Les mystérieuses histoires des carrières de calcaire de l’Amérique et du Mexique

La Grande Amérique, photo: Alžběta Tichá

Partons aujourd’hui à la découverte des carrières de calcaire appelées la Grande et la Petite Amérique et le Mexique, des carrières aux noms curieux qui se trouvent dans les envions de Beroun, ville située à une trentaine de kilomètres au sud-ouest de Prague. Décor du film culte « Joe la limonade » ou ancien camp de travail communiste pour les prisonniers politiques, ces carrières sont admirées non seulement comme des sites naturels exceptionnels, mais aussi pour leur atmosphère particulière.

Le « Grand Canyon tchèque »

La Grande Amérique | Photo: Alžběta Tichá,  ČRo
« Une région mystérieuse », « un pays maudit » ou, inversement, « un paradis sur terre » : c’est ainsi que les « tramps », autrement dit ces drôles de Tchèques vagabonds le temps de quelques jours qui dorment à la belle étoile autour d’un feu de camp, décrivent un de leurs lieux préférés – les carrières de calcaire situées aux alentours du village de Mořina. Guitare à la main, les « tramps » chantent de nombreuses chansons, comme par exemple celle du groupe F. T. Prim, sur le paysage magique de cette partie du Karst tchèque, située à quelques minutes en train de la capitale et du célèbre château gothique Karlštejn, ainsi que sur le système de galeries et de couloirs souterrains qui relie toutes ces carrières et attire l’attention d’une multitude de curieux depuis bien des décades.

La Grande Amérique,  photo: Štěpánka Budková
De ces trois carrières de calcaire, c’est indiscutablement la Grande Amérique, souvent désignée comme le « Grand Canyon tchèque », qui est la mieux connue et la plus fréquentée, notamment pour les vues panoramiques qu’elle offre. Longue de 800 mètres, large de 200 mètres et profonde de 100 mètres, cette carrière inondée est le fruit, comme ses deux petites sœurs, la Petite Amérique et le Mexique, d’une combinaison unique en son genre entre la nature et l’industrie. Officiellement interdites au public et propriétés privées, ces carrières que les touristes peuvent admirer du haut de terrasses panoramiques, possèdent une riche histoire. Géologue, géomètre souterrain et président de l’association Hagen qui s’efforce de protéger ces carrières, Karel Fous précise :

La Petite Amérique,  photo: Alžběta Tichá
« Ces carrières ont été créées en 1897. A l’époque, des mines de fer se trouvaient dans la commune voisine de Nučice. Le minerai de fer était transporté à Kladno, où il était travaillé et où le métal était fondu. Pour obtenir le fer, il fallait néanmoins ajouter dans le processus de la fabrication un élément servant à la création des scories, comme par exemple le calcaire à haut pourcentage qui se trouve justement dans nos carrières. Cette roche sédimentaire est exploitée aujourd’hui encore, même si ce calcaire n’est plus destiné désormais aux hauts fourneaux de Kladno, mais à la désulfuration des centrales thermiques. »

Une prison communiste

Une galerie souterraine inondée,  photo: Štěpánka Budková
Dans l’esprit des Tchèques, le lieu est néanmoins lié à d’autres événements, car une des carrières est devenue un symbole de la cruauté de l’ancien régime. Officiellement appelée Mexique, mais connue de nombreux comme le « Mauthausen tchèque », la carrière était un camp de prisonniers. Karel Fous poursuit :

« Pendant la guerre déjà, les Allemands ont utilisé cette carrière comme une prison pour les criminels pragois. Après la guerre, ce sont ces mêmes Allemands qui y ont travaillé comme prisonniers. Puis, entre 1948 et 1953, les communistes ont fait de cette carrière un camp d’internement des prisonniers politiques. Les conditions y étaient particulièrement dures. Il y avait des normes quant au nombre de chariots que les prisonniers devaient remplir de calcaire. Et comme il ne s’agissait pas de mineurs ou de personnes habituées à travailler la pierre, c’était pour eux très difficile. Quand ils ne remplissaient pas la norme quotidienne, ils ne recevaient que la moitié de leur ration de nourriture le lendemain. Et même ainsi, ils devaient continuer à remplir la norme et finir les chariots de la veille. »

Photo: Štěpánka Budková
Plus de deux milles personnes sont passées par ce camp-prison communiste lors de ses cinq ans d’existence, la plupart en sont sorties pour être transférées ailleurs, malades et brisées moralement. En 2004, les survivants y ont dressé un monument en hommage à tous ceux qui ont souffert dans le camp, un bloc de pierre haut de deux mètres avec un trou en forme de barreaux. Par ces barreaux symboliques, on peut ainsi regarder la carrière comme le faisaient les prisonniers…

