Les inspirations vénitiennes

Poète Petr Kral, photo: CTK

"La ville des doges ne nous enrichit, en somme, qu'à ramener constamment ses richesses aux fluctuations d'une même substance mate ; à révéler derrière leur luxuriance la discrète persistance d'une unité, quitte à y dissoudre, pour finir, nos propres contours. Le souffle du monde, à Venise, se fait plus grisant de seulement nous traverser, le vertige nous vient de l'indistinction même où se noie ici toute forme particulière, comme une simple variation d'un thème général sans cesse reconduit." C'est par ces mots que le poète Petr Kral évoque le célèbre ville italienne dans un livre intitulé Aimer Venise. Je me suis entretenu avec lui sur son livre et sur les charmes de la Perle de l'Adriatique.

Poète Petr Kral,  photo: CTK
Combien de temps avez-vous passé à Venise?

"Mais je ne sais pas exactement parce que à une époque j'allais à Venise très régulièrement. Presque tous les ans. Il y avait un festival du cinéma muet, ce qui va bien avec Venise, à Pordenone, à une soixantaine de kilomètres de Venise. et je ne manquais jamais l'occasion de m'arrêter à Venise, ne serait-ce que pour 48 heures."

Est-ce qu'il y avait une grande différence entre Venise imaginaire, Venise que vous imaginiez avant de venir, et la Venise réelle?

"Non. Je ne pense pas. Je crois même que c'est une ville ou ça coïncide d'une façon tout à fait exceptionnelle, les deux. Et j'avais peu de préjugés. Je savais que c'était une ville qui faisait rêver et en arrivant rien ne pouvait démentir cette impression. C'était une ville qui faisait rêver. Maintenant, ça s'est peut-être relativisé, parce que vous pouvez avoir un Mac Donald's à Venise, ce qui bloque un peu la rêverie. Heureusement, il n'y en a qu'un, donc si vous le contournez, si vous allez un peu plus loin vous pouvez retrouver les brumes salutaires et le silence salutaire qui nous manque d'ailleurs ici ce soir et qui sont propices à la rêverie."

Dans votre livre vous parlez de cette Venise réelle ou de cette Venise rêvée?

"Mais je crois que cela se mélange, parce qu'à Venise vous percevez chaque geste simple avec un acuité inattendue, parce qu'à Venise le fond est différent, il n'y pas de voitures, alors chaque geste prend de l'importance, devient symbolique de quelque chose, se dépasse lui-même, et en même temps les choses rêvées sont inscrites dans les façades et dans les objets, et la ville n'arrête pas de rêver d'elle-même."


"Malgré la brièveté de nos séjours ici, dit Petr Kral dans son livre, nous ne quittons pas Venise sans y laisser d'empreintes. A chaque fois que nous y retournons, un peu plus de notre existence se mêle à sa trame même, les souvenirs de nos visites successives retracent en raccourci toute notre histoire."


Qu'est ce que Venise représente pour vous personnellement ? Est-ce c'est cette ville riche, cette ville d'art, la ville de Canaletto et de Guardi, où c'est plutôt la ville de la décadence, la ville de Wagner, de Thomas Mann?

"Il y a ça, mais pour moi, essentiellement ... Enfin, il y a le décor, le fabuleux décor de Venise avec tous les souvenirs qui en font partie, mais il y a aussi la vie quotidienne. C'est à Venise où j'ai vu dans les boutiques et dans les magasins les Italiens en train de faire leurs spaghettis eux-mêmes et que j'ai pu, grâce aux décors qui les entourent, sentir les gestes les plus simples comme des gestes de fable. Donc, il y a un va et vient entre les deux, entre les décors d'opéra, si vous voulez, où cette espèce de gondole que toute la ville forme avec tous ses palais, et la simplicité des gestes de tous les jours, mais qu'on peut encore apprécier à Venise, qui ne se sont pas encore perdus dans la masse grise des grandes villes. Bon bref, ce qui partout ailleurs menace, et ce qui commence déjà à Mestre, n'est-ce pas, la ville à laquelle Venise est attachée administrativement."

Est-ce qu'il y a une comparaison possible entre Venise et Prague?

"Oui, lointaine, mais quand même. Déjà, les deux villes font partie des villes grises, des villes grises au sens profond, métaphysique du terme, il n'y en a pas tellement, il y en a cinq ou six à ma connaissance. A Prague et à Venise, la vie s'adoucit quand il pleut. Ce n'est pas le cas dans toutes les villes, il y a des villes où la pluie est gênante au contraire, elle déclenche une espèce de folie, je pense à Barcelone par exemple. Non, Venise, comme Prague ou comme Lisbonne, est une ville où la pluie vous calme et vous réconcilie avec le monde."