Les livres ont eux aussi leur concours de beauté

Photo: Milan Kuzica / Site officiel du Musée de la littérature tchèque

Nous considérons le livre surtout comme un moyen de diffusion de textes en oubliant parfois qu’il est aussi un objet esthétique, un objet d’art bien spécial. Cet aspect du livre, œuvre commune de l’illustrateur, du graphiste, du relieur et de l’imprimeur, a été mis en relief récemment par le concours « Les plus beaux livres tchèques de 2016 ».

Un jury international

Photo: Milan Kuzica / Site officiel du Musée de la littérature tchèque
250 ouvrages ont été présentés par 147 éditeurs l’année dernière au concours « Les plus beaux livres tchèques ». Ces chiffres témoignent de l’intérêt grandissant d’année en année qu’auteurs et éditeurs portent à cette compétition. Organisé par le ministère de la Culture et le Musée de la littérature tchèque, le concours permet à tous ceux qui prêtent une attention particulière à l’aspect esthétique de leurs livres de se détacher de la masse énorme de titres publiés chaque année en République tchèque, de sortir de l’anonymat, d’attirer l’attention de lecteurs et bibliophiles et de se présenter aussi aux salons dans le monde. Cette année, pour la première fois dans l’histoire du concours, son jury a été international. Selon Zdeněk Freisleben, le directeur du Musée de la littérature tchèque et un des organisateurs du concours, cela a donné au travail du jury un caractère plus objectif mais pas moins fervent :

« Les polémiques ont été très passionnées. Elles ont été menées en tchèque et en anglais, ce qui nécessitait d’autant plus de concentration de la part des jurés. J’ai même été surpris par l’ampleur des commentaires que les livres en lice ont inspirés aux jurés étrangers. Nous avons abondamment discuté, maintes fois modifié le classement des meilleurs livres, mais cela fait partie de notre travail. Les jurés sont souvent contraints de choisir entre deux livres vraiment excellents, et chacun d’entre eux a quelque chose d’original en plus. Et dans ce cas il est bien difficile de trancher. Décidez lequel des deux est le premier. »

Le journal intime d’un héros de l’air

Photo: Labyrint
C’est la graphiste allemande Jenna Gesse qui a présidé un jury composé d’historiens d’art, d’illustrateurs, d’éditeurs, de bibliophiles et d’autres spécialistes. Répartis en sept catégories, les livres présentés au concours étonnent par leur diversité. Dans la catégorie des belles lettres, le titre du plus beau livre a été décerné à une monographie très spéciale du pilote tchèque Otto Hanzlíček publiée aux éditions Labyrint. Auteur et éditeur de l’ouvrage, Matěj Hanauer est lié au héros du livre par des attaches familiales :

« Otto Hanzlíček était mon arrière-grand-oncle, et pratiquement toute sa succession est revenue à ma famille. J’ai donc été confronté à ces documents dès ma petite enfance. Mes parents me racontaient souvent son histoire. Nous lisions son journal intime et regardions les innombrables photos qu’il nous a laissées. Du coup, quand je suis entré à l’Ecole des arts et métiers, j’ai décidé de faire ce livre, parce que c’est une histoire incroyable. Pour moi, c’est une affaire personnelle mais c’est aussi une étape très importante de l’histoire tchèque. »

Le livre évoque à travers des photos en grand format et des textes du journal intime d’Otto Hanzlíček la vie de ce pilote de guerre qui, n’acceptant pas l’occupation de la Tchécoslovaquie par les nazis, est parti à l’étranger afin de pouvoir lutter pour la liberté de sa patrie. Il a combattu successivement en Pologne, en France, en Afrique et en Grande-Bretagne. Il a commencé à rédiger son journal au moment de son départ de la Tchécoslovaquie et ne l’a achevé qu’au moment de sa mort héroïque. Le lecteur trouve dans le livre aussi les commentaires de l’historien Jiří Rajlich et les textes des membres de la famille d’Otto Hanzlíček.

Le sport en tant que symbole dans les arts plastiques

Photo: Arbor vitae
Dans la catégorie des livres d’art, le jury a couronné un grand volume qui reflète de manière originale les interférences entre le sport et les arts plastiques. Intitulé « StArt. Le sport en tant que symbole dans les arts plastiques », le livre réunit d’innombrables illustrations ainsi que des études historiques de plusieurs auteurs. La maison d’édition Arbor vitae societas a confié le travail d’édition de cet ouvrage publié en coopération avec le Comité olympique tchèque, à l’historien de l’art Rostislav Švácha. Ce dernier explique les intentions du collectif d’auteurs qu’il a réuni :

« Nous nous sommes concentrés sur la symbolique du sport. Il s’agit de deux ou trois choses importantes. Le sport peut être perçu comme un symbole de la modernité. Le football par exemple symbolise la modernité à partir de la fin du XIXe siècle. Puis il y a le problème de l’exploitation ou de l’abus du sport dans la politique, surtout au XXe siècle. Et enfin nous savons que le sport peut symboliser aussi la vie intérieure de l’homme, des états existentiels comme par exemple ‘la solitude du coureur de fond’. C’est à cet aspect que nous consacrons donc le dernier chapitre de notre livre. »

Les autres catégories

'Les aventures du chien Hafan',  photo: Kudlapress
Les ouvrages distingués sont parfois tellement originaux qu’ils en perdent la forme du livre classique. C’est le cas, entre autres, du lauréat dans la catégorie des livres pour enfants, récompensé pour une série de cahiers intitulés « Les aventures du chien Hafan », publiée par la maison Kudlapresse. Les auteurs invitent le petit lecteur non seulement à regarder les illustrations et à lire les courts textes qui les accompagnent, mais aussi à prendre des crayons de couleur pour y ajouter ses propres dessins.

Parmi les ouvrages distingués figure aussi un guide assez spécial. Le livre, intitulé « Tabook Bedekr », est un guide du salon des petits éditeurs organisé chaque année dans la ville de Tabor, en Bohême du Sud. Le premier prix dans sa catégorie a été attribué à un catalogue d’exposition publié par la galerie Zdeněk Sklenář, et au palmarès figure également un livre d’auteur que le photographe et pédagogue Jindřich Štreit a intitulé « Kde domov můj » (Où est ma patrie), ce qui est le premier vers de l’hymne national tchèque. Le ministère de la Culture a attribué aux auteurs de chacun de ces livres une somme de 50 000 couronnes (quelque 1 850 euros).

Le livre tchèque dans le contexte international

Photo: Milan Kuzica / Site officiel du Musée de la littérature tchèque
Les plus beaux ouvrages sont exposés actuellement au château de Hvězda à Prague, où le public peut les voir, mais aussi les lire, les palper et les feuilleter à volonté. L’exposition est ouverte jusqu’au 28 mai prochain. Les plus beaux livres tchèques de 2016 seront présentés également au mois de mai à la foire « Le monde du livre » à Prague, puis à des salons prestigieux dans le monde. Quant à savoir si le livre tchèque peut rivaliser avec les beaux ouvrages étrangers, Zdeněk Freisleben répond sans hésiter :

« Je pense que oui. Cette année déjà, le livre de la Galerie morave a été distingué à la Foire du livre de jeunesse de Bologne. Dans le passé, deux ouvrages tchèques ont obtenu des prix dans des concours internationaux. Cela prouve que le livre tchèque occupe une très bonne place dans la production livresque internationale. Cette année nous exposons aussi la collection des plus beaux livres du monde, et même si nous les comparons avec notre production, nos livres s’avèrent très intéressants. Il me semble que les qualités du livre tchèque résident dans le fait qu’il est très créatif, très ludique. »