Les rêves éveillés du peintre Lukáš Kándl

L'exposition de Lukáš Kándl 'L'Arche de Noé', photo: Magdalena Hrozínková

« Le bestiaire est, pour moi, une source inépuisable d'inspiration, car les animaux sont porteurs de symboles dans l'histoire du monde, parfois différents selon les pays ou les époques », dit Lukáš Kándl, peintre tchèque installé en Bourgogne depuis les années 1970. Sa peinture, proche de celle des maîtres anciens, est magique, fantastique, onirique, chargée de symboles et de mystère. C’est au cloître de Strahov, à Prague, que Lukáš Kándl présente, jusqu’au 29 octobre prochain, son exposition intitulée L’Arche de Noé. Rencontre.

Lukáš Kándl | Photo: Magdalena Hrozínková,  Radio Prague Int.
« Je voulais donner une thématique globale à l’exposition. Elle évoque l’Arche de Noé, le bateau où Noé a réuni tous les animaux qui ont accepté de partir avec lui, peut-être vers le paradis ou je ne sais où. J’ai réuni alors les tableaux d’animaux qui font partie de mes sujets préférés. »

L’exposition commence par les chevaux…

« C’est un animal que j’apprécie particulièrement. Ici, nous sommes devant un tableau qui s’appelle ‘Le Cheval ardent’. Sa crinière se transforme en feu et il se déplace dans l’espace d’une manière assez improbable… »

La perle est comme ma signature

Lukáš Kándl,  'La Souris d'or à la perle géante',  photo: Françoise et Lukáš Kándl
« Souvent, lorsque je peins les animaux, je m’inspire de la réalité, mais je les transforme à ma manière et, finalement, je ne reconnais plus l’espèce originale. Par exemple, c’est le cas de ces oiseaux sauvages qui transportent les perles. Pratiquement sur tous mes tableaux, on trouve des perles, elles sont pour moi comme une deuxième signature. Un jour, un joailler m’avait raconté que des perles étaient des objets vivants. Et que si une perle est mal portée ou n’est pas portée du tout, elle peut mourir. J’ai trouvé cela extraordinaire. Depuis, je peins sur chaque tableau au moins une perle, parfois plus. Elles sont bien vivantes ! »

Votre style est présenté comme le réalisme magique, fantastique, proche du surréalisme. Comment le définissez-vous ?

« Oui, c’est cela. J’aime bien la réalité, mais la réalité métamorphosée. Personnellement, je ne me rappelle jamais de ce que j’ai rêvé la nuit. Je me suis dit que finalement, il fallait que je rêve en étant éveillé. Mes rêves, je les transforme en tableaux. Ils permettent aux spectateurs de rêver aussi, d’observer la réalité, mais avec du recul, en s’éloignant de ce qui est banal. »

Une peinture à la manière des maîtres anciens

Photo: Magdalena Hrozínková
« J’ai fait aussi quelques tableaux ronds, comme celui-ci qui s’intitule ‘L’Energie de l’étoile’. On y voit cinq licornes, dont les cornes se croisent au milieu. On peut alors accrocher le tableau de cinq manières différentes. »

« Un autre tableau rond exposé ici présente un singe à huit bras. Dans chaque bras, il tient un objet différent. Ces objets symbolisent la nourriture, l’écriture, le temps, la lumière… Le singe est un signe du zodiaque chinois. En Chine, le numéro 8 est extrêmement favorable et porteur de chance. Voilà pourquoi le singe a huit bras. Maintenant, il faut choisir le bras que l’on veut… »

Votre peinture à l’huile est lisse, elle rappelle effectivement celle des maîtres anciens que vous appréciez tant.

Photo: Magdalena Hrozínková
« Oui, c’est une technique classique que nous avons apprise à l’Ecole des Beaux-Arts de Prague. Chez les maîtres anciens, l’épaisseur de la peinture, de la pâte, n’était pas évidente, sauf dans les endroits très clairs, très illuminés. Chez mois, la peinture est en relief uniquement dans les endroits les plus clairs, où brillent les perles. Autre chose : je n’aime pas commencer ma peinture sur une toile blanche. Je commence toujours par une première couche de couleur : elle peut être rouge, bleue ou marron. Mais cette couleur n’est pas définitive, j’y rajoute deux ou trois autres couches. En peignant ensuite des animaux, des figures ou des objets, je rajoute de la couleur et je peux en arriver à une vingtaine de couches, avant de saisir la forme finale du tableau. »

Il existe une vidéo disponible sur YouTube, où l’on peut voir justement, étape par étape, la naissance d’une de vos peintures, « Le Sphinx alchimique »...

« Oui, c’est quelque chose de relativement récent. Lorsque je peins un tableau, je fais une photo à l’issue de chaque journée de travail. Quand il s’agit d’un grand tableau, le travail me prend une vingtaine, une trentaine de jours. Je réalise alors une trentaine de photos. Pour les besoins de cette vidéo, on a superposé les photos, ce qui permet de voir comment le tableau évolue, du point de vue du dessin, de la composition et de la couleur. A l’époque des maîtres anciens, on n’avait pas cette possibilité… Pour pouvoir observer leur manière de peindre, il aurait fallu devenir leur élève et assister au processus de création dans leur atelier. »

Les tableaux porteurs d’un message secret

« J’inscris, sur chaque tableau, un message codé. Le texte est composé d’une phrase de 64 lettres (huit lignes sur huit) et indique la signification de l’œuvre. Il y a donc un mystère en plus… »

Y-a-t-il un moyen de le décoder ?

« Evidemment, je garde, chez moi, la grille de décodage, sans laquelle je suis moi-même incapable de lire le texte. Elle est déposée dans mon atelier et je ne la prête pas. (rires) »