anthropologie évolutionniste à Leipzig, il a finalement fourni le plus ancien génome humain moderne.
Cette découverte bouleverse notre perception de la présence des premières populations d’hommes modernes en Europe et en Eurasie, comme le rappelait en 2021 sur notre antenne le paléoanthropologue Jean-Jacques Hublin, directeur du département Évolution de l’homme de l’Institut Max-Planck :
« Zlatý kůň est sorti de son purgatoire parce que des collègues tchèques qui s’intéressaient au site et à ce fossile, ont voulu réétudier ce crâne de manière anatomique. Ils ont pris contact avec un de mes collègues à l’Institut Max-Planck, Johannes Krause et lui ont demandé si, en même temps, on ne pourrait pas vérifier s’il y avait de l’ADN conservé dans ce crâne. Johannes Krause et son équipe ont travaillé sur ce crâne qui contenait bien de l’ADN. Or l’ADN a fourni une indication d’âge beaucoup plus ancienne que ces 15 000 ans établis il y a longtemps. Soudain, Zlatý kůň est revenu sur le devant de la scène. On a réalisé qu’il appartenait à un ensemble de populations qui représente les premiers Homo sapiens, les premiers humains comme vous et moi, qui ont peuplé l’Europe il y a plus de 45 000 ans et qui ont remplacé l’Homme de Neandertal. »
Une première reconstitution du visage possible de la femme de Zlatý kůň avait été réalisée il y a quelques années, omettant, faute de ces nouvelles connaissances, une pigmentation sombre de sa peau : récemment, une équipe de scientifiques dont faisait partie le concepteur 3D brésilien Cicero Moraes, à l’origine de la reconstitution du visage de Toutankhamon, a proposé une nouvelle représentation de cette femme préhistorique, plus conforme à l’apparence qu’a pu avoir cette femme. Jiří Šindelář a aussi participé à ce projet :
« Son visage était robuste. Nous l’avons comparée avec trente autres individus, dont la datation a été estimée entre de 35 000 à 45 000 ans, et il s’est avéré que, par rapport aux autres, cette femme avait un cerveau vraiment gros, je dirais même énorme, et une mâchoire très robuste, qui ressemble davantage à celle d’un Néandertalien. »
Un constat qui n’est guère surprenant puisque l’on sait qu’il y a eu des phénomènes d’hybridation entre Neandertal et Homo sapiens, lors d’une des multiples sorties de l’Afrique de ce dernier, avant qu’il ne finisse par remplacer définitivement toutes les formes d’hominidés archaïques autre que lui. C’est d’ailleurs les restes d’ADN néandertalien contenus dans le crâne de Zlatý kůň qui ont été déterminants pour la nouvelle datation de ce fossile unique.