Les secrets des maisons et palais pragois
Souvent, lorsque je me promène dans les rues de Prague, je m'arrête devant telle ou telle façade et je me demande ce qui se cache derrière elle, quel est le passé du palais ou de la maison qu'elle orne, j'aimerais voir ce qui se trouve derrière le portail, les fenêtres, les colonnes, les statues, les atlantes et les cariatides. Je sais que parfois tous ces ornements en stuc cachent une réalité bien différente, que le style de la façade ne correspond pas à l'intérieur de la maison. Je sais aussi que souvent les façades baroques cachent des édifices Renaissance, gothiques et romans, j'essaie de deviner quels escaliers, quelles salles, quels tableaux et quel mobilier se trouvent derrière les portes-cochères et les carreaux des fenêtres. Mais les portes restent closes, les vitres sont opaques et l'édifice garde jalousement son secret. Heureusement, il y a des livres qui nous permettent de connaître les secrets des maisons et palais pragois. Aujourd'hui, je vais vous parler donc d'un livre qui me permet d'assouvir ma curiosité.
Le livre encyclopédique "Les Palais de Prague" est paru en 1995 aux Editions Akropolis. "Les palais de Prague sont beaucoup plus qu'un simple ensemble d'édifices historiques," lit-on dans la préface. "Ils sont une partie intégrante de l'ensemble architectonique et urbanistique de la métropole tchèque, mais on peut les concevoir aussi comme une chronique de pierre de la ville sur la Vltava. (...) La rédaction du livre a réuni un historien, un archiviste et un historien de l'art et dans le groupe des auteurs ont trouve donc des générations et des spécialisations différentes. Il est évident que chaque auteur voyait les palais pragois d'un angle de vue légèrement différent." (F.d.c.) Présentons d'abord les auteurs du livre. Vaclav Ledvinka est archiviste et coauteur de plusieurs ouvrages sur les monuments historiques tchèques, Bohumir Mraz est historien de l'art et Vit Vlnas est l'auteur de plusieurs ouvrages historiques dont, par exemple, "Albrecht Dürer et la Bohême", "Jean Népomucène - une légende tchèque". En rédigeant leur petite encyclopédie des palais de Prague, les trois chercheurs ont largement exploité la littérature existante déjà dont l'ouvrage consacré aux palais de Prague, en 1946, par Alois Kubicek et celui rédigé, en 1973, par Emanuel Poche et Pavel Preiss, mais aussi les monographies consacrées à des édifices remarquables de la capitale. Ils y ont ajouté le fruit de leurs propres recherches ainsi que les résultats du travail d'une équipe d'architectes et d'historiens de l'Institut d'Etat pour la reconstruction des monuments historiques réalisé, à partir de 1958, sous la direction de Dobroslav Libal. Les auteurs n'ont cependant pas voulu donner au lecteur un ouvrage trop sérieux, ils ne voulaient pas en faire une simple somme de données. Ils ont destiné leur livre à tous les amateurs de Prague et ont démontré qu'un ouvrage d'architecture et d'histoire peut offrir aussi une lecture captivante. Car l'histoire de l'architecture d'une ville, c'est aussi l'histoire de ses habitants, c'est un enchevêtrement d'innombrables récits sur les vies de ceux qui ont construit cette ville, qui l'ont habitée et qui y ont laissé leur empreinte. S'intéresser aux palais de Prague, admirer leurs qualités plastiques, c'est découvrir et faire revivre les hommes qui leur ont donné leur fière beauté.