Les carrières du Mexique avec le monument,  photo: Krokodyl,  CC BY-SA 3.0 Unported
Ce nouveau monument fait partie d’une piste touristique longue de trois kilomètres qui relie toutes les carrières des alentours. Cette piste démarre du village de Mořina, mène autour d’un ancien cimetière juif et de l’entreprise « Lomy Mořina », l’actuel propriétaire des carrières, jusqu’au village de Karlštejn, dominé par le château construit par le roi Charles IV dont on célèbre cette année le 700e anniversaire de la naissance. Dans le village, à côté de l’office de tourisme, il est possible aussi de visiter un musée de fortification légère dans lequel sont exposés des armes et autres équipements de la période qui a précédé la Seconde Guerre mondiale.

Hans Hagen, le Fantôme

Les carrières du Mexique,  photo: Miloš Turek
Les carrières de l’Amérique et du Mexique sont source de légendes. La plus connue raconte l’histoire d’un soldat SS dénommé Hans Hagen. Karel Fous raconte :

Une galerie souterraine,  photo: Štěpánka Budková
« Il s’agit d’un soldat allemand qui aurait dû y mourir. Depuis, son fantôme apparaît dans la carrière et, de temps à autre, fait disparaître quelqu’un. Malheureusement, cela ne reste qu’une légende. Sur internet, vous pouvez trouver la publication ‘Les légendes de l’Amérique’. Son auteur a recueilli et adapté les légendes racontées par les campeurs qui ont commencé à voyager dans la région dans les années 1960 et 1970. Et il a de facto créé le personnage de Hans Hagen qui nous hante depuis dans les galeries souterraines. »

Une journée de visite dans un tunnel de carrière. Les gens ont simulé le soldat légendaire Hagen,  qui est connu comme un fantôme local,  photo: Šjů,  CC BY-SA 3.0 Unported
Si Karel Fous nie l’existence de ce personnage, il est néanmoins possible de trouver sur internet des « témoignages » de ceux qui auraient rencontré Hans Hagen ou entendu parler de cette histoire par leurs ancêtres. Une autre légende relative aux carrières de Mořina est reliée à Hans Hagen, celle de son gong. Ce dernier, un rail pendu dans une galerie souterraine, devait servir à appeler les mineurs lors des pauses de travail. Selon la légende, on peut appeler le fameux fantôme en frappant trois fois sur ce gong. Dans les sous-sols de la carrière ne se trouve toutefois qu’une réplique, l’original étant exposé au musée de l’industrie minière créée dans les carrières de Solvay. Celles-ci sont situées à trois kilomètres seulement de la Grande Amérique et sont ouvertes au public.

Vraie ou fausse, qu’importe, cette légende de Hans Hagen est devenue un symbole des carrières de la Grande et la Petite Amérique et du Mexique, et représente une source d’inspiration pour les tramps qui chantent :

« M. Hagen j’y marche depuis une semaine,
Je cherche en vain votre maison,
M. Hagen j’ai un peu peur de vous,
Est-il une légende, la réalité ou ressemble-t-il à un rêve ? »

Un paradis pour les amateurs de randonnées

Une galerie souterraine,  photo: Štěpánka Budková
Ce personnage légendaire a donné son nom également à l’association Hagen, une organisation composée d’employés de l’entreprise Mořina qui s’efforce d’ouvrir au public ces couloirs souterrains un peu mythiques. Son président Karel Fous indique :

« Notre association a été créée afin de conserver l’histoire de cette industrie minière, car ce système de galeries souterraines, qui y a été construit pour l’exploitation du calcaire, ainsi que l’état dans lequel il est conservé, est unique en son genre en République tchèque. Notre objectif est donc d’essayer de maintenir ces couloirs et les technologies conservées da façon à pouvoir les rendre accessibles au public, y organiser des visites et présenter cette riche histoire de l’exploitation dans la région. »

Les chutes d’eau de Bubovice,  photo: Alžběta Tichá
Toutes ces carrières se trouvent dans la réserve naturelle de Karlštejn. Pour cette raison, ces lieux sont également très appréciés des amateurs de randonnées. Une belle promenade peut mener autour des chutes d’eau de Bubovice jusqu’à la commune de Svatý Jan pod Skalou – Saint-Jean-sous-le-rocher. Sur ce rocher de calcaire haut de 210 mètres, une impressionnante vue panoramique s’ouvre sur toute la région (à consulter également un article de Radio Prague sur ce village : http://www.radio.cz/fr/rubrique/tourisme/rendez-vous-a-saint-jean-sous-le-rocher).

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