Les joyaux de la couronne de Bohême ne cessent de fasciner
Pour la douzième fois seulement depuis 1918, année de la fondation de la Tchécoslovaquie, les joyaux de la couronne de Bohême ont été sortis de la chambre du trésor au Château de Prague pour être exposés, du 10 au 19 mai, au grand public. Quelle est l'histoire de ces joyaux dont l'origine remonte à 1346 ? Qu'est-ce que l'opération « KFC » réalisée à la veille de la Seconde Guerre mondiale en vue de sauver les joyaux ? La couronne royale est-elle dotée d'un code secret ? Des réponses dans ce magazine historique de Radio Prague :
« Le trésor a été continuellement agrandi. A l'origine, il y avait la couronne royale commandée par Charles IV en 1346 pour son couronnement. Parallèlement à la fabrication de la couronne, Charles a promulgué un décret de couronnement des rois de Bohême, document qui fournit un témoignage unique sur le déroulement de la cérémonie et du sacre. Encore de la vie de Charles IV, l'ornement de la couronne a été modifié plusieurs fois. »
Ornée de 96 pierres précieuses, parmi lesquelles des rubis, des saphirs, des émeraudes et des spinelles, ainsi que de 20 perles, la couronne en or haute de 19 centimètres et d’un poids de 2,35 kilos a été portée pour la première fois par Charles IV lors de son couronnement en 1347 à Prague. Par sa forme, elle renoue avec la couronne des rois Přemyslides tout en étant inspirée de la couronne des rois de France, où Charles IV avait été élevé. Au sommet de la couronne se trouve une croix en or ornée d'un camée byzantin du VIIe siècle gravé de la figure du Christ crucifié. Plus anciens que le camée sont les saphirs taillés provenant de Ceylan, dont quelques-uns font partie des plus gros au monde. Le roi Charles IV a réuni toutes les pierres qui ornent la couronne dédiée à saint Venceslas, observe Eva Doležalová :« La couronne est dédiée au patron des Tchèques, saint Venceslas, souverain éternel sur le trône de Bohême dont le crâne en tant que sainte relique est gardé avec la couronne à la cathédrale Saint-Guy. La couronne n'était posée sur la tête du roi que le jour de son couronnement, elle était utilisée uniquement lors du couronnement des rois de Bohême. »
Outre la couronne de saint Venceslas datant de 1346, le sceptre et le globe d'or, dont l'origine remonte, elle, à 1532, le public a pu admirer également trois autres éléments du trésor. Eva Doležalová :
« Parmi ces objets, le manteau du couronnement datant du milieu du XVIIe siècle, en tissu de soie bordé d'hermine, l'épée de saint Venceslas du XIIIe siècle, qui est l'objet le plus ancien de la collection et qui est aussi directement liée à la cérémonie du couronnement. Ensuite, c'est une croix en bijoux des années 1370 que Charles IV, collectionneur passionné de reliques, a conçu comme une croix reliquaire destinée à abriter une épine de la couronne du Christ. La croix était apportée devant le roi et posée entre ses mains lors du couronnement en signe de son engagement vis-à-vis de l'administration du royaume de Bohême. »
Les pierres précieuses qui ornent la couronne de saint Venceslas proviennent du monde entier. Selon des spécialistes, chacune de ces pierres porte en elle une symbolique : numérique, de couleur et même une symbolique d'hermétisme. Les couleurs des pierres – le rouge, le bleu, le vert et le blanc, seraient l'expression directe des vertus du roi et de ses pouvoirs. La répartition des pierres par Charles pourrait être considérée comme une incarnation de sa vision de la Jérusalem céleste. De ce fait, on entend parfois parler du code Charles IV. L'énigme de la conception de la couronne et de sa symbolique reste toutefois encore entière.
De même que d'autres trésors, les joyaux de la couronne sont entourés de légendes. Selon l'une d'elles, si quelqu'un met la couronne sur sa tête sans autorisation, il mourra dans l'année. En a-t-il été ainsi pour le protecteur du Reich Reinhard Heydrich dont on raconte qu'il a eu l'audace de la porter devant ses enfants ? Eva Doležalová n'est pas de cet avis :
« Je pense que cette histoire selon laquelle Heydrich serait mort pour avoir osé toucher le symbole de la souveraineté tchèque appartient bien à la catégorie des mythes. Même s’il est sûr que la couronne a été sortie en sa présence, il n'existe aucune preuve que Heydrich l'a bien touchée de sa main. »Quelque peu éclipsée par cette histoire sans fondement est l'action « KFC » ; le nom d'une opération bien réelle qui s'est déroulée à la veille de la Deuxième Guerre mondiale, en septembre 1938. On écoute Andrej Šumbera, restaurateur des joyaux de la couronne :
« Il s'agissait d'une action top secret baptisée « KFC », qui est une abréviation de trois mots, en tchèque : « Klenoty Fantastické Ceny » – Joyaux de valeur fantastique. Des agents spéciaux ont été chargés par le président Edvard Beneš de transporter les insignes royaux dans une limousine ayant appartenue au président Masaryk dans la ville slovaque de Žilina où se trouvait alors le trésor de l'Etat. Or, quelques jours plus tard, la Slovaquie fascisante a proclamé son indépendance et il a fallu rapatrier les joyaux à Prague. On raconte que la limousine a rencontré des chars allemands sur le chemin de retour. C'était une opération bien dangereuse, mais il faut préciser que toute l'histoire des joyaux de la couronne est une longue aventure. C'est presque un miracle que les joyaux aient été sauvegardés. »Conformément aux dispositions de Charles IV, les joyaux de la couronne ne devaient jamais quitter la chambre du trésor édifiée à cette fin à l'intérieur de la cathédrale Saint-Guy. Or, le fils même de Charles IV, Venceslas IV, les avait déjà fait transférer au château de Karlštejn, dans l'espoir de mieux les protéger des conflits de pouvoir et des guerres hussites qui ont éclaté après sa mort. Au XVIIe siècle, les joyaux ont changé plusieurs fois d'adresse : de la cathédrale Saint-Guy, ils ont été déplacés à l'Hôtel de ville de la Vieille-Ville, puis même en dehors de Prague, dans la ville de České Budějovice. Depuis le milieu du XVIIIe siècle, ils sont entreposés dans la chambre du trésor, en dessous de la Porte d'or de la cathédrale, derrière une mosaïque représentant le Jugement dernier. Ferdinand Ier d'Autriche dit le Bon a été le dernier roi de Bohême à être couronné, en 1836, et a porté la couronne de saint Venceslas en la cathédrale Saint-Guy à Prague.