Les Lointains mystérieux

Photo: Arbor vitae
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Qu’est-ce que le symbolisme ? Ce mouvement artistique qui a déferlé sur l’Europe vers la fin du XIXe siècle est un phénomène riche et multiforme mais aussi vague et difficile à saisir. Le livre intitulé « Tajemné dálky/Symbolismus v českých zemích 1880-1914 » (Les Lointains mystérieux/ Le symbolisme dans les pays de la couronne tchèque 1880-1914) est une tentative remarquable de cerner ce phénomène dans les arts plastiques et de répertorier ses manifestations dans le milieu tchèque.

La spiritualité, l’imagination et la rêverie

Photo: Arbor vitae
Trois fées se sont penchées sur le berceau du symbolisme - la spiritualité, l’imagination et la rêverie. Comme plusieurs mouvements artistiques du XIXe siècle, le symbolisme est né en France et c’est Charles Baudelaire, auteur des Fleurs du mal, qui est considéré comme son père spirituel. Les artistes tchèques se montrent bientôt extrêmement sensibles à ce nouveau courant qui correspond à leur tendances intérieures, répond à leurs inclinaisons esthétiques et dérange les traditionnalistes par son originalité. En Bohême et en Moravie ce mouvement artistique donnera des fruits savoureux notamment dans les arts plastiques. Otto Urban, chef du collectif d’auteurs du livre « Les Lointains mystérieux » propose sa propre définition du symbolisme :

« La notion de symbolisme réunit la création des artistes bien différents les uns des autres comme par exemple, dans notre cas, Bohumil Kubišta, Maxmilián Pirner, Max Švabinský ou Otto Gutfreund. D’autre part, ces œuvres sont liées par leur idée, et c’est probablement la seule façon possible de définir le symbolisme. C’est un art spirituel qui s’inspire de la spiritualité de l’individu. »

Otto Urban,  photo: Jan Profous,  ČRo
Le symbolisme est un phénomène difficile à limiter par le temps parce que ses racines plongent dans le romantisme donc dans la première moitié du XIXe siècle et ses répercussions se font sentir encore aujourd’hui. Otto Urban explique pourquoi son livre ne couvre que la période allant de 1880 à 1914 :

« Ce sont les limites de la période à partir du moment où le symbolisme a fait son apparition dans le milieu tchèque et a atteint son apogée, jusqu’au début de la Première Guerre mondiale qui ne met pas fin à ce mouvement mais provoque un tournant essentiel dans l’histoire de la civilisation humaine à la suite duquel rien n’a plus été comme avant. C’est pour cette raison que nous avons choisi ces dates. »

Une fenêtre sur le monde

Antonín Hudeček,  'Psyché',  photo: La galérie nationale
Pour les artistes tchèques de la fin du XIXe siècle le nouveau courant est une fenêtre sur le monde, une porte qui leur permet de sortir de l’isolement et du provincialisme et de s’intégrer dans les milieux artistiques européens. Désormais l’art tchèque s’émancipe et cesse de jouer exclusivement le rôle patriotique qui en a fait un des piliers de l’identité nationale. Les artistes commencent à se considérer comme membres d’une communauté spirituelle internationale qui est supérieure à toutes les tendances nationalistes ou sociales. Ce thème est souvent évoqué par le poète, critique et plasticien Karel Hlaváček, figure de proue du symbolisme et de la décadence tchèques. Il exprime ses opinions hérétiques en 1896 dans un texte intitulé « Le nationalisme et l’internationalisme » reproduit dans le livre. Lui et ses confrères se considèrent comme des citoyens du monde et ne cachent pas leur intérêt profond pour la création des artistes de Paris, Londres, Berlin, Vienne, Bruxelles, Cracovie ou de Rome. Avec beaucoup d’énergie, ils nouent des amitiés et des contacts avec ces artistes qui leurs sembles proches et préparent le terrain aux futures avant-gardes tchèques qui pourront entrer tout à fait naturellement dans le contexte international. Ils ne négligent pas non plus la création de leurs confrères tchèques de langue allemande. L’historien de l’art Adam Hnojil, un des auteurs du livre « Les Lointains mystérieux » évoque ces tendances qui se heurtaient aux réticences des milieux patriotiques et traditionalistes :