Le livre commence par la définition de son sujet. Le mot tchèque "palac" (palais) apparaît déjà dans la chronique de Kosmas du premier quart du 12ème siècle où il désigne la demeure des princes Premyslides et l'évêché de Prague. Pendant le Moyen âge, le mot palais restait réservé aux résidences royales. Ce n'est qu'avec la Renaissance que le mot "palac" a commencé à désigner les demeures de la classe privilégiée qui se distinguaient des autres maisons par leur grandeur, leur mission représentative, leur aménagement intérieur et par les oeuvres d'art qui les ornaient. Bien que le palais existe donc depuis l'antiquité, c'est la Renaissance et l'âge baroque qui ont permis l'essor véritable de ce genre de construction. Aujourd'hui encore, on désigne par ce mot les édifices de caractère exceptionnel et monumental construits à des fins culturelles, économiques ou administratives. Le premier palais roman en pierre de la capitale a été bâti au 12ème siècle par le prince Sobeslav. Une de ses salles voûtées s'est conservée jusqu'à nos jours dans les caves du Château de Prague. C'est sous l'empereur Charles IV que ce genre d'édifice a connu un essor considérable mais ne pouvait quand même pas rivaliser avec l'architecture religieuse. Après les guerres hussites au 15ème siècle, les aristocrates tchèques, qui avaient leurs résidences à la campagne mais étaient obligés de se rendre de temps en temps à la cour royale, ont commencé à acheter des maisons dans la capitale. C'est le règne de Ferdinand de Habsbourg, au 16ème siècle, qui a attiré dans le pays des architectes et des maçons qui connaissaient une nouvelle manière de bâtir les maisons. En ce temps-là les jeunes nobles tchèques se rendaient souvent en Italie et ils apportaient dans leur patrie la mode de luxueuses demeures aristocratiques. Paradoxalement, c'est aux grands incendies, qui ravageaient, de temps en temps, la capitale, que nous devons l'essor de l'architecture de ce temps-là. Les aristocrates achetaient facilement les maisons détruites par le feu et les remplaçaient en général par des édifices luxueux et représentatifs. La bataille de la Montagne Blanche, qui a marqué la fin de l'indépendance du Royaume tchèque, n'a pas arrêté l'essor architectural de la ville. Les aristocrates protestants ont été exécutés ou chassés du pays. Leurs biens ont été confisqués et distribués parmi les nobles catholiques tchèques fidèles à la couronne impériale. Ces derniers se sont mis à déployer tous les fastes baroques pour démontrer leur importance. Leurs demeures pragoises ont éclipsé par leur splendeur même le château royal. C'est juste après la bataille de la Montagne Blanche que le généralissime Albrecht de Wallenstein a fait démolir 22 maisons dans le quartier de Mala Strana pour faire construire sur cet emplacement un immense palais entouré de jardins.
Jusqu'aux années 80 du 17ème siècle, Prague était considérée comme le paradis de la noblesse car c'était une ville sûre par rapport à Vienne exposée à l'envahisseur turc. Le livre "Les Palais de Prague" démontre que le 17ème siècle était aussi l'âge d'or de l'architecture pragoise. Les grandes familles de l'empire désiraient avoir leur résidence dans la ville. Elles ont érigé donc les palais Thun, Martinic, Clam-Gallas, Morzin-Thun, Hohenstein, ainsi que l'immense palais Cernin, sur la colline du Château, qui abrite aujourd'hui le ministère des Affaires étrangères. Ils ont amené à Prague le grand architecte viennois Bernard Fischer d'Erlach et ont pris dans leurs services toute une pléiade d'architectes pragois souvent d'origine italienne ou allemande. Ces bâtisseurs d'églises et de palais ont donné à la ville son caractère baroque qui devait se conserver jusqu'à nos jours. Les architectes Giovanni Batista Aliprandi, Jan Blazej Santini, Frantisek Maximilan Kanka et Kilian-Ignac Dientzenhofer ainsi que les sculpteurs Brokoff et Braun ont su donner à l'art baroque italien une forme spécifiquement pragoise et ont fait de Prague la principale ville baroque de l'Europe centrale.
Quand je me promène donc aujourd'hui dans les rues et quand je m'arrête devant telle out telle façade et je m'interroge sur ce qui se cache derrière les portes et les fenêtres, quand je me pose des questions sur le passé de tel ou tel palais, je sais maintenant où aller chercher les réponses. Le livre "Les Palais de Prague" évoque non seulement la beauté de pierre mais aussi les hommes qui ont créé et animé cette beauté le long des siècles.