Beneš Knüpfer,  'Invitation au jeu',  photo: La galérie nationale
« L’originalité de ce projet réside dans le fait qu’il met côte à côte, après une très longue période, des auteurs tchèques et allemands. Les symbolistes eux-mêmes, se considéraient comme cosmopolites. Cela leur était reproché d’ailleurs aussi par la critique de l’époque. Cette critique venant des milieux réalistes prenait pour cible le cosmopolitisme des artistes symbolistes. Pour les réalistes, comme par exemple pour Renáta Tyršová, le mot ‘cosmopolite’ était une espèce d’insulte. Les artistes réunis dans le livre ‘Les lointains mystérieux’ sont primairement cosmopolites ce qui est valable aussi pour l’espace tchéco-allemand. Après une longue période les auteurs tchèques et allemands sont donc placés ici dans le même contexte qui leur est propre. »

Un courant aux racines romantiques

František Bílek,  'L'ébahissement',  photo: La galérie nationale
Le symbolisme est perçu comme la continuation de certaines tendances romantiques et notamment celles vers l’individualisme de l’artiste-créateur. L’artiste symboliste est une personnalité élue et visionnaire qui est capable de voir et refléter le monde d’une façon différente de celle des gens réalistes. Pendant longtemps le symbolisme tchèque a été considéré comme un des courants de l’Art nouveau, comme une manifestation des tendances décadentes Fin de siècle. Otto Urban présente dans son livre le symbolisme dans les arts plastiques tchèques pour la première fois comme un phénomène à part, comme un mouvement important qui a laissé des traces dans la création des plus grands artistes tchèques du tournant des XIXe et du XXe siècles. Le lecteur trouve dans le livre une pléiade de peintres et sculpteurs qui ont acquis par la suite une renommée internationale, dont Alfons Mucha, František Kupka, Max Švabinský, Beneš Knüpfer, Jan Zrzavý, mais aussi des noms d’artistes moins connus et presque oubliés que les auteurs du livre lui permettent de redécouvrir. Parmi eux il y aussi les œuvres d’artistes tchèques de langue allemande comme Richard Teschner ou Ferdinand Staeger. Les auteurs du livre ont réuni une quantité considérable d’informations sur ces artistes et leur ouvrage peut donc être considéré comme un livre de référence. Adam Hnojil constate :

Jan Preisler,  'Le lac noir',  photo: La galérie nationale
« ‘Les Lointains mystérieux’ est un livre qui retrace le thème du symbolisme de façon encyclopédique. Otto Urban lui-même a déclaré que ce livre couvre ce thème dans son ensemble. Pour cette raison il a donné à cet ouvrage une forme encyclopédique. Le livre comprend des portraits des artistes, des anthologies de textes de l’époque, des textes explicatifs d’Otto Urban et aussi une importante partie iconographique remarquable parce qu’elle reproduit des œuvres de collections privées dont beaucoup encore inédites. »

L’ambition des artistes symbolistes est de marier dans leurs œuvres l’art et la vie, la beauté et l’harmonie, sans négliger pour autant les côtés sombres de l’existence, la douleur et la peur, et de créer ainsi une synthèse qui se reflèterait jusque dans le comportement humain. Selon Adam Hnojil, ils voulaient cependant aussi raconter par leurs tableaux et leurs statues des histoires, des récits, ce qui assure à leur art une audience même aujourd’hui, à l’époque postmoderne :

« Le symbolisme prend sa source dans le romantisme et il n’aurait pas beaucoup d’intérêt aujourd’hui si la société contemporaine n’aimait pas les récits. Cependant, la société postmoderne réhabilite le récit, le récit romantique qui est le grand thème du symbolisme. Nous pouvons dire en exagérant un peu que le symbolisme est un romantisme exalté. (…) Les symbolistes travaillent avec la catégorie du rêve, ils transgressent des tabous, leurs œuvres sont empreintes d’érotisme et tout cela, ce sont des thèmes qui ont été repris et, si j’ose dire, nouvellement reconstruits au XXe siècle. Et cela donne beaucoup d’inspiration aux artistes de notre époque. »

František Kaván,  'L'écoulement',  photo: La galérie nationale
Le livre « Tajemné dálky/Symbolismus v českých zemích 1880-1914 » (Les Lointains mystérieux/ Le symbolisme dans les pays de la couronne tchèque 1880-1914) est sorti en 2014 aux éditions Arbor vitae. Simultanément avec la parution du livre ses auteurs ont préparé une exposition d’œuvres symbolistes présentée d’abord à Cracovie, puis à Olomouc et actuellement à Prague